REMUE MENINGES

Malgré sa constitution robuste, Lùthien était rompue. Le train qu'elles avaient mené, les multiples rencontres pas toujours sympathiques l'avaient épuisées. La déception d'avoir raté Vaelin se faisait ressentir. A ce moment-là, l'elfe avait juste envie de faire une longue chasse et de dormir une semaine.

Sauf que dorénavant sa curiosité était piquée. Et voir l'évolution du dragon la fascinait. Ce n'est pas donné à tout le monde de pouvoir voir un dragon devenir adulte. Elle répondit donc au désespoir de Cassiopée par un petit sourire en coin.

En vérité, j'ai entendu dire qu'il existe une tour dans la chaîne des Ténombres. Bon, je ne sais pas où elle se trouve. Et la chaîne des Ténombres n'est pas réputée pour être accueillante. C'est ce qui rend l'aventure si intéressante ! fit-elle avec enthousiasme.

Allons en ville, prenons 2-3 jours de repos et voyons si nous pouvons trouver des indications un peu plus fiables que la simple rumeur.

Elles parvinrent aux portes d’un gros bourg ceint d’une muraille faite de lourds rondins avant la nuit. L’absence d’Issac camouflé dans la besace de Cassiopée et leur tristes mines épuisées disposèrent les gardes postés aux portes de la cité à être charitables et ils ne leur posèrent aucun problème. Bien au contraire, ils leur conseillèrent une auberge dans les quartiers ouest où elles trouvèrent une chambre à la paillasse propre et le couvert généreux.
Après une nuit tranquille et réparatrice, Isaac prit ses aises et partit chasser en se téléportant. Elles descendirent dans la salle de service où l’aubergiste, fort aimable, leur servit une soupe onctueuse et une large tranche de pain frais.

- Cette nuit m’a fait un bien fou et cet accueil est un véritable bonheur ! S’exclama Cassiopée en soupirant d’aise après avoir avalé jusqu’à la dernière miette de son repas.
Mais tout cela ne nous mène pas à la tour. Il nous faut absolument trouver un guide ou au minimum des informations plus complètes sur cette tour.

L’aubergiste questionné n’avait jamais entendu parlé d’une tour du côté de la chaîne des Ténéombres, mais il fut cependant de bon conseil en les incitant à entrer en contact avec les noctariis qui rodaient toujours du côté des lieux magiques.

-D’après toi, quel est le lieu le plus magique du bourg si on veut avoir une chance d’entrer en contact avec un noctarri ? Ils aiment rester dans les lieux sombres.

Le lieu le plus magique ? S'il y a un bâtiment religieux ici, c'est probablement là. On pourra le confirmer sur place. J'imagine que Issac et toi êtes aussi sensibles à la présence de magie. Moi, elle me donne la chair de poule.

Et effectivement, Lùthien eut un frisson à cette pensée.
Trouver des Noctarii ne serait pas une mince affaire tant ils étaient discrets et repliés sur eux-mêmes. Questionnant l'aubergiste, elles apprirent qu'un temple du panthéon de Ter est présent à la sortie du bourg. C'est donc par là qu'elles partirent.

Le temple était petit mais bien entretenu. Et les poils hérissés de l'elfe confirmèrent une forte concentration en magie. Le prêtre était un élante avec qui elles conversèrent aimablement. Il leur apprit qu'effectivement une famille Noctarii vivait pas très loin. Un groupe de 5 personnes, un couple et 3 enfants.

Elles se demandaient encore s'il fallait se rendre sur place quand l'un d'entre eux eentra dans le temple, comme à la recherche de quelque chose. Il semblait palper l'air autour de lui.

Cassiopée n’avait encore jamais vu de noctarii ou du moins elle n’en avait aucun souvenir mais tant de souvenirs manquaient à l’appel qu’elle préféra étudier le personnage qui entrait dans le temple. Les rumeurs étaient fondées et ce spécimen ne dérogeait pas à la règle. De loin, on eut pu croire à un enfant si ce n’est que son allure affirmée et sévère contrastait avec sa taille et sa légèreté apparente. Au delà de sa fragilité extérieure, il était d’une surprenante beauté. « Un bel être » pensa-t-elle.

Le regard du noctarii se planta soudain dans le sien. Derrière son teint si clair qu’il paraissait transparent, ses yeux perçants semblaient la transpercer.
Elle ne bougea pas, mais se garda bien de détourner l’attention, si bien qu’il ne put esquiver d’avancer vers elles.
Bonjour.-Dit-elle aimablement. Pardonnez mon insistance à vous voir, mais vous êtes le premier noctarii que je vois de ma vie et j’en suis réellement ravie. Mais vous-même semblez désirer entrer en contact avec nous ?
La question était directe mais la vie était toujours plus simple quand on ne s’embrouillait pas de cheminements détournés et scabreux.
Le noctarri ne parut pas se déstabiliser d’une entrée en matière si franche, il lui sourit tout en la saluant.
-Vous avez vous-même attiré mon attention. Sans doute avez-vous en vous quelque chose qui m’attire. Vous êtes en visite au temple ? Ce lieu magique est un bon lieu pour faire connaissance.
Son visage était resplendissant quand il souriait ainsi.
Il se détourna cependant afin de faire face à Lùthien.
-Je suis également honoré de vous rencontrer ma dame.

La présence du Noctarii rendait Lùthien presque malade tellement il suintait la magie. Elle ne laissa cependant rien paraitre et lui rendit un sourire charmeur et s'inclina légèrement pour le saluer.

C'est un plaisir de rencontrer un représentant de la noble race des Noctarii, fit l'elfe d'une voix mélodieuse. D'autant que nous aurions souhaiter obtenir quelques informations sur une rumeur parvenue jusqu'à nos oreilles.

Visiblement le Noctarii avait le sens de l'humour car il répondit avec un sourire :

Que vous avez bien longues d'ailleurs !

Lùthien ne put s'empêcher d'éclater de rire.

Pardon ! Cela fait tellement longtemps qu'on ne m'a pas fait ce genre de remarque ! Les humains sont le plus souvent soit fascinés soit effrayés qu'ils n'osent rarement dire l'évidence.

Cassiopée avait aussi souri. L'ambiance était étrange. A la fois détendue, comme ça peut l'être entre gens tellement différents que cette différence est sans importance, et à la fois électrique, comme si chacun étudiait l'autre pour savoir ce qu'il peut en tirer.

L'elfe proposa qu'ils sortent devant le temple pour discuter sans déranger le prêtre et l'ambiance du temple. Le Noctarii accepta avec grâce et tous les 3 s'installèrent sous un bosquet proche. Le Noctarii sembla apprécier que les jeunes femmes choisissent un lieu sombre qui lui convienne, témoignant ainsi de leur respect envers lui. Il semblait donc disposer à les écouter avec attention même si son esprit semblait en partie captivé par autre chose que les simples mots.

Les trois se présentèrent, le Noctarii s'appelant Yomeï. Les jeunes femmes expliquèrent qu'elles avaient voulu rejoindre Vaelin pour trouver des réponses pour Cassiopée dont la mémoire lui faisait défaut. Elles n'avaient évidemment pas mentionné Issac. Lùthien mentionna qu'au cours de ses divers périples en Ter Aelis, elle avait entendu parlé d'une tour dans les Ténéombres. Si c'était vrai, elles gagneraient beaucoup de temps plutôt que d'essayer d'atteindre celle du désert où elles n'étaient même pas sûres d'arriver à temps.

Yomeï se renfrogna un peu à cette mention. Cette réaction confirma l'existence de cette tour. Mais qu'allait leur dire le Noctarii ? Lùthien eut à nouveau cette sensation qu'il palpait l'air autour de lui, à la recherche de quelque chose.

Je comprends votre problème. Les Noctarii se mêlent rarement aux autres et notamment aux humains. Pourtant... Il jeta un rapide coup d'oeil à Cassiopée. Il sembla prendre une décision. Les Noctarii sont attirés par l'Essence. C'est ce qui m'a attiré vers vous. Lùthien, vous n'êtes pas une elfe normale, la magie en vous est forte et sombre. Ce n'est pas celle des elfes. Rien que pour ça, je serai tenté de vous aider en échange d'étude. Mais Cassiopée... vous avez l'air humaine et pourtant... Ce que je sens ne l'est pas ! Quelque chose s'échappe de vous, est lié à autre chose. Où est votre moitié ? demanda-t-il abruptement.

Cassiopée fut un instant déstabilisée par la question du noctarii.

-Où est ma moitié ? De quoi parlez-vous ?

Visiblement un peu hébétée par une telle interrogation, son cerveau réfléchissait à toute allure. Sans le vouloir, Yomei avait mis le doigt sur un point crucial de son état, celui qui lui donnait cette impression constante qu’une part d’elle-même manquait. Même si la présence d’Issac avait soulagé ce sentiment, il persistait.

Fronçant les sourcils, le noctarii insista.

-Oui, votre moitié ! Je ne comprends pas… Votre aura magique est dédoublée ! Pardonnez-moi d’être si intrusif mais ce que je sens en vous agit comme un aimant pour le fer. Oh ! Accepteriez-vous de loger auprès de ma famille ce soir ? Demain je vous mettrai en relation avec une personne susceptible de vous renseigner sur cette hypothétique tour ?

-Nos bagages sont à l’auberge. Répondit Cassiopée qui se tourna vers Lùthien pour capter son avis.Le filon était bien trop tentant pour ne pas en tenir compte.

Lùthien avait suivi l'échange avec une curiosité non feinte. Cette histoire de moitié éveillait quelque chose en elle. Mais rien de précis.
La proposition de Yomeï la surprit. Et l'inquiéta un peu. Cependant, elle acquiesça.

Oui, nous pourrions faire ça. Nous avons encore des choses à faire en ville, comme récupérer nos affaires et nous vous rejoindrons ici à 19h.

Le Noctarii accepta et les deux jeunes femmes repartirent.

Cet empressement envers la magie est tout de même troublant. C'est toi qui l'a le plus intrigué mais le regard qu'il a jeté sur moi n'était pas moins assoiffé. Toutefois, ça sert nos objectifs. Il n'a pas rejeté l'idée de l'existence de cette tour et visiblement il a des contacts qui peuvent avoir une idée plus précise. Je m'inquiète par contre au sujet d'Issac...

Ne sachant pas trop à quoi s'attendre, elles firent des courses comme si elles repartaient sur les routes. Lùthien ne pouvait se défaire d'une sensation de malaise aussi vérifia-t-elle ses armes.

Elles allèrent flâner en dehors du bourg pour partager un moment avec le jeune dragon.

Est-ce qu'on l'emmène ce soir ? demanda l'elfe.

-Non… J’ai très envie d’en savoir plus sur cette fichue moitié, mais j’ai aussi le pressentiment que ce noctarii attend quelque chose de nous. Il attend quelque chose de magique et de précieux et tout ce que j’ai de magique et précieux est combiné dans mon Issac pour ce qui me concerne. Je ne sais pas ce qu’il en est pour toi… Non, Issac ne doit pas se montrer si des étrangers sont dans le coin.
Rejoins nous à l’auberge Issac.

Récupérer leurs bagages somme toute très légers ne leur prit que le temps de cajoler Issac à l’abri des regards et de lui conseiller de se faire discret tout en restant en éveil. L’aubergiste leur fit bien quelques histoires pour leur désistement mais Cassiopée écourta son discours victimaire en lui tendant une petite perle de nacre pure sortie d’une de ses poches.

Étonnée, Lùthien lui fit la remarque :
-Tu en as beaucoup comme ça ?

-Je crois que j’ai bêtement transformé un petit caillou… Faisant la moue, elle ajouta…. J’aurais peut-être pu faire de l’or ! Elle se mit à rire en disant : Mais je ne l’ai pas fait volontairement…
Mes capacités sont très aléatoires…

Elles furent au rendez-vous avant l’heure et eurent la surprise de constater que le noctarri était déjà là.
Alors que la lumière commençait à décliner, elles le suivirent jusqu’à une maison troglodyte sans aucune fenêtre.
Elles passèrent la porte en se courbant, celle-ci un peu basse pour des humains l’était carrément pour des adultes d’origines elfiques. Une lumière tenue mais chaleureuse inondait la pièce.
En avançant dans l’habitat, Lùthien et Cassiopée durent être attentives à ne pas se cogner aux excroissances décoratives du plafond.
Lùthien grogna de contentement quand Yomeï leur proposa enfin de s’asseoir dans de fort confortables fauteuils de laine.
Passant dans la pièce suivante, il en revint avec un plateau de boisson en main accompagné d’une noctarii qui devait être sa femme et d'un jeune garçon.

-Je vous présente Simoa mon alliée de vie et notre fils Patheï.

Yomeï semblait fier comme un paon.

Lùthien salua courtoisement les nouveaux venus tout en se demandant si Yomeï était fier de sa famille ou fier d'avoir amené de personnes avec une aura magique si flagrante. Elle mit la question de côté et accepta le verre tendu par Simoa pendant que Patheï s'asseyait à la gauche de Cassiopée, elle-même à la gauche de l'elfe. Tout le monde prit place et ils formèrent un petit cercle, Yomeï à la droite de Lùthien.

Elle huma discrètement le breuvage, qui se révéla malheureusement sans alcool mais aussi sans danger qu'elle puisse reconnaître grâce à son odorat. D'une couleur doré peu courante, le goût était à la fois acidulé et sucré, plutôt stimulant. A sa surprise, elle apprécia.

La conversation était banale mais plaisante et l'atmosphère plutôt détendue. L'elfe remarqua bien les coups d'oeil que jetaient fréquemment les Noctarii à Cassiopée et le jeune Patheï profita même d'une blague pour toucher la Dame. Un sourire béat se dessina sur ses lèvres.

Alors qu'ils passaient à table, où quelques ajustement durent être faits pour permettre aux deux femmes aux longues jambes de se tenir confortablement, Lùthien ramena la conversation vers le but de leur voyage et donc de leur rencontre.

Oui, c'est parce que nous voulions rejoindre Vaelin par la Tour que nous sommes ici. Nous pensons pouvoir trouver des réponses aux mystères qui entourent Cassiopée dans la bibliothèque et auprès des mages. Car elle a perdu une grande partie de sa mémoire. Aller à Vaelin, rapidement, lui permettra peut-être de trouver cette fameuse moitié dont tu nous as parlé, Yomeï.

Je comprend mieux votre hâte à présent. Moi-même, je n'ai pas connaissance d'une Tour dans les Ténombres. Mais des huit Tours originelles, seules 5 sont aujourd'hui répertoriées. Alors votre espoir n'est pas nul.

Il prit un temps de réflexion tout en regardant discrètement Simoa, qui hocha imperceptiblement la tête. Lùthien étant aux aguets, elle le remarqua, ainsi que l'inspiration plus marquée que prit le Noctarii avant de poursuivre.

J'ai pris quelques renseignements en attendant ce soir. Je vois que vous avez des connaissances poussées et je ne vous mentirai donc pas. Vos... singularités magiques attisent notre curiosité d'êtres sensibles à l'Essence. Il se pencha vers Cassiopée. La puissance qui émane de toi, alors même qu'elle est tronquée, est stupéfiante. Et pourtant, nous ressentons une certaine douceur. Son fils et sa femme approuvèrent. Elle nous baigne...

L'elfe remarqua bien à quel point tous les trois semblaient détendus, cause probable de cet épanchement. Yomeï se reprit bien vite cependant et continua en se tournant vers Lùthien.

Quant à toi... Un frisson le parcourut. Ta puissance est plus sombre. Je sens bien qu'elle est bridée mais que si tu la libérais, elle pourrait être dévastatrice. C'est... exaltant.

Un sourire narquois parut sur les lèvres de Lùthien et ses yeux dorés brillèrent plus forts alors qu'une pensée la traversait.

Tu veux qu'on leur fasse une démonstration ?

Elle écarta le démon de ses pensées.

Ce n'est pas l'heure. Dors.

Et elle attendit la suite de la déclaration de Yomeï qui l'observait avec attention.

C'est pourquoi, je vous propose de venir dans notre capitale. Là, vous aurez accès à bien des connaissances et nous, nous aurons accès à vous et à votre aura magique. Qu'en pensez-vous ?

Lùthien se tourna vers Cassiopée.

Pendant cette conversation Patheï s’était sensiblement rapproché de Cassiopée au point que leurs corps soient en contact. L’enfant soupirait d’aise à intervalle régulier. Phénomène qui ne manquait pas de troubler Cassiopée. Elle désirait tout à la fois en connaître plus sur les noctariis et elle-même et fuir ces gens qui semblaient vouloir la déguster comme si elle était un bonbon.
Elle se sentait sujette à une admiration avide qui l’incommodait.
Les noctarris étaient réputés pour leur sensibilité aux essences magiques et Cassiopée prenait conscience que ses capacités en matière de magie lui étaient bien mal connues. N’avait-elle pas transformé un vulgaire caillou en pierre précieuse dans l’après-midi ? Du diable si elle savait ce qui s’était passé… Il lui fallait en savoir plus mais où était le danger ?

- Avoir accès à mon aura magique ne nécessitera pas de servir de cobaye j’espère ! Nous voudrions atteindre Vaelin le plus rapidement possible.

Yomeï semblait outré d’une telle remarque :
-Nous avons trop de respect pour la magie pour qu’il vous arrive malheur. Je ne vous propose qu’une rencontre avec des amis susceptibles de pouvoir vous aider !

-Dans ce cas, je serais honorée de pouvoir entrer dans votre capitale. Et je ne saurai trop vous remercier pour l’aide que vous pourriez nous apporter dans notre quête de connaissance ou de passage vers Vaelin.
Si mon amie Lùthien est d’accord, je me ferai un plaisir d’accepter votre proposition.

L’elfe, toujours affamée d’aventure, était bien-sûr prête à se lancer dans cette escapade qui les changerait de leur quotidien. Pourtant, qu’en serait-il de la chasse ?

Lùthien n'hésitait pas vraiment, mais elle prit son temps pour répondre. Elle observa attentivement les Noctarii et eux attendirent son verdict avec ce qui ressemblait à de l'inquiétude. Si elle avait été moins joueuse, probablement qu'elle aurait refusé. Qui sait dans quel guêpier elles étaient en train de se fourrer. C'est ça qui était amusant.

C'est donc avec un sourire contenu qu'elle répondit en regardant Cassiopée.

Si tu es prête à l'aventure et que tu mesures toutes les complications qui peuvent apparaitre, je te suivrais. J'adore découvrir de nouveaux territoires et le peuple Noctarii ne se laisse pas si facilement approcher. C'est donc une occasion en or.

Bizarrement, Yomeï rougit. Peut-être se sentait-il dans la peau du cobaye...

Quand le départ est-il possible pour vous et combien de temps faut-il prévoir ?

Deux informations qui pouvaient paraitre anodines mais qui en diraient long.

Ce fut Simoa qui répondit.

Nous pouvons partir à tout moment, nous voyageons léger. Comme vous êtes pressées, nous utiliserons uniquement le chemin de notre peuple. A marche rapide, il nous faudra environ 10 jours pour arriver à la Capitale.

Les yeux de l'elfe s'étrécirent, les rendant encore plus animal que d'habitude. Cependant sa voix resta calme et sereine, digne de son peuple.

Ce chemin sera-t-il bien praticable pour nous ? Je pensais qu'il serait bien plus long.

Ho, si nous voyagions à travers la montagne comme vous le faite habituellement, sans conteste. Mais sous terre, c'est beaucoup plus rapide. Et ne vous en faites pas, votre taille ne sera pas une gêne. Bien qu'il soit connu seulement des Noctarii, il n'a pas été créé par nous mais par une race bien plus grande.

La chasseuse se renfrogna. Elle n'aimait pas être sous terre. Toutefois, elles n'avaient pas vraiment le choix. Elle coula un regard vers Cassiopée avant de reprendre.

Hmm, nous ne pourrons pas prendre nos chevaux, n'est-ce pas ? Simoa approuva. Quand sera-t-il du ravitaillement ? Nous n'avons pas dix jours de provision avec nous pour nourrir TOUT le monde.

L'elfe insista légèrement sur le tout, en lançant un regard à Cassiopée. Elle pensait bien évidemment à comment gérer Issac.

Il y a plusieurs points de remontée qui donnent sur des villages Noctarii. Nous pourrons nous y approvisionner. Ce qui nous permet de voyager léger, fit avec un sourire fier Simoa.

Lùthien hocha la tête. Le temps de la discussion, le repas s'était terminé. La soirée était déjà bien avancée. Yomeï proposa aux deux femmes de dormir chez eux et de partir au petit matin. Elles acceptèrent et prirent leurs quartiers dans une petite chambre où deux lits simples les accueillirent. ça tombait bien, elles devaient discuter du dragon.

A peine posées sur les matelas, alors que Cassiopée soupirait à l’absence trop longue d’Issac, le
dragon surgit à ses côtés frottant son cou contre le sien en roucoulant avec force. Lùthien se leva immédiatement pour vérifier la fermeture de leur chambre.
De son côté, Cassiopée un sourire ravie aux lèvres tentait de calmer son protégé.

-Il faut vraiment être le plus silencieux possible Issac, c’est important. Écoute moi car ce ne va être facile pour nous, mais nous devons le faire. Tu entends ?

Le dragonnet lui tirait les cheveux et réclamait des caresses. Elle le caressa tendrement puis lui prit la tête entre les mains et plongea son regard dans ses yeux qui tournoyaient en émettant des motifs multicolores. On eut cru un kaléidoscope.

-Nous allons traverser la montagne par des voies souterraines, nous serons guidées par les noctarris et je ne sais pas à quelle profondeur nous descendrons. Une chose est sûre, on ne sait pas si tu as la faculté de pouvoir nous rejoindre facilement n’importe où sous terre. Il faut que nous fassions des essais en profondeur.
Si nous partons séparés, il n’est pas certain que nous nous retrouverons et je n’imagine pas rester loin de toi si longtemps. Donc, nous devons t’emmener avec nous. Mais tu ne dois pas te montrer, tu entends ? Jamais ! Ces gens semblent très sympathiques mais également si avides de magie que je ne sais pas s’ils sont à 100 % fiables.

Issac grogna en émettant des images mentales de grottes froides et fermées. Ses yeux, fixes maintenant, étaient sévères presque cruels.
Cassiopée le serra contre elle, puis se tournant vers l’elfe ajouta :

-Il va vous falloir de la viande. Tu penses qu’on en trouvera dans les villages relais ? Ou même lorsque nous serons arrivés à la capitale ?

Je ne m'en passerai pas non plus, grommela l'elfe. Les Noctarii doivent bien en manger aussi, reprit-elle en chuchotant. Nous avons quelques réserves de viande séchée et nous en prendrons lors des remontées, quitte à ce que je doive chasser. De toute façon, ce sera indispensable, c'est bientôt la pleine lune...

Cassiopée avait suffisamment voyagé avec Lùthien pour savoir que les soirs de pleine lune elle partait chasser , quoi qu'il se passe. La dame des étoiles ne savait pas pourquoi, ne savait pas quoi, ni comment, mais ces soirs-là, elle et Issac avaient interdiction de la suivre et de quitter le camp.

Il va falloir que je les prévienne, fit-elle avec un soupir.

Un rire goguenard résonna dans sa tête. La chasseuse n'y prêta pas attention.

Bien, donc tu veux garder Issac avec nous, ça me parait aussi le plus prudent.

L'elfe se tourna aussi vers le dragon. Même si elle ne pouvait communier avec lui comme Cassiopée, il la comprenait parfaitement et était très intelligent. C'est pourquoi elle lui parla avec sérieux.

Tu devras être plus discret qu'une souris. Je ne sais pas si tu peux faire ça, mais il faudrait que tu caches ta présence magique. Sinon, ils la sentiront. Vu leur sensibilité, ils ne pourront pas faire autrement. Même maintenant, je ne serai qu'à moitié surprise de les voir débarquer dans la chambre pour voir ce qu'il se passe.

Elle tendit l'oreille mais rien ne bougea dans la maison. Leurs hôtes devaient dormir.
L'elfe réfléchit encore quelques instants pendant que Cassiopée et Issac se câlinaient. Puis le dragonnet vint la sortir de ses pensées en réclamant de jouer avec elle. Ils avaient pris cette habitude car Lùthien était agile et très résistante. Issac pouvait donc se montrer plus brusque qu'avec sa "maîtresse". Leur espace étant restreint, la séance fut assez courte. Cacher la présence du dragonnet ne serait pas facile. Cacher ses propres particularités non plus.

10 jours. Il fallait tenir 10 jours.

Au petit matin, ils se faufilèrent par une petite porte située au fond du logis. Simoa leur expliqua que chaque logement noctarri était ainsi relié au réseau souterrain.
Issac, parfaitement silencieux, lové au creux de sa besace passait inaperçu malgré un petit Patheï attaché à la jupe de Cassiopée. Celle-ci prenait bien soin de l’écarter le plus possible de l’enfant.

Le souterrain sombre et taillé dans la pierre brute descendait progressivement sous terre. Après une demi-journée de marche Ils rejoignirent une galerie plus vaste entièrement tapissée de pierre blanche et luisante. Des petites boules lumineuses placées à intervalles réguliers leur permettaient d’avancer sans avoir besoin de torche.

-Nous sommes dans le réseau secondaire, leur annonça Yomeï, Je vous propose une petite pose repas avant de reprendre la route. Il nous reste un bon bout de chemin avant d’atteindre Kemperoute où nous passerons la nuit.

Après un repas frugal, ils reprirent la route. La marche était confortable et les voyageuses appréciaient les capes chaudes que leur avait conseillées leur hôtesse. Il faisait si froid que l’eau cristallisait sur les murs.

Ils n’étaient pas seuls sur ce chemin, d’autres voyageurs les interpellaient parfois dans un langage que ni Cassiopée, ni Lùthien ne pouvaient comprendre. C’était la première fois que Cassiopée prenait conscience que les noctarris usaient d’une langue propre à leur race.

Kemperoute se trouvait à la jonction du long chemin qu’ils avaient emprunté durant cette longue journée de marche et d’une voie plus large qu’ils utiliserait le lendemain.
Ce n’était qu’un petit relais ressemblant à une grosse place bien éclairée sur laquelle donnaient plusieurs maisons troglodytes.
Déçues de ne pas remonter à la surface pour la nuit, elles suivirent leurs guides pour entrer dans ce qui devait être une sorte d’auberge.

En effet, elles furent accueillies par une odeur de potage chaud et une Noctarii plutôt corpulente. Celle-ci détailla les nouveaux venus avec étonnement bien qu'elle garda son sourire de bienvenue en place comme si de rien n'était. Une bonne commerçante se dit Lùthien.

L'aubergiste échangea quelques mots avec Simoa pendant que l'elfe détaillait l'intérieur. Une salle avec un comptoir et 5 tables pouvant accueillir jusqu'à 6 convives. Un feu dans une cheminée qui réchauffait joyeusement l'atmosphère, très appréciable avec la fraicheur ambiante. Une porte donnant sur ce qui devait être les cuisines. Un escalier menant à l'étage où se trouvaient probablement quelques chambres.

Pas d'autre porte ? Pas de fenêtres ?
Lùthien grogna intérieurement. Sortir discrètement demanderait de bonnes compétences. Elle espérait juste qu'ils pourraient avoir des chambres séparées, sinon s'occuper d'Issac allait être compliqué.

Ils se retrouvèrent rapidement attablés, leurs pelisses accrochées près du feu avec leurs sacs. L'elfe espéra qu'Issac n'aurait pas trop chaud avant de se rappeler qu'un dragon ne devait pas particulièrement craindre d'être près d'un feu...

Patheï s'était mis entre les deux femmes, les pupilles légèrement dilatées. Cela ne semblait pas gêner ses parents aussi Lùthien ne dit rien. Toutefois, elle lança la conversation sur la nourriture.

Ha, ça fait du bien de manger chaud ! Par contre, rassurez-moi, il y a autre chose ensuite ? Un bon plat de viande ?

Yomeï secoua la tête.

Désolé, mais dans les relais il est très difficile de se procurer de la viande fraîche. Mais tu peux te servir autant que tu veux de la soupe et il y a du fromage et du pain !

Lùthien reprit calmement mais fermement, profitant de l'occasion pour poser sa condition.

Mon organisme a des besoins énormes en calories et notamment en protéines. Je ne pourrais pas me passer de viande pendant 10 jours et nos réserves s'épuiseront dès demain. de plus, dans deux jours, c'est la pleine. Je dois absolument remonter à la surface à ce moment-là. Seule. Je n'ai pas vu d'accès vers l'extérieur ici, y en aura-t-il un demain ?

Les Noctariis la regardèrent avec inquiétude. Quand il parla, la voix de Yomeï était tendue.

Non, et celui d'après non plus. La prochaine remontée en direction de la capitale est encore à 3 jours de marche. Tu vas devoir tenir jusque là.

L'elfe secoua la tête. Ses yeux se durcirent, reflétant les flammes du feu, accentuant l'énergie animale qui se dégageait d'elle.

C'est impossible. Je ne peux rester avec vous lors de la pleine lune. Je vais devoir partir devant. Je vous attendrais au relais. Indique moi la route.

Le malaise des Noctariis s'accentua.

Je ne peux te laisser te promener dans ces galeries seule. Tu te perdrais. Et les autres risqueraient de t'attaquer...

Lùthien éclata d'un rire dur et sauvage.

Qu'ils essaient pour voir ! Mais ne t'inquiètes pas. Ils ne me verront pas. Et je ne me perdrais pas. J'ai une excellente mémoire et un sens de l'orientation parfait. N'oublies pas que tu ne sais rien de moi...

La menace plana un instant avant que l'elfe reprenne posément et de sa belle voix chantante.

Je reprendrais bien un peu de fromage, il est délicieux. Tu ne trouves pas, Cassiopée ?