Le sel de la connaissance

Cette femme étrange s'était assise à l'écart de lui, après avoir renoncé à le toucher. Onyx était méfiant et il lui avait fait savoir. Peut-être un peu trop durement, mais il valait mieux rester prudent.
Elle marchait sur deux pattes elle aussi, mais était visiblement très différente de Zalyna. Qui était donc cette femme ? Et surtout, que venait-elle faire ici au beau milieu de la nuit ? Elle semblait préoccupée.

Il continuait à l'observer de loin lorsque quelqu'un bruit sourd attira son attention. Quelque chose était visiblement tombé dans le foin. D'où pouvait-il venir ? Mis à part l'ouverture en hauteur, il ne voyait pas... Après quelques instants, une tête émergea et le cheval eut l'impression d'être en plein rêve.
"Cette nuit j'ai croisé un gros lézard dans le foin de l'étable" s'imagina-t-il raconter à Zalyna, à son réveil. Elle ne le croirait pas, évidemment. Mais la simple idée d'imaginer la tête de la jeune fille lorsqu'il lui transmettrait ses pensées en images adoucit son humeur.

Pas assez cependant pour s'approcher, sa méfiance s'amplifia. Cette créature étrange à l'atterrissage peu commun semblait connaître la femme aux oreilles pointues, qui elle n'avait pas pu s'empêcher de rire en assistant à la scène. Quel drôle de couple tout de même.
Il commençait à penser qu'il était temps de quitter les lieux lorsqu'une odeur familière parvint à ses naseaux. Le son de ses pas ne le trompait pas, elle était là.

Il s'avança doucement vers la porte, prudent lorsqu'il dépassa les deux comparses. La porte s'ouvrit et Cassiopée entra. Il frotta doucement son museau sur sa main. Elle semblait faible et ça l'inquiétait.

"Une nuit peu commune" songea Onyx. "Je sens pourtant quatre présences, où est la dernière ?"

Cassiopée avait tendu la main vers Nayima puis décontenancée par le malaise qui s'était emparée d'elle, elle avait porté celle-ci sur la crinière d'Onyx. Ce faisant, elle lui volait un peu de sa chaleur animale. Et l'énergie qui s'en dégageait venait renforcer la sienne. Elle l'en remercia d'une pression plus appuyée et s'enhardit à engager la conversation.

- Je suis désolée... Un souvenir si lointain m'est apparu. Vous êtes bien Nayima n'est-ce pas ?

Nayima ne put qu’acquiescer d'un signe de tête.

Avec un grand sourire qui se voulut franc et dégagé de tout problème, elle poursuivit pleine d'espoir :

- Je ne saurais malheureusement en dire plus. Ma mémoire me fait défaut ces temps-ci. Peut-être que vous-même...

Elle garda en suspension l'interrogation qui emplissait son visage d'espérance.

C'est alors qu'un petit bruit lui fit tourner la tête.

Zalyna se réveilla en sursaut, les cheveux en bataille. Elle s'assit et remarqua que la couche était vide. Cassiopée avait sûrement du vouloir prendre l'air. Elle lui avait semblé tellement fatiguée la veille, elle aurait du en profiter pour se reposer.
Elle chassa quelques instants la Dame de ses pensées pour se concentrer sur la raison de son réveil. C'était Onyx, à n'en pas douter.

Elle ne sentait rien cependant, ce qui était assez étrange. S'était-il fermé volontairement, ou avait-il fait un cauchemar ?
Elle se concentra à nouveau, la tête entre ses mains, et essaya de se connecter avec Onyx. Elle sentit une résistance et sut immédiatement qu'il essayait de lui cacher quelque chose. Après quelques instants, l'animal renonça et Zalyna put apercevoir le spectacle qui se déroulait dans l'étable. Elle sentit la méfiance d'Onyx à l'égard des inconnus qui se trouvaient près de lui. Elle ne partageait pas son avis. Et même si elle savait qu'elle avait tendance à être trop peu méfiante, Cassiopée semblait les connaitre et cela lui suffisait. La jeune fille était fascinée... Une femme aux oreilles pointues et un gros lézard tenaient compagnie à la Dame et au cheval. Ce dernier avait senti une autre présence, de qui pouvait-il s'agir ? Elle n'avait encore jamais vu d'êtres aux oreilles pointues, en revanche l'image du gros lézard lui rappela un livre que Gareth lui lisait lorsqu'elle était petite... Un dragon ? Etait-ce possible ? Toutes les histoires étaient-elles tirées de faits avérés ?
Elle rompit la connexion et ouvrit les yeux.

- C'est... magique! murmura-t-elle pour elle même.

Elle se releva, réajusta sa cape et sortit sans bruit de la chambre. Elle mit quelques minutes à peine pour arriver à destination. Elle poussa doucement la porte de l'étable et entra.

- Bonsoir, je m'appelle Zalyna. Mon cheval ne voulait pas me réveiller, mais il a été tellement pris au dépourvu que son esprit n'a pas pu s'en empêcher...

Onyx s'avança vers elle et posa son museau sur son épaule. Elle sentit qu'il lui reprochait de s'être levée et d'être aussi téméraire... Elle lui sourit, ses yeux pétillaient.

- Vous êtes fascinants... Qui êtes-vous ? Vous êtes des amis de Cassiopée ?

Ils formaient un noyau relativement resserré autour de Nayima. Le petit dragon écrevisse n'était pas le moins remarquable des participants et Cassiopée ne le quittait pas du regard. Elle aurait aimé entrer en contact avec lui et effleurer ses écailles luisantes, sans doute si douces au toucher. Elle aurait voulu l'entendre encore s'exprimer dans cette langue qu'elle s'étonnait de comprendre si bien. Elle était émerveillée par le regard d'or de la bête fantastique. Mais elle restait sans voix.

Quand Zalyna entra dans l'écurie, Cassiopée en fut tout d'abord contrariée. Ce fut comme si elle devait s'extraire d'un rêve. Puis, rapidement, la réalité lui revint et elle fut heureuse que sa compagne vint remettre un peu de sens aux événements.

- Oui, Zalyna. Je te présente une personne que j'ai très bien connue autrefois. Mais je ne saurais t'en dire plus, malheureusement. Ma mémoire me fait toujours défaut.

Elle se tourna vers Nayima, recherchant cette force qui l'avait habitée un moment plus tôt sans la sentir.

- Nayima, je te présente Zalyna. Zalyna et Onyx sont mes compagnons de voyage et nous hébergeons dans l'auberge pour la nuit.

Elle caressa les naseaux du cheval en esquissant un sourire, puis son regard rejoignit le ravissant petit dragon. Cette présence lui mettait du baume au cœur.

L'ombre observe, écoute et attend. Immobile et froide, elle tend l'oreille, captant les échos, les voix, les différentes discussions. Son regard est attiré par cet étrange quadrupède, qui se révèle bien être un petit dragon, n'ayant pas encore atteint l'âge adulte. Une intéressante découverte, qui ne répond cependant pas à l'objet de sa recherche insatiable.

Mais alors qu'elle les étudiait, le grand cheval noir semble l'avoir perçue. Du moins, il a senti sa présence. Pas au point de clairement et formellement l'identifier, mais suffisamment pour montrer des signes de méfiance. Pour autant, l'elfe sombre ne bouge pas de sa place, sens aiguisés, arc prêt à tirer au moindre geste agressif envers elle. Nogiel n'est pas dupe, elle est une de ces parias, des êtres originaux que le commun des mortels craint au point de les désigner comme hérétiques ou monstres. Même ses semblables ne la considéraient pas comme l'une des leurs. Alors les autres, elle s'en méfie. Elle se méfie de tout.

Aussi attend-elle de pouvoir discerner une opportunité, la confirmation d'un danger absent. Seulement, dans les palabres et dialogues, rien ne transparaît. Pire encore, aucune information ne l'intéresse, rien qui ne peut faire avancer sa quête d'identité. Un peu de patience, peut-être sera-t-elle récompensée. A moins qu'elle ne s'approche que trop près d'un éventuel danger.

Où ce voyage allait-il les mener ? Zalyna n'en savait rien. Elle avait une confiance aveugle et un profond respect pour Cassiopée. Grâce à cette dernière, son aventure avait pu commencer. Elle était partie en quête de découverte et pouvait enfin agir de manière concrète et tenter par tous les moyens d'atteindre son but.
Sans elle, elle serait encore dans les bois alentours du petit village qui l'avait vu grandir. Sans elle, elle ne pourrait qu'émettre des hypothèses et continuer à rêver du jour où elle aurait obtenu les réponses à toutes ses questions. Sans elle, elle serait seule et perdue dans ce vaste monde qui lui était tellement inconnu.

De nouveaux compagnons de voyage ? Pourquoi pas après tout. Cette décision revenait cependant à Cassiopée. Et si cette rencontre n'était pas le fruit du hasard ? Et s'ils étaient destinés à faire un bout de chemin ensemble ?
L'avenir ne manquera pas de nous le dire. Zalyna se rangerait à la décision de Cassiopée et elle savait pertinemment qu'Onyx, aussi têtu et méfiant soit-il, ferait de même.

Zalyna sourit à la dame et se tourna vers la jeune femme :

- Je viens des forêts qui se situent dans le nord. Je n'ai aucun souvenir d'avant mes six ans, il en va de même pour Onyx.
Nous cherchons à découvrir quelles sont nos origines et nous avons croisé le chemin de Cassiopée...

Elle pivota ensuite pour faire face à Cassiopée, et reprit :

- Peu importe ce que tu décides, nous te suivrons. Si tu le souhaites aussi bien évidemment.
Je vous laisse un peu d'intimité et retourne me coucher. Passez une bonne nuit.

Elle jeta un dernier regard pétillant en direction du dragon et tourna les talons vers la sortie. Elle effleura au passage l'encolure d'Onyx d'un geste tendre.
Une fois la porte refermée, Onyx s'installa dans le fond de l'étable, l'oreille toujours alerte.

La nuit fut courte. Chacun ressassait les émotions des rencontres. Pour Cassiopée, se trouver à la fois face à Nayima et un tout jeune dragon réveillait une fougue intérieure qu'elle ne ressentait plus depuis bien longtemps.
Une volonté nouvelle la guidait dans son désir irrépressible de recherche.

Zalyna devait dormir d'un seul œil car elle se leva quand Cassiopée esquissa un pied hors du lit. Elles retrouvèrent Nayima dans la grande salle de l'auberge où seul s'activait leur hôte. Soufflant sur les braises, il tentait de lancer un grand feu dans la cheminée. La pièce était froide. Le silence régnait.
Cassiopée proposa à Nayima de les accompagner vers la Perle de Gal où elles devaient trouver Yulda K'enr avant de rejoindre le jeune Tephra qui préférait éviter la ville.

Le soleil diffusait ses rayons mauves dans les brumes matinales quand elles commencèrent l'ascension des quartiers ouest.

Zalyna chevauchait Onyx et Cassiopée guidait le groupe. Nayima les précédait à distance raisonnable.
Les trois femmes étaient profondément plongées dans leurs réflexions.
Les sabots du cheval claquaient le pavé. Pour grimper vers les hauteurs de la grande cité.

Les ruelles nauséabondes firent place aux jardins odorants et bientôt elles se retrouvèrent devant la porte close du Sieur Palandon. Sa demeure offrait une façade de marbre sculpté et les lourdes grappes de fleurs de flamboyants rouge vif dégringolaient de la palissade.

Onyx fut mené aux écuries et le trio pénétra dans le grand patio. Une fontaine y égrainait sa musique de fraîcheur. Le Sieur Palandon se dirigeait d'un pas alerte vers elles.

- Bienvenue en mon domaine, mes Dames, que puis-je pour vous ?

Cassiopée se fit l'écho de ses acolytes.

- Nous vous remercions de bien vouloir nous recevoir. Nous avons un ami commun, Don Felipendien. Ce noble ami m'a assuré que je pourrai trouver Yulda K'enr dans vos jardins.

A l'évocation des deux noms, le Sieur Paladon porta sa main à sa poitrine et à son front tandis que Cassiopée imitait le geste dans un même élan.

En baissant le front, il s'excusa.

- Vous me voyez fort désolé de vous décevoir mais la Grande Errante a écourté son séjour dans notre cité.
Un sourire aux lèvres, il ajouta :

- Elle ne reste jamais bien longtemps au même endroit.
J'ai entendu qu'elle se dirigeait vers les gorges rouges où des runes auraient été exhumées près du roc de la Pitance. C'est un rocher monumental assez reconnaissable dans la monotonie des marais roux. Si vous partez maintenant vous avez peut-être le temps de l'atteindre avant qu'elle ne parte ailleurs.

Les trois femmes refusèrent les boissons poliment offertes. Elles voulaient se dépêcher de rejoindre Tephra qui devait les retrouver à la sortie Nord de la ville.
Pour rien au monde, elles auraient voulu abandonner le jeune dragon. Il leur semblait être le plus précieux qui soit.

Il était tout naturel pour Nayima de poursuivre avec Zalyna et Cassiopée qui voyageaient dans le même but qu'elle, découvrir leurs origines. Elle ne comprenait pas encore en quoi Yulda K'enr pouvait leur être d'une quelconque aide mais elle avait déjà épuisé ses propres pistes avec les mages. Poursuivre vers les gorges rouges était une destination comme une autre et le voyage permettrait à l'elfe d'essayer de retrouver avec Cassiopée leurs souvenirs communs.

"Le dragon a son importance aussi", pensa-t-elle en arrivant près du lieu de rendez-vous.

Elle jeta un coup d’œil à ses deux compagnes de route tout aussi silencieuses et pensives qu'elle.
Toutes trois étaient assez peu chargées, l'objectif étant de voyager assez vite pour rattraper leur retard sur Yulda K'enr. Elles n'avaient pris que le minimum pour tenir avec de petits arrêts dans les villages environnants pour quelques vivres avant d'atteindre les marais à l'est.
En cas de pénurie, un peu de chasse pourrait satisfaire leurs besoins, mais ce serait une perte d'un temps que trop précieux.

Le petit groupe s'approchait de la zone de rendez-vous mais l'elfe n'arrivait pas encore à trouver le dragon. Elle scrutait les environs mais les hautes herbes qui bordaient la route principale ne permettaient pas un examen exhaustif.

Les trois femmes étaient tristes. Cassiopée résuma leur état en quelques mots :

- Tephra n'est pas là... Mais nous ne pouvons pas attendre, sinon Yulda K'enr aura quitté le roc de la Pitance et nous aurons tout perdu.

Un regard vers Nayima, la convainc qu'elle n'était pas la seule à ressentir le vide de l'absence. Ce dragonnet avait si bien sa place dans la quête qui était la sienne.

Zalyna et Onyx ne semblaient pas plus heureux d'être contraint à partir si vite, mais le groupe s'engagea sur le chemin pavé qui longeait les douves et ceinturait la cité par le Nord.

Cependant, avant de quitter le point de rendez-vous, Cassiopée ne put s'empêcher de laisser un signe permettant au jeune dragon de les retrouver si l'envie lui en prenait. Un dragon au yeux d'or aimerait sans doute les perles. Aussi détacha-t-elle une perle de lune de ses cheveux et la déposa-t-elle à l'abri des regards envieux mais de manière parfaitement visible pour les yeux perçants du reptile.
Quelques mètres plus loin, elle en déposa une nouvelle, puis encore une autre, traçant un chemin au dragon. Au bout de cinq cent mètres, elle espaça les perles.
Bientôt, elles atteignirent le passage Est. Derrière elle se dressait toujours les murs hauts et froids de la cité, mais devant elles, une étendue d'herbes rousses entrecoupée de broussailles d'épineux s'étendait.

- C'est par là que nous devons aller. Annonça t-elle à ses compagnes.

Les protagonistes, un par un, repartent chacun dans leur chambre, excepté le dragonnet qui s'éclipse dans son coin. L'elfe métisse n'a rien appris sur l'objet de sa quête, la déception se lit sur son visage. Elle observe un instant le cheval noir et, chose curieuse, lui aussi semble le fixer du regard. Etrange animal, peut-être est-il doué d'une conscience propre, voire d'un intellect humain.

Ne voyant aucun danger à l'horizon, la chasseresse s'extirpe enfin des ombres. Amère déception d'avoir perdu de son temps, la métisse se dirige à son tour à l'intérieur de l'auberge, non sans jeter un regard méfiant vers le canasson, qui le lui rend bien. A n'en pas douter, cet animal a quelque chose, et l'elfe se promet d'en savoir plus, si leurs chemins viennent à se croiser de nouveau.

Arrivée à l'intérieur de l'enseigne, tout en évitant de s'approcher de trop près des flammes de la cheminée diffusant une douce chaleur, l'elfe s'installe devant le comptoir, et commande de quoi se sustenter un minimum. Le tenancier la sert avec un grand sourire, que répond la chasseresse avec un masque rigide dénué d'expression. Visage en partie dissimulé sous sa longue chevelure, cachant le côté sombre de sa face, elle fixe du regard l'aubergiste quelque peu frustré par autant de froideur.

- "Avez-vous vu passer un homme tout habillé de noir, avec un masque blanc recouvrant son visage ? Il est sûrement accompagné d'un loup."

- "Ya des rumeurs qui circulent sur c'bonhomme, ouep !", lui répond le tenancier gardant le sourire malgré le mur inexpressif de son interlocutrice. "Pas très reluisantes d'ailleurs ! Paraît qu'il a zigouillé tout un groupe de bandits sans bouger le petit doigt. On parle d'un loup avec lui, si fait ! Un grand loup qui sort des ombres, à c'qui paraît. Mais ça fait quelques jours qu'on a plus entendu d'échos sur c'te légende urbaine. 'doit pu et' là maint'nant."

Quelques jours... L'elfe se pare enfin d'un léger sourire en coin. Elle s'approche de son but, elle le sait, elle le sent. Reste à savoir où il a bien pu se diriger.

- "M'est avis que vous devriez voir la Grande Errante. J'ai ouï dire qu'elle séjourne en c'moment à la Perle de Gal. Elle voyage beaucoup, elle saura mieux que quiconque si c't'histoire est vraie. J'ai entendu un petit groupe de gens parler de la voir avant de s'coucher. Vous pourriez les accompagner."

L'elfe esquisse une légère moue, prenant l'instant de la réflexion. Une piste à suivre, assurément, mais elle demeure réfractaire à se mélanger à un autre groupe. La méfiance reste de mise, et elle a toujours fait cavalier seul. Mettant ces pensées de côté, elle commande alors une chambre, en demandant qu'elle soit mitoyenne à celles de ces personnes.

Elle s'est contenté d'un petit repos d'une heure, prenant le temps de se préparer pour le voyage à venir, et esquisser l'ombre d'un plan de filature. De temps en temps, elle sort en silence et espionne, cachée dans l'ombre, les chambres mitoyennes pour capter les bribes d'éventuelles discussions, et surtout anticiper le départ du groupe. Même si pour cela, elle doit braver le jour, chose qu'elle redoute, la chasseresse est prête à suivre cette nouvelle piste.

Des bruits de pas la réveillent au petit matin. L'elfe sombre s'extirpe de son lit en pestant contre elle-même pour s'être laissée emporter par le sommeil. Elle se rince le visage afin d'en capter la fraîcheur de l'eau, puis s'habille et s'équipe, s'enveloppant dans son large manteau avec capuche pour contrer les rayons ardents du soleil pointant à l'horizon. Une fois prête, elle ouvre doucement la porte et tend l'oreille. Le groupe vient de sortir, il n'y a plus de temps à perdre.

La chasseresse garde une bonne distance par rapport au groupe d'aventuriers, marchant autant que faire se peut vers les zones d'ombres pour éviter le soleil. Non qu'elle soit vampire, mais la nuit et l'obscurité sont son domaine, et a depuis longtemps adopté un mode de vie plus nocturne. Elle est fille de la nuit, et le jour n'est pas une amie pour elle. La lumière du Soleil altère ses capacités, et empêche d'user des ombres pour se camoufler. Aussi doit-elle faire attention à ne pas se faire repérer.

La chasseresse se fraie un chemin parmi la rare foule du matin, se cachant dans divers recoins pour duper la vigilance du groupe, jusqu'à atteindre comme eux la Perle du Gal. L'elfe observe de loin, n'ayant aucun passe-droit, ni de raison d'entrer dans le domaine noble. Alors elle prend son mal en patience sous un porche, à l'abri du soleil. La mâchoire serrée, la clarté du jour l'oblige à plisser les yeux, peu habituée à tant de lumière. Mais elle veut savoir, elle veut absolument suivre cette piste.

Enfin, le groupe ressort du domaine, et l'elfe les voit quitter la ville d'un pas pressant. A pied, sous la lueur du soleil, il lui sera bien difficile de suivre la cadence, et l'idée de voir s'échapper cette piste lui paraît inconcevable. Mais une chose attire son oeil. Un éclat, un reflet minuscule là où le groupe s'était arrêté un instant avant de reprendre la route. Les aventurières s'éloignant, elle se dirige vers l'objet de sa curiosité, pour distinguer une petite perle laissée là, dans les fourrés. A-t-elle été abandonnée là intentionnellement ? Elle se saisit de la perle, et l'observe un instant, avant de la ranger dans sa besace, se disant qu'elle peut lui être utile. Se relevant, elle scrute les alentours, une main posée sur son front en visière, gênée par le soleil.

Un autre reflet de lumière. Une autre perle. Comme des petits cailloux traçant un chemin à suivre. Alors elle finit, après un moment de réflexion, par comprendre. Ce groupe n'était pas complet, il manquait un individu. Ou plutôt un dragonnet. Elle avait entendu moultes légendes sur la race des dragons, et bon nombre d'entre elles faisaient mention - à tort ou à raison - de leur cupidité et leur avarice, attirés par l'or et les bijoux comme les ours par le miel.

Et si sa théorie s'avère être vraie, alors elle se retrouve désormais prise entre deux feux. Une inconnue s'est glissée dans son équation, une écharde dans son plan de filature. Le doute s'installe cependant dans son esprit déterminé. La bête n'avait bas attaqué le groupe dans les écuries. Mieux encore, ils discutaient ensemble, sans crainte. Et s'il l'avait vu ? L'animal pouvait avoir aperçu l'objet de sa quête, ou entendu des échos plus précis. Il fallait qu'elle tente sa chance.

Elle se cache aux environs d'une de ces perles, à l'affût, prête à brandir son arc bandé. Ce dragonnet sera son passe-droit pour atteindre le groupe.