Résurgence

A mesure qu'ils s'avançaient dans le bosquet, le murmure se fit distinctif. Nayima ne parvenait toujours pas à comprendre la "conversation" mais il ne faisait plus aucun doute qu'elle était liée au lieu, aux arbres.
Un sentiment d'accueil ravi la traversa lorsqu'ils entrèrent dans le bosquet.

- Nous sommes la bienvenue ! s'exclama-t-elle en se retournant vers sa compagne de route.

Cassiopée s'était avancée la tête encore dans les étoiles vers le bosquet. Sensible à la brise légère de la nuit, elle profitait de la fraîcheur charitable. Elle suivait sans trop réfléchir Nayima et Afenwë tandis que Issac traînait derrière. Nayima avait accéléré sa marche à l'approche de la végétation.
Tandis que son amie courrait vers la rencontre, elle-même se sentait oppressée. Les hauts fûts camouflaient les rayons lunaires et étendaient leurs ombres fantomatiques. Ils paraissaient grandir à son approche. Soudain, une racine se détacha du sol et lui emprisonna les jambes avant qu'elle n'ait pu réagir.

-Es-tu vraiment sûre que nous soyons les bienvenues ? Répondit-elle à Nayima alors qu'elle se retournait vers elle.

Stupéfaite, Nayima n'arrivait pas à assimiler ce qu'il arrivait.

- Je ... je comprends pas ... je le sens ...

Elle s'avança prudemment vers la racine jusqu'à poser le bout des doigts. Un coup de courant lui fit vibrer douloureusement la main qu'elle retira brusquement. La racine eut un mouvement de retrait, comme si elle allait revenir à sa place initiale mais revint aussitôt enserrer les jambes de Cassiopée.

- Je ne ressens pas de rejet ou colère mais plutôt une sorte ... d'attente murmura-t-elle e fixant la racine agressive. Elle te fait mal ? demanda-t-elle, inquiète, à son amie prisonnière.

La racine s'agrippait à la jambe de Cassiopée de manière à ne pas lui permettre de bouger.
L'extrémité des radicelles tentaient de grimper le long de sa cuisse et Cassiopée n'osa à peine répondre à Nayima :

- Je... n'ai pas mal.... Mais... Elle avala sa salive quand la racine atteignit sa hanche comme en visite à sa personne.

Confrontée à cette végétation curieuse et intrigante, elle n'osait user d'un quelconque pouvoir qui eut pu être mal perçu. Elle attendit, le souffle court.

- Tu peux communiquer avec les arbres ?

- Plutôt des sortes d'émotions que des mots compréhensibles lui répondit-elle rapidement alors que la panique commençait à l'atteindre.

Sensible à la tension, Afenwë se frotta contre la jambe de Nayima pour attirer son attention et lui envoya un message mental avec une certaine brutalité :

Dis-leur !

- Quoi Afenwë ?! Qu'est ce que je dois leur dire?? et comment ! hurla-t-elle Pourquoi font-il cela à notre amie ?

Le bruit environnant cessa et une sorte de tension s'installa. Puis les murmures reprirent et la faune reprit vie parmi les arbres. Nayima ressentait toujours la curiosité dans les murmures mais aussi un peu d'hésitation dorénavant.
Afenwë la fixait avec intensité, la queue tapant le sol avec agacement.

- Bon, Cassiopée, je pense que j'entendais mieux lorsque j'étais assise au calme contre un baobab ... je peux essayer.

La jeune femme se rapprocha et s'assit en tailleur près de son amie. Elle ferma les yeux et mue par un instinct qu'elle n'aurait su expliquer, elle posa la main sur la racine.

Cassiopée était à présent enserrée jusqu'à la taille par une racine qui ne laissait pas un millimètre d'espace entre son corps et elle. Pourtant, elle ne ressentait aucune pression de la part du végétal. Elle était simplement immobilisée, incapable d'aller plus loin.
Elle n'osait plus parler dans la crainte d'éveiller des réactions agressives de la part de l'arbre.
Nayima s'était assise en tailleur au pied de l'arbre et les yeux fermés, elle semblait en pleine méditation intérieure. Les deux mains posées sur les racines affleurantes, elle ne laissait passer aucune émotion sur son visage.
Plantée comme elle l'était à l'entrée du bois, Cassiopée attendait statufiée. Elle tachait de ne pas perdre le contrôle de son calme mais les minutes passaient sans que Nayima ne réagisse.
Au bout d'une bonne heure, Cassiopée tenta de changer de position, mais la racine se resserra autour de son corps.
Elle prit donc son mal en peine, tout son espoir résidant dans Nayima. Mais elle espérait ne pas prendre racine pour de bon.

En touchant le végétal, il sembla que les sons se firent plus clairs et plus proches, au point qu'elle aurait été capable de les répéter distinctement s'ils ne faisaient pas que l'effleurer avant de la quitter définitivement. La frustration monta à mesure que ses tentatives de capter et comprendre échouaient. Elle était pourtant persuader de posséder la clé de ce langage qui continuait de la fuir.

Sans la sortir de sa méditation, elle sentie Afenwë lui donner un coup de tête dans la jambe avant de se coller contre elle et y poser son museau. Elle le vit alors apparaître dans son espace méditatoire qui jusqu'ici ressemblait à un espace brumeux.
Il apparu tel le dragonnet qu'elle connaissait puis, il se mit à grandir rapidement jusqu'à une taille adulte impressionnante. Sans cesser de la fixer, il ouvrit ses ailes, créant ainsi un courant d'air, qu'il alimenta par ses mouvements jusqu'à ce que la brume laisse apparaître une structure verte composée de lianes et de fleurs tout autour d'eux.

Les sons avaient disparu durant le processus, les entités attentives. Ils reprirent avec une sensation de surprise et se turent à nouveau. Soudainement, un image frappa l'esprit de Nayima. Elle représentait la jeune femme dont le corps était entouré de ces mêmes lianes et fleurs.
Enfin elle pouvait communiquer avec les entités végétales, par le biais de ces images. Elle était unie aux plantes de façon profonde, c'est pourquoi elle était acceptée dans cette aire sacrée. Elle offrit alors l'image de Cassiopée qui lui tenait la main et dont les lianes s'unissait harmonieusement à elle également. Mais son image fut écrasé violemment par une Cassiopée au milieu de cosmos, une tempête invisible jouant dans ses cheveux.

Perturbée, Nayima proposa l'image de Nezde travaillant à scier un arbre. S'il était accepté en tant que bûcheron, pourquoi les entités percevaient Cassiopée comme une menace.
Une nouvelle scène remplaça la sienne, celle d'un Nezde prenant soin d'une jeune pousse, puis très vite Nezde soignant un arbre et enfin, à nouveau le bûcheron armé de sa scie, mais sur un baobab visiblement affaibli.
L'homme appliquait un cercle vertueux et respectueux, en harmonie avec la foret.

La jeune femme sortie de sa méditation. Il lui fallu quelques secondes pour retrouver ses esprits. Cassiopée était toujours prisonnière de la racine, mais elle savait dorénavant pourquoi.

Ils te voient comme une hostilité. Ils ont senti notre intention et te perçoivent comme ... une voleuse et ... très dangereuse. Cette aire est sacrée.

Malgré sa posture inconfortable, Cassiopée n'osait bouger le petit doigt car elle sentait les lianes grimper à présent jusqu'à sa poitrine. Elles enserraient son torse de manière à limiter sa respiration et elle se disait qu'il manquait peu de mauvaise volonté de la part de ces végétaux pour qu'ils deviennent de réels ennemis.
Quand Nayima lui transmit oralement le verdit des plantes, elle prit peur et voulut s'extraire, mais la sanction fut immédiate : La liane se tendit et lui prit le cou aussi bien qu'une main de métal.
Elle cria et Issac qui se tenait à ses pieds feula. La main fibreuse se desserra légèrement mais resta en position. Celui-ci étonnamment libre de ses mouvements semblait communiquer avec Afenwe car le petit dragon de Nayima s'était rapproché de lui et quelque chose dans leur maintien commun la mettait en alerte.

- Nezde est accepté car il prend sur les arbres malades et donne soin aux autres. Tu dois montrer que tu as la même volonté, que tu veux soigner et protéger Isaac sans blesser la forêt... Si tu peux, visualise tes intentions.

Nayima retourna dans sa posture méditative mais avec plus de difficultés. Elle sentait la tension devenir si forte que les postures des dragons étaient sur le qui-vive.
Elle transmit un peu d'apaisement à Afenwë en espérant qu'il le transmette à son tour à Isaac et se concentra à se caler elle-même.

La jeune femme commença par visualiser des scènes où Cassiopée prenait soin de l'oeuf de son dragon, mais aussi lorsque son amie l'avait aidé alors qu'elle était blessée. Elle puisa dans ses souvenirs des images de Cassiopée chaleureuse avec le peuple de Nezde.
Soudain, la tempête provoquée par son amie s'imposa violemment dans son esprit.

- Ils ont senti ta colère, ils craignent que tu provoques une autre tempêtes ici ... Montres leur tes souvenirs, pourquoi tu étais en colère.

Fort heureusement la pression exercée sur le torse de Cassiopée s'était un peu assouplie. L'arbre avait marqué son autorité et la tenait maintenant en son pouvoir sans en abuser.
Concentrée vers l'arbre qui la maintenait prisonnière, elle visualisait la peau craquelée d'Issac tout en la caressant d'un baume conçu avec la sève du baobab. Avec ce que l'arbre accepterait d'offrir pour son dragon.
Tout d'un coup, les lianes se contractèrent violemment l'étouffant au point qu'elle haletait.
Comme Nayima l'encourageait à partager sa colère avec l'arbre, elle visionna très vite l'immense malheur de l’œuf volé, de la perte d'un dragon qui était plus qu'un dragon mais bien une part d'elle-même personnalisé dans cet être de magie que la Nature respectait par dessus tout.
A ces côtés, Issac grondait comme pour accentuer son propos.
Les lianes se détachèrent légèrement pour laisser passer un peu d'air dans ses poumons mais la maintenait liée.
Alors, elle entreprit de montrer sa bonne volonté. Elle visionna vers l'arbre la vue d'une source d'eau pure coulant au pied du baobab. Elle montra les étoiles brillantes et le soleil à peine voilé afin qu'il ne brûle pas les feuilles épaisses et gorgées d'eau. Et tout en envoyant ces images, elle murmurait les paroles imprononçables qui matérialisaient les images à ses pieds et au dessus du bois.

Les jeunes dragons étaient pressés contre les deux femmes, dans un mélange d'inquiétude et de confiance.

Nayima entendait comme un echo l'échange entre Cassiopée et les entités végétales. Concentrée sur les sensations lointaines, elle ne prit garde à la liane épineuse qui s'échappa de la prison de son amie, droit sur elle. Rapidement, elle s'épaissit et enferma à son tour l'elfe surprise.
Afenwë grogna de mécontentement. Les griffes sortis, il était prêt à passer à l'attaque cependant, les lianes étaient trop proche de Nayima.
Le bras restait libre, la jeune femme eut un mouvement pour calmer son dragon. Immédiatement, sa cage vivante lui frappa la main et lui arracha un cri douloureux. L'elfe vit goutter du sang lentement sur son compagnon dorénavant fou de rage.

Un autre cri attira son attention. Cassiopée venait de subir un traitement similaire et son sang versé s'écoulait sur Isaac.

Elle n'eut pas le temps de se remettre de sa stupeur qu'elle se sentie arrachée à son propre corps. Emportée dans une spirale, ballottée, harcelée par des milliards de pensées, parfois confuses, parfois d'une clarté surprenante sur des questions fondamentales ... elle avait à peine le temps de regretter de ne l'avoir retenu qu'un nouveau flot l'inondait, perdant à jamais une connaissance essentielle ...puis ce fut l'immobilité, le silence, le noir complet.
Nayima n'entendait même pas sa respiration. Au moment où elle se faisait la réflexion qu'elle aurait du en paniquer, il ne se passa rien. Une distance sans émotion.
L'absence d'environnement laissa place à un kaleidoscope d'images. Plusieurs d'entres elles étaient superposée, si bien qu'il était impossible de véritablement les comprendre.

Les images tournèrent violemment autour de la jeune femme. Certaines se stabilisèrent les unes après les autres en face d'elle. Ces images semblaient former une forme plus imposante. D'autres disparaissaient.

Enfin les dernières images se placèrent pour révéler un immense serpent de feu doté d'ailes enflammée largement étendue. Un gémissement se fit entendre et Nayima réalisa qu'Afenwë était à ses côtés.

Un grondement profond émana de l'être incandescent.

"IL EST LE TEMPS DU SOUVENIR ET DE L'EPREUVE.

LE SANG PARLERA"

Les lianes avaient resserré leur emprise sur les membres de Cassiopée qui ne pouvaient plus bouger le petit doigt. Issac grondait et Cassiopée plongea son regard dans celui de son dragon. Attaché l'un à l'autre par l'iris, leurs esprits s'unirent, mêlant leurs forces et leurs pouvoirs. Pourtant aucun des deux ne tenait à s’aliéner les arbres. Ils cherchaient plutôt à s'allier leur puissance, à se glisser dans la sève ardente.
Bientôt, Cassiopée perdit conscience, elle sombra dans le noir et l'inconnu. Si elle perdit conscience, elle n'était pas inconsciente. Elle sentait la présence fidèle et intense d'Issac. Mais dans son esprit, il n'était plus un dragon. Il envahissait chaque particule du noir qui l'entourait. Et au sein de chacune des particules, brillait un point étincelant dans les profondeurs infinies.Chaque point était un monde, une étoile. Issac portait l'Univers par son âme. Et Cassiopée sentait le feu de sa naissance l'habiter et un souffle provenant des entrailles du monde engloutit ses poumons. Tandis qu'elle inhalait le feu et l'air et devenait immense, des fontaines d'eau pure jaillirent de ses yeux. En son sein, le sang battait à faire rompre son cœur.

Un cri retentit dans l'Univers :

""IL EST LE TEMPS DU SOUVENIR ET DE L'EPREUVE.

LE SANG PARLERA" "