Fondation de Bjorn : Expédition I

Xanthys commençait à se décontracter. L'ambiance précieuse du bateau lui faisait oublier un instant la mission. Puis, il avait envie de mieux connaître Léopold.

Je suis marin. J'ai effectivement beaucoup navigué pour le compte de la "Compagnie Marine des Marchands de Soie", dans de bonnes et de mauvaises conditions. J'ai cru comprendre que ce bateau se dirige vers les terres, aussi je ne sais pas vraiment en quoi mon profil intéresse la fondation de Bjorn. Si je m'en tenais aux apparences, je dirais que nous allons faire de la plaisance. Cependant le recruteur de la fondation a été très clair sur les risques que nous encourrons.

Xanthys fit un geste ample des bras ainsi qu'une petite mou comme pour s'excuser de son ignorance et ajouta:

Je n'ai pas la moindre idée des projets de la fondation!

Mais vous dites moi, qu'est-ce qui vous a motivé à participer à cette expédition? En savez-vous d'avantage que moi?

L'homme avait l'air sympathique derrière son masque couturé et Léopold n'avait rien à cacher.

- La vie urbaine n'est vraiment pas pour moi. Quand j'ai vu l'offre j'ai sauté sur l'occasion. Ils cherchaient des experts en géologie de terrain. C'est mon cas. J'aime la roche et la montagne en regorge. Et puis, l'idée de partir un peu à l'aventure me tentait bien. J'espère quand même que ce ne sera pas trop dur parce qu'ils semblent penser qu'on peut sérieusement se trouver en danger. Mais, ça fait un moment que j'avais envie de partir seul vers le Nord, alors autant y aller en expédition et être bien payé pour le faire !
A mon avis ce ne sont pas vos connaissances de marin qui font de vous un atout pour cette expédition, mais plutôt votre coté aventurier et baroudeur.

Ce disant, il fixa les cicatrices de l'homme et les désignant du menton, ajouta :

- Vous les avez eu comment celles-là ?

Harlidane entra dans la pièce et s'assit, lançant un tonitruant : "Ben dites-donc, je n'ai jamais vu autant de mystère autour d'une présentation de mission, ça a intérêt à décoiffer, nous sommes tout ouïe !"

En entendant cette question, Xanthys repensa à sa captivité, aux fers de la compagnie et au naufrage. Malgré lui, ses poings se serrèrent et sa mâchoire se crispa. Il souhaita l'espace d'un instant se trouver ailleurs, dans une autre vie et dans un autre corps. Il était pour trouver une parade lorsqu'un trublion entra dans la salle:

"Ben dites-donc, je n'ai jamais vu autant de mystère autour d'une présentation de mission, ça a intérêt à décoiffer, nous sommes tout ouïe !"

Cette arrivé en fanfare arrangeait bien Xanthys! Il fit un signe de tête entendu à Léopold, se tourna vers le visiteur, et lui cria dans un rire forcé:

Le plus grand mystère que je vois, mon ami, est un homme tête nue qui espère être décoiffé!

Conviés à assister à la réunion, les conversations cessèrent rapidement et chacun se hâta dans la grande salle.
Si Hae était curieuse de connaître les autres membres de l'expédition, elle l'était encore plus d'en savoir d'avantage sur cette aventure restée très mystérieuse.
Le choix même des candidats était très divers et ne laissait pas transparaître un objectif particulier.

Quand Anthonin rejoignit la salle à son tour, elle lui fit signe de le rejoindre. Il avait quitté son visage boudeur et renfrogné pour un air pensif. Le jeune homme rapprocha une chaise de son amie pour pouvoir lui parler discrètement.

- Ma belle, il y a ici plusieurs connaisseurs en technique de combat. De toutes sortes de combat. J'ai bien peur que tu nous ais engagé dans une aventure risquée.

- C'est évident ! Sinon il n'y a aucun intérêt ! Et pourquoi crois-tu que je t'ai emmené sinon pour me protéger, ajouta-t-elle dans un rire.

- Avoues plutôt que tu ne peux plus te passer de moi ! Mais je te pardonne, il est difficile de résister à mon charme et tu y as été confronté trop de temps...

- Ben voyons, qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre ... dit-elle en lui donnant un coup de coude mais les yeux pétillants d'humour.

Enfin, avec l’arrivée de Jake Jarhem et d’Elthan Morlord, l’assemblée d’expéditionnaires fut au complet. Montague Greenberg attendit que le silence se fasse et que l’on n’entende plus que le bruit rassurant de la chaudière à charbon, et celui berçant de l’eau brassée par les roues à aube.

- Messieurs-Dames, je vous prie de m’excuser au nom de la fondation De Bjorn pour vous avoir fait quelque peu bouillir d’impatience devant le mystère entourant l’objet de notre expédition. Permettez-moi d’abord de me présenter officiellement, ainsi que son excellence : Je m’appelle Montague Greenberg, je suis le garde du corps personnel de Mme De Bjorn que voici, la présidente de la fondation qui vous emploie, et je serai également son intendant pour cette expédition.

La présidente de la fondation fit un très léger geste de la tête à l’intention des expéditionnaires.

- Cela signifie que chacun d’entre vous sera sous mon autorité durant les prochains mois, quand vous ne recevrez pas d’ordre direct de la présidente. En revanche, vous aurez vous-même le loisir de commander aux autres membres non-expéditionnaires qui nous accompagnent : porteurs, guetteurs, chasseurs et j’en passe. N’hésitez donc pas à demander leur assistance chaque fois que cela est nécessaire. Pour le reste, je serai votre superviseur, mais ne vous en faites pas, je ne suis pas particulièrement autoritaire, et j’aime mieux que nous soyons une véritable équipe.

Sans attendre les réactions de l’assemblée, Montague se releva et traversa le salon en quelques enjambées. Debout devant une large bibliothèque, il fit coulisser deux grands pans du mur en bois pour découvrir une carte du continent. Se saisissant d’une longue tige de bois, il pointa un emplacement à une certaine distance au Nord de la Grande Belle Thil, en amont du fleuve que le bateau remontait présentement.

- Voici notre prochaine destination. C’est la petite cité d’Iskatei, une ancienne ville de prospecteurs. C’est ici que nous débarquerons. Nous y complèterons nos provisions et embaucherons des porteurs et guides de montagne. Car oui Messieurs-Dames, nous partons à l’assaut de la montagne. Cette expédition est une mission de prospection. Nous nous rendons dans des contrées pour le moment inexplorées, si ce n’est depuis le ciel : le vaste massif montagneux des Impalpables. Outre le travail de cartographie, d’étude de la faune et de la flore, nous partons en quête de nouvelles veines de charbon et, qui sait, d’or peut-être.

Montague se satisfit d’entendre un murmure parcourir l’assistance. Plusieurs membres se penchèrent pour murmurer quelque chose à l’oreille de leur voisin. Au bout d’un moment, il ajouta :

- Si vous avez des questions, je suis prêt à y répondre.

Léopold Singrier bougonnait dans sa barbe tandis qu'un brouhaha croissait parmi les invités. Chacun interpellait son voisin, certains lançaient quelque question qui s'égarait parmi le tumulte verbal qu'avait induit la présentation de leur mission.
Léopold ronchonnait. Trop peu d'informations données même si l'aventure lui semblait bien motivante.
Il lui fallait en savoir plus !
Il se leva brutalement et d'une voix grondante il invectiva Montague Greenberg :

- Est-ce qu'on se séparera en équipe pour arpenter la montagne ? Qui formera les équipes ?

La question était intéressante. Après avoir ainsi discuté avec plusieurs membres de l'expédition, il apparaissait que nombreuses compétences existaient en double voire triple chez les aventuriers. S'il était décidé d'embaucher des guides et porteurs, un travail en équipe plausible.

Le jeune homme regarda sa compagne avec inquiétude. Il n'était pas question de perdre de vue cette petite écervelée. Quoiqu'il arrive, il ferait en sorte qu'Hae reste avec lui !

La question était intéressante en effet. Jake avait déjà eu l'occasion par le passé de s'aventurer dans ces montagnes, et le souvenir qu'il en gardait restait encore très vif dans sa mémoire. Il était excité, cette expédition s'annonçait plus captivante que ce à quoi il s'était attendu. Il faudrait néanmoins qu'ils restent tous prudents. Diviser le groupe en équipes ? Possible... A condition de le faire intelligemment, d'équilibrer les atouts et de ne pas faire de trop petits groupes.

Cette expédition n'était pas qu'une simple balade dans les massifs rocheux. C'était bien plus que ça... Le danger était présent. Ils allaient prospecter dans des contrées inexplorées, ce qui était synonyme d'inconnu. Chaque participant allait devoir mobiliser toutes ses ressources.

Jake observa l'assemblée avec un oeil nouveau. Il ne les connaissait pas et ne leur faisait donc pas confiance. Il espérait néanmoins que cette aspect évoluerait. Pour un travail d'équipe efficace, et ce peu importe l'équipe, ce point était primordial.

Elthan assis un peu l écart fronça les sourcils avant de sourire avec malice. Un travail d équipe, quelle bonne idée et justement une venait de lui traverser l esprit. Il scruta les alentours et remarqua qu il était le seul botaniste qualifié. Il n hésitera pas a utiliser cette donnée. Il garda le silence, reajusta son col et s installa plus confortablement.

Montague leva les bras à l'attention de l'assemblée en signe d'apaisement.

- Messieurs-dames, un peu de calme, s'il vous plait.

La rumeur s'éteignit rapidement, tandis que les têtes se tournaient à nouveau vers lui. les expéditionnaires ne se connaissaient pas, il fallait bien s'attendre à ce genre de tumulte.

- Pour le moment, se séparer n'est pas à l'ordre du jour. Nous vous communiquerons plus avant en fonction de l'avancée de notre travail. Mais la question est pertinente, puisque cela peut effectivement arriver. Auquel cas bien sûr, nous prendrons soin de composer les équipes minutieusement. La Fondation, représentée par Mme de Bjorn et moi-même, souhaite avant tout la sécurité de nos expéditionnaires - notre propre sécurité si je puis dire.

La présidente était toujours silencieuse, mais considérait ses invités avec un regard bienveillant.

Au moment même où la salle avait laissé éclater sa réaction, Harlidane s'était senti déçu.
Une simple prospection ? Prospecter, même de l'or, impliquait de creuser la roche, de tamiser des kilomètres de lit de rivière pendant des mois et ce, sans assurance de réussite. Etait-ce là l'"aventure" qu'on lui avait promis ?

L'idée d'explorer un territoire inconnu le rassurait. En cas de division, il s'arrangerait pour être le plus dégourdi de son groupe, afin de laisser la basse besogne aux autres. "Enfin, c'est toujours mieux que de croupir à Belthil", pensa-t-il en caressant machinalement l'un des fils ondulés qui tombaient avec nonchalance de sa chevelure.

Un ancien village de prospecteurs ? N'y avait-il pas une raison si les anciens prospecteurs étaient partis ?

..."Nous vous communiquerons plus avant en fonction de l'avancée de notre travail..."

"Mmh, visiblement, ils n'ont pas envie de nous en apprendre beaucoup plus. Gardons nos flèches tant que la cible n'est pas sûre." Il réprima donc sa question et s'appréta à se lever pour rejoindre sa chambre, si comme il le pressentait aucune autre question ne venait à se soulever. Cela faisait une bonne semaine qu'il n'en avait pas pris...

Les avis des uns et des autres semblaient très mitigés. Certains se réjouissaient de la nouvelle selon laquelle nous ne serions pas divisés, d'autres peu motivés à réaliser une expédition de prospection.

Jake était néanmoins rassuré par la réponse de l'homme. L'idée de se retrouver divisés en groupes alors qu'ils avaient aussi peu d'informations sur leur quête à venir n'était pas alléchante, que du contraire. De plus, il aurait ainsi bien plus de temps à sa disposition pour en apprendre plus sur tous les membres de l'expédition.

- Je pense en effet que c'est bien plus sage de rester ensemble pour l'instant, nous ne disposons au final que de très peu d'informations...

Il inspira et poursuivit :

- Ce qui me pousse à me questionner... Vous semblez en savoir plus. Pourquoi êtes-vous aussi prudent ?
Pour être tout à fait franc avec vous, je suis totalement efficace lorsque j'ai confiance en mes partenaires. Je compte apprendre à les connaitre en mettant le temps à venir à profit, cela va de soi. Seulement je ne peux m'empêcher de me sentir mal à l'aise. J'avais espéré que cette réunion déboucherait sur un plan détaillé et précis. Je suis un peu sur ma faim, on va dire.

Jake soupira. Il savait qu'il était parfois bon de faire profil bas, mais les risques de ce voyage étaient réel. Il ne pouvait s'empêcher de ressentir un certain malaise vis à vis de leur avenir incertain.

La réunion dura une partie de l’après-midi au cours de laquelle les questions des présents trouvèrent des réponses d'une précision souvent variable. Au terme de la présentation générale, la présidente prit congés des expéditionnaires. Chacun se rendit à sa cabine, ou alla vaquer à ses occupations. Montague fit distribuer à tous des documents, notes et rapports sur la chaîne des Impalpables, en fonction des spécialités des uns et des autres. La littérature était malgré tout assez maigre, en géologie, en biologie ou en termes de climat. La région n’avait jusque ici pas ou peu passionné les scientifiques, étant assez pauvre en ressources et en bio-diversité. Les données existantes se basaient essentiellement sur des reconnaissances aériennes menées par la flotte de la cité des airs. On connaissait donc bien la cartographie des lieux et sa topologie, mais finalement peu la réalité au sol. La découverte de filons aurifères çà et là avait déclenché de courtes ruées vers l’or, éconduisant de nombreux prospecteurs malchanceux. Des sociétés d’exploration moins puissantes que la Fondation de Bjorn avaient tenté d’effectuer des percées dans les terres inconnues, se concluant pour une majorité par une fin dramatique. Au final, la région était principalement animée par l’économie forestière, le commerce du bois et des peaux.

La remontée de la rivière s’effectua en une poignée de semaines. La présidente de la fondation se montrait peu, mais les expéditionnaires prenaient leur dîner ensemble chaque soir en compagnie de Montague Greenberg, apprenant à se connaître entre eux. Enfin, à la fin du mois de février, le vapeur jeta enfin l’ancre au port de pêche d’Iskatei. Il se résumait maintenant à un village de taille moyenne, mais on devinait immédiatement qu’il avait été beaucoup plus grand par le passé.
Des consignes furent données aux expéditionnaires : ils pouvaient visiter librement le village pendant que l’équipe de la fondation recrutait du personnel pour l’expédition. Un dernier dîner tous ensemble était prévu le soir, et l’expédition partirait le lendemain à la première heure.

Aussi, au lever du soleil le jour suivant, les expéditionnaires se rassemblèrent à la lisière de la ville, dans une vaste équipée qui donnait à voir les moyens de la fondation. Outre le groupe d’aventuriers recrutés à la Grande Belle Thil, plus d’une cinquantaine d’hommes et de femmes - employés de la fondations et autochtones – s’affairaient autour des attelages des traîneaux, des meutes de chiens, des buffles de montagne, emportant de grands paquets contenant toute sorte de matériel d'expédition. En tête de colonne, Montague Greenberg semblait absorbé dans une discussion à bâtons rompus avec une jeune femme à l’aspect sauvage et au visage dur. Enfin, à quelques dizaines de mètres à l’avant-garde, une silhouette menue, emmitouflée dans une veste polaire et munie de deux bâtons de marche : la présidente de la fondation, la main en visière au dessus du front, scrutant les montagnes qui s’étendaient au Nord-Est.

Haesobya était gelée jusqu'aux os. Si elle aimait l'air revigorant de la montagne, la jeune femme avait tout de même quelques difficultés à s'adapter à cette rapide chute de température. Depuis leur arrivée, elle ne cessait de frisonner de tout son corps au point d'en avoir les muscles douloureux.

Anthonin prenait un malin plaisir à se moquer de son amie, la raillant sur son esprit d'aventure déjà freiné par le froid ! Il la força à sortir de la chaleur relative, mais tout de même plus douce, de la chambre, pour profiter du quartier libre et visiter le village.
Il n'y avait pas beaucoup de boutiques à visiter mais il régnait une ambiance chaleureuse et accueillante parmi les villageois qui prenaient grand plaisir à expliquer leur art. Ils passèrent ainsi une grande partie de la journée à écouter sculpteurs et tanneurs parler avec passion de leur métier, tout en sirotant vin chaud ou liqueur de la région autour d'un poele ou d'une cheminée.
La rumeur de leur expédition avait très rapidement fait le tour du village et les anciens en profitèrent pour raconter les mythes et légendes autour de leur région.