En poursuivant votre navigation, vous acceptez l'utilisation de services tiers pouvant installer des cookies. En savoir plus

Voir les sujets non lus
Marquer tous les sujets comme lus
Accéder aux archives

[Confrérie] La Corne de l'Origine

Exodus(...), Teclis, Sharah'In,

  • 120 sujets
  • 105 réponses

5 nov. 2015 - 15:23

Exodus(...) a dit :

Aujourd'hui.

Le bruits des bottes se frayant un chemin dans l'eau stagnante des tunnels submergés résonnent sur toute la longueur du canal. La surface noire se couvre de rides, lesquelles reflètent étrangement la faible lumière cuivrée qui inspecte les murs.
Le tunnel est fait de pierre, de verre et d'acier, mais il demeure affreusement sombre sous les mètres d'eau. Les murs sont parsemés des verres de lampes à huile brisés et plusieurs de ces grandes vitres de cristal sont fissurés par endroit, laissant couler un filet d'eau imperceptible. L'eau salée de la baie d'Atalantë a filtré au fil des siècles le long des parois, effaçant les peintures autrefois colorées et ne laissant plus qu'une trainée de limon vert, noirâtre par endroit.
Les trois silhouettes tentent de progresser au milieu des monticules de sédiments et de débris charriés puis accumulés. Elles luttent contre l'eau noire qui leur monte jusqu'aux genoux, et à chaque embranchement du tunnel sous-marin, un bruit de papier froissé résonne, suivit de quelques mots.

– On prend à gauche, dit l'une des voix.
Nouveaux bruissements de papier. Une odeur de vieux livre parvient pendant quelques instants à couvrir celle de la moisissure.
– Tu tiens le croquis à l'envers! Répond une seconde voix. Regarde, c'est tout droit, juste après le bois pourris.
– Il y a du bois pourris partout ici, comment veux-tu qu'on se repère!
– Et encore, s'il n'y avait que ça... Fait remarquer une troisième voix. Je ne sais pas et je ne veux pas savoir dans quoi je met les pieds! Au fait, remet un coup de pied à ce bazar, la lumière faiblit.
Après un bruit de métal rencontrant la pierre, le groupe se remet en marche à la lumière tremblotante d'une espèce de boule de cuivre ronronnante affublée d'un manche et d'une manivelle. L'engin émet un grossier halo de lumière sur environ une dizaine de mètres.
Nouveau croisement.

– Bon, cette fois on va continuer tout droit.
– Mais c'est pas vrai, comment tu fais? Là, l'image montre bien qu'on prend à droite, bon sang!
– Mais il n'y a rien à droite, tu prends le mauvais feuillet!
– A qui la faute, hein? Qui a laissé tomber le calepin dès les dix premiers mètres et nous a assuré que tout avait été remis dans l'ordre?
– Je ne serais pas tombé si le sieur en charge de la lampe avait rempli son –
– Dites, messieurs... intervient soudain la troisième voix.
– Quoi? Rugissent les deux querelleurs en cœur.
– Sans vouloir vous commander, je vous suggère néanmoins d'opter maintenant pour une direction, et si possible la bonne. Très rapidement, même.
– Et quelle est la raison de cet empressement? Une peur soudaine du noir?
– Non, l'explication est plus simple, répond la troisième voix. Il se trouve que je viens de marcher sur quelque chose, et que ce quelque chose a bougé. Et c'était un gros quelque chose. Un très gros.

* * *


Six jours auparavant. Laboratoire du Maitre Archiviste.

– Tu me répète ça? demanda Exodus d'une voix incrédule.
– J'ai dis, et dans la langue commune il me semble, que je venais de retrouver la Corne de l'Origine, répéta Teclis avec une infinie patience.
Le silence se fit pendant quelques instants.

– Oui. Bien sûr. Et sinon, maitre archiviste, à quand remonte votre dernière sortie au soleil? En dehors de se placer sous la fenêtre, j'entends. Le trop plein de fumé issue de leurs expériences, voilà ce qui obscurcit le cerveau des hommes de science.
– Et dans le cas des répurgateur, c'est leur scepticisme crasse, à moins qu'il ne s'agisse de leur appétit insondable, rétorqua Teclis avant de se tourner vers son autre invité. Tu n'es pas d'accord?
Sharah'In acheva le troisième ré-accordage d'Anamorphose depuis son arrivé dans la pièce (environ trois minutes) puis regarda les deux hommes avec un sourire amusé.
– Joker, préféra-t-elle répondre en pinçant légèrement une corde. En tout cas, vos petites joutes verbales ne m'apprennent pas ce qu'est cette fameuse corne.
Les deux Enfants lui jetèrent simultanément le regard le plus étonné de leur vie respective.
– La Corne de l'Origine! Commença Exodus. L'Abondance, le Don! La relique, quoi!
– Et c'est censé me parler, m'inciter à me mettre à genoux et à remercier le ciel pour que le mot ait été prononcé? Désolé de vous le rappeler, mais je n'ai pas suivis le moindre catéchisme, aussi va-t-il falloir reprendre les bases avec moi. C'est quoi, cette corne?
– Bon, on va tout reprendre depuis le début, dit Teclis en se levant de son siège pour aller chercher dans une étagère un lourd volume relié, dont la couverture de cuir virait au noir. Il sera plus simple d'expliquer à la fois ce que représente la Corne et comment j'ai retrouvé sa trace que de faire deux discours séparés...
Il revint en direction de son bureau devant lequel se tenaient ses deux invités et y laissa tomber le livre, lequel émit un bruit sourd en rencontrant le bois durcis. De près, on voyait dépasser des pages et de la reliure un nombre faramineux de papiers et de marque-pages annotés, preuves des nombreuses heures que Teclis avait passé à s'user les yeux sur les écritures en pattes de mouches.
Il promena ses doigts parmi les marque-pages et s'arrêta au bout d'un moment pour révéler une page jaunie, recouverte d'une écriture élégante mais légèrement passée, piratée ça et là par les commentaires de l'Archiviste.

– Bien, commençons par le commencement. La première source traitant de l'apparition de la relique est une lettre d'un régisseur allanthrope à ses souverains, durant le règne mille fois maudit des Princes Esclaves. A cette époque, toute découverte humaine était en droit d'être revendiqué par les régisseurs et - Oui, qu'est-ce qu'il y a?
Sharah'In baissa sa main.
– Les Princes Esclaves, dont tu parles, qui sont-ils?
– Qui étaient-ils, corrigea Teclis froidement. Je n'ai ni le temps ni l'envie de présenter leur empire décadent, mais pour faire court, disons qu'ils représentaient le pouvoir entier et globale sur le monde, il y a plusieurs siècles de cela. Nous les nommons Princes Esclaves car ils étaient autant les esclavagistes de notre race bénie, réduite alors à la condition de simple objet obéissant à leurs moindre caprices, que les propres esclaves de leurs croyances païennes et décadentes. Eux-même se nommaient, avec un manque total de clairvoyance et une arrogance blasphématoire, "les Immortels". C'est d'eux que nous libéra Sa Parole et Sa Colère, et c'est sûr les cendres de leur corps que nous retrouvâmes le chemin des Élus. Maintenant je reprend. Donc, la découverte de la relique remonte à avant la Libération, dans une lettre informant le prince en charge de la récente découverte d'un objet aux propriétés uniques, trouvé dans une communauté d'esclaves - les humains, donc - jusque là sans histoire. L'objet miraculeux, de la forme d'une grande corne creuse, aurait la propriété de reproduire à l'identique et en double tout objet que l'on y plonge, pour peu qu'il rentre. Le régisseur, après avoir précisé l'exécution de plusieurs esclaves, pour la forme, gratifie la corne d'un sobriquet que les princes adopteront, à savoir "le Cadeau des Esclaves". A partir de là, les humains perdent toute trace de la relique qui est envoyée comme présent au prince par le régisseur, et qui servit sans doute à leurs projets décadents et grotesques. Mais le bruit de ce vol court déjà parmi les populations asservies, qui commencent à vouer un culte à ce qu'elles appellent alors le Don.
Il s'interrompit le temps de remplir un verre d'un liquide transparent et, après en avoir proposé à ses invités, vida le contenu d'un trait.
– Où en étais-je? Ah oui. La trace de la Corne, donc, fût perdue pour une bonne soixantaine d'années, dont une longue période durant le chaos qui succéda à la Libération. Mais c'est alors qu'apparaissent les travaux de celui qui allait devenir l'un des premiers Archiviste, à savoir Trebaldio Denice et dont l'un des journaux se trouve sous vos yeux ébahit. Il commença des recherches pour essayer de trouver des signes que l'Unique nous aurait envoyé avant la Libération et explora pendant plusieurs années les ruines accessibles de l'empire allanthrope. Il finit par trouver, en 201 avant la Reconquête, la trace d'un groupe d'esclaves qui aurait subtilisé la corne afin de la protéger, avant de fuir hors du continent.
– Pourquoi fuir hors du continent alors que le Culte se révélait enfin? intervint Exodus. Ils auraient tout aussi bien pu l'amener aux hautes autorités, cela nous aurait évité de perdre la relique une seconde fois.
– Le vol de la Corne avait eu lieu une quinzaine d'année avant la Libération, soit treize ans avant Xupimada elle-même. Les bordures de l'Empire avaient beau être malmenées par les soulèvements, le Culte n'avait pas encore été révélé dans Sa gloire, et aucun territoire sous la charge d'un régisseur princier n'était sûr. D'après les documents qui furent retrouvé par Trebaldio dans les ruines de leur cachette, ils étudièrent la Corne pendant environ un an, avant d'entamer la fuite. Toutefois cette année fût un déclencheur primordiale du mythe de la Corne, car les esclaves y virent les premiers l'action de l'Unique dans la création d'un tel objet, et par des études approfondies aboutirent à la conclusion que la Corne avait été un instrument de l'Origine.
– Un instrument? Releva une Sharah'In soudain bien plus intéressée par le discours de Teclis que par les mouches volant ça et là.
– Ils aboutirent? Releva un Exodus soudain perplexe. Attends, les Textes ont toujours parlé de la Corne de l'Origine, je veux dire... C'est un fait. Elle est révérée comme telle depuis son apparition, non?
– Pas exactement, répondit Teclis. En fait, les documents rapportés par Trebaldio firent grand bruit dans les hautes sphères de l'autorité du Culte. Le problème étaient qu'ils risquaient de perdre une partie de leur légitimité si d'autres qu'eux avaient étudié et reconnue l'Unique auparavant, et pire, avait apporté Sa parole ailleurs, sans qu'ils le sachent. Ils craignaient l'existence d'un Culte parallèle dont ils n'auraient pas entendu parlé, aussi décidèrent-ils deux choses: premièrement, confier à Trebaldio Denice la charge de trouver la Corne et d'identifier un possible Culte sur un autre continent. Deuxièmement, réorganiser les premiers Textes et l'enseignement de manière à ce que le Don ait toujours été connue comme La Corne de l'Origine, l'instrument divin duquel furent tirées les premières notes de la Création du monde par l'Unique, et dont l'écho toujours présent dans l'instrument vibre encore aujourd'hui.
– Une note infinie, songea Sharah'In à haute voix. Une note qui serait la première.
– Et pour la Corne, est-ce que Trebaldiu en a retrouvé la trace?
– C'est Trebaldio. Et la réponse est à la fois oui et non. La Corne, comme tu t'en doute, ne fût jamais retrouvée. D'après les journaux du chercheur, il eu beau courir les continents voisins pendants cinq ans, ils n'en trouva aucune trace, ni d'elle ni d'un quelconque Culte secondaire. Pourtant les esclaves avaient quitté notre continent par la mer, c'était certain. La seule conclusion était que le navire avait été engloutie, et la Corne avec, avant de pouvoir atteindre leur destination. Pour les hautes sphères, l'enquête était close et d'une manière satisfaisante. Mais pas pour Trebaldio. Il passa encore deux ans à essayer de retrouver des traces du passage de la Corne et surtout à identifier leur destination probable. Et il finit par faire ressortir un nom parmi tout les autres: Ter Aelis. Malheureusement, il fût définitivement rappelé à l'ordre par les Ministres avant d'avoir pu exploiter cette information, laissant soin à celui qui lui succéderai de poursuivre les recherches.
Les yeux de l'archiviste pétillaient tout en fixant intensément ses deux invités, dans l'attente d'une réaction aussi joyeuse que la sienne.
– Parfait. Il ne reste plus qu'à trouver le moyen d'explorer les fond marins qui séparent les deux continent, à soulever chaque corail et à fouiller chaque banc de sable et on finira par la trouver. Je propose aussi d'ouvrir touts les bénitiers que l'on croisera, certains pourraient l'avoir avalé.
– Sans vouloir paraître aussi pessimiste que notre ami, connaître la destination de l'instrument ne nous aide pas. Il est toujours perdu au fin fond de l'océan, et on n'a aucun moyen de le récupérer.
– C'est ce que je pensais aussi, dit Teclis avec un sourire en coin. Jusqu'à il y a environ deux semaines...

* * *



Aujourd'hui.

Les bruits de course se font entendre, accompagnés d'impressionnantes éclaboussures et de souffles courts. Les trois silhouettes émergent du couloir à pleine vitesse, bizarrement éclairées par l'étrange lampe qui n'arrête pas d'osciller. Ils s'arrêtent enfin, hors d'haleine, après avoir jeté un œil craintif derrière eux.
– On... On l'a semé? Demande la voix de Teclis, tremblotante et essoufflée.
– Je crois bien... Ça m'étonnerais qu'il arrive à nous retrouver dans ce labyrinthe, répond la voix d'Exodus, essoufflée elle aussi mais plus contrôlée.
– A vrai dire, commente Sharah'In, plus calme, ça m'étonnerait qu'on y arrive nous même, vu le nombre d'embranchement qu'on a pris. On s'est perdu, à coup sûr.
Les fuyards se taisent et regardent autour d'eux. Ils se trouvent à un carrefour entre cinq couloirs différends, que la lumière tremblotante peine à éclairer. Et rien ne distingue celui par lequel ils sont arrivé des autres. D'ailleurs, par lequel sont-ils arrivés?
– Euh... J'ai pas vraiment eu le temps de suivre le plan pendant notre course, fait timidement remarquer l'archiviste.
– Tu aurais eu du mal, vu que la lumière courait deux mètres devant toi, se moque la musicienne. D'ailleurs, dit-elle en se retournant vers le répurgateur, c'est étonnant que tu ais fuis, quand on pense que tu te plains sans cesse des prix prohibitifs du calamar sur les marchés de Belthil, hum?
– Je me plains du prix des calamars, mais ce qu'on avait au cul était un putain de poulpe géant! Au moins cinq mètres qu'elle faisait cette saloperie! Alors tu m'excusera d'avoir songé pour une fois à ma survie plus qu'à son estomac. Et puis je n'aime pas le poulpe. Au fait Tec', j'ai l'impression qu'il y a un problème avec ta lampe, elle...
La lumière qui est en train de sauter de plusieurs seconde s'éteint d'un seul coup, plongeant le groupe dans le noir complet. On entend le bruit d'un coup de pied donné dans de la ferraille, un juron, un autre bruit de manivelle cette fois, mais toujours pas de lumière.
– Génial. Il est foutu.
– Minute, c'est quoi ça?
L'un des couloirs laisse filtrer une douce lumière, en provenance d'un virage qu'effectue la parois deux mètres plus loin, et que la lumière de la lampe empêchait de remarquer jusqu'à présent. Le groupe avance à tâtons en direction de la lumière, trébuche, se cogne, puis débouche enfin dans une salle octogonale d'environ cinq mètres carrés, munis d'étranges gradins et raccordée par encore deux autres couloirs. Les murs sont peints de plusieurs fresque ancienne multicolores et là où aucune figure n'est représenté, la pierre est couverte d'une couche de bleu ciel. Du plafond s'écoule la douce lumière du jour, amenée depuis la surface par une longue canalisation tapissée de miroirs, serpentant entre les plafond de verre des canaux inondés.
– Le soleil, même au plus profond de la mer, commente Sharah'In en se plaçant sous les chauds rayons dorés.
– Eh, regardez un peu par là...
Les Enfants se regroupent près d'un mur où l'Archiviste examine avec intérêt les fresques peintes.
– Ça ne vous rappelle rien? demande Teclis avec un grand sourire, tout en pointant du doigt le dessin superbe bien que vieillit d'une corne d'où jaillissent un flot ininterrompu de fruits multicolore.

* * *



Six jours auparavant. Bureau du Primat.

– Et donc, vous êtes venus à trois pour me donner un cour d'histoire sur des évènements que toute personnes un tant soit peu élevée dans la hiérarchie connait. Formidable.
Le regard du Primat ne laissait paraître aucune émotion, tout comme le ton de sa voix, mais la légère crispation de sa mâchoire indiquait aux connaisseurs qu'aujourd'hui n'était pas un bon jour pour venir lui parler de frais de voyage. Pour les plus fins observateur, qui connaissaient le Primat depuis longtemps, la manière dont il avait posé ses mains en cloche devant sa bouche, Antienne posée juste à côté de son bureau et enfin la quantité impressionnante de papiers et formulaires qui occupaient un coin du bureau signalait quand à eux que ce n'était carrément pas une semaine où l'on pouvait l'approcher.
– C'est formidable mais néanmoins étonnement léger de votre part, vous m'avez habitué à mieux lorsqu'il s'agit de me faire perdre mon temps, particulièrement celui de mes trop courtes pauses. Alors soit vous me dites que tout cela sert à quelque chose, soit l'un de vous m'avoue la/les catastrophe(s) dont il est responsable, je lui présente Antienne et on en parle plus.
La dernière phrase avait été accompagné d'un regard prolongé sur Exodus et Teclis, lesquels étaient classés en premières places dans la section "danger à toute heure" selon le classement mental du Primat. Sharah'In avait été partiellement épargnée par les regards de mort, DeVaanne la considérant comme bien plus calme, mais méfiance se disait le Primat: elle était rarement la dernière à suivre lorsqu'il s'agissait de mener des actions contre-hiérarchiques et généralement négatives pour ses nerfs.
– Vous avez trente secondes, précisa le Primat d'une voix inflexible. Et si l'un de vous prononce les mots "Budget", "Augmentation" ou encore "Gingembre", j'en tue deux dans le tas, et pas forcément au hasard.
Teclis se mit à tousser et farfouilla frénétiquement dans ses notes pour arriver au plus vite à l'essentiel. Exodus s'étira nonchalamment sur sa chaise, commença à compter et mesura discrètement la distance qui le séparait de la porte. Sharah laissa s'étioler une note légère toute en longueur.
– Hum, voilà, commença Teclis, il y a deux semaines, notre mission à Atalantë a procédé à la disparition discrète d'un soi-disant artiste peintre, un sang-mêlé orc, qui était connu pour ses aquarelles ventant l'art et la beauté allanthrope. Toutefois, il était aussi célèbre pour mener de nombreuses descentes dans les canaux sous-marins de la ville, à la recherche de décors et cardes inédits pour ses créations. Cette manie a d'ailleurs été une bonne excuse concernant sa disparition.
– Et qu'est-il devenue, ce fameux peintre, pour que tu m'en parle tant?
– Lui? Je n'en sais rien, et entre nous je n'ai que faire des tas de mâchefer, leurs applications dans mon domaine d'étude étant très limitées. Ce qui est important, c'est ce que sont devenu ses peintures et schémas. Comme à chaque fois, la grande majorité m'a été envoyé pour que de décide de leur sort, c'est une habitude que les missions ont prise quand elle ne savent pas quoi faire des documents sortant de l'ordinaire. Bref, j'allais classer le tout dans la partie combustible pour l'hiver lorsque j'ai reconnue quelque chose... ici, dit-il en montrant du doigt un détail sur l'un des schémas au crayon  qui encombrait son porte-document.
Le croquis avait été partiellement coloré par endroit par plusieurs test de couleurs. Le tout représentait assez bien une salle octogonale bleuté et apparemment éclairée par une source de lumière venant d'en haut. Quelques fresques avaient été copiées à la va-vite mais l'une d'elle avait été coloré et reproduite avec apparemment beaucoup de minutie.

– On dirait une sorte de... corne? Fit DeVaanne, comprenant peu à peu où l'archiviste voulait en venir.
– N'est-ce pas? J'ai alors ressortie les document liés aux journaux de Trebaldio Denice et ai regardé de plus près les reproductions qui les accompagnaient. L'une d'elle, celle-ci, m'a particulièrement intrigué.
Il présenta au Primat la reproduction d'un croquis détaillé, là encore représentant une corne. Les deux schémas étaient presque identiques au niveau des détails, à l'exception de la version d'Atalantë, laquelle s'accompagnait de nombreux motifs floraux et fruitiers.
– Elles sont quasi-identiques.
– Jusqu'aux moindres détails, hormis les décorations annexes. L'une d'elle est une reproduction fidèle de la Corne de l'Origine, datant de presque quatre siècles et demi, et dont le sujet est censé avoir disparu en mer, entre le continent de l'Unique et Ter Aelis. L'autre est une fresque au sujet identique en tout point avec la première, peinte dans une salle engloutie des canaux d'Atalantë, Cité de Ter Aelis connu pour être le premier accès au pays avant Galvorn, et ce depuis des siècles. Conclusion?
Le silence se fit pendant quelques instants autour de l'Archiviste. Tout le monde fixait DeVaanne en l'attente soit d'une réponse, soit d'une explosion.
– Conclusion, dit-il, vous partez tout les trois pour Atalantë dans l'heure. Oui, j'ai bien dis trois, Sharah, tu accompagnera ces deux andouilles. Hors de question de les laisser seuls tout les deux, ils feraient au mieux exploser l'archipel tout entier. Aucune réclamation ne sera acceptée.
– Je comptais de toute façon partir avec eux, souligna la musicienne.
– Et maintenant tes désirs son mes ordres. Remercie l'Unique que pour une fois nos vœux aient été communs.
– Au fait, commença Teclis, pour le trajet, serait-il possible d'obtenir une légère, euh, subven -
Le Primat se retourna sur sa chaise à la vitesse de l'éclair, saisi Antienne à une main et la releva au dessus de sa tête pour frapper. Quand il refit face à ses futures victimes, il ne restait plus d'elles qu'une chaise au sol tournant sur elle même et la porte de son bureau qui se refermait précipitamment.

* * *



Aujourd'hui.

– C'est creux, j'en était sûr! Se réjouit Teclis en tapant encore une fois des phalanges sur la fresque.
Il venait de se mettre à genoux dans l'eau croupie pour examiner la fresque sous toute les contours avant de commencer à taper sur toute la surface rocheuse, jusqu'à ce que celle-ci lui réponde par un bruit creux.

– Tu ferais mieux de te pousser, lui fait alors remarquer Sharah'In.
– Bien sûr, il va me falloir du matériel précis, poursuit Teclis en ignorant royalement la musicienne, pour ne pas risquer d'endommager ce qui se trouve peut-être derrière et -
– Chaud devant!
L'Archiviste a tout juste le temps de retirer sa tête de devant le mur pour voir passer à deux centimètre la botte ferrée du répurgateur. Celle-ci cogne violemment la parois et passe au travers de la fine couche de mortier. Toutefois, le mortier restant est toujours solidement en place.
– J'ai toujours rêvé de faire ça, s'extasie un Exodus aux anges. Encore un coup comme ça et... merde.
– Quoi-donc? Demande Sharah'In alors qu'elle agite vainement la main devant le visage de Teclis, pétrifié en une grimace d'horreur.
– Mon pied est coincé.

Dix minutes plus tard, la couche de mortier est enfin enlevé, le Répurgateur a retrouvé sa botte (qui avait quitté son pied lorsqu'il avait forcé pour le retirer) et Teclis s'était remis de son choc. Exodus remet son pied trempé dans sa botte et rejoint les autres dans la minuscule pièce rectangulaire qu'ils viennent révéler.
Teclis se tient accroupi dans l'eau, le bas de sa robe se gorgeant d'eau salée. Ses yeux sont grand ouverts, l'émotion le submergeant alors qu'il contemple une faible lueur qui filtre au travers de l'eau, laquelle ne cesse de vibrer à un rythme régulier. Lentement, après s'être essayé les yeux dans le col de son habit, il baisse les mains dans l'eau et en ressort un lourd objet de la taille d'un bras, épais comme un nain. Sa surface, rappelant un étrange croisement entre de la nacre et du marbre, émet un douce lueur, alors que l'intérieur, semblable à celui d'une conque au début, laisse place à un noir total, ne permettant aucune certitude quand à la profondeur de l'objet. Teclis sent la Corne vibrer lentement dans ses mains, mais c'est bien peu face à l'excitation de détenir l'une des reliques les plus sacrés de l'histoire du Culte, qu'il pourra étudier à loisir. Sharah'In écoute avidement le vrombissement quasi inaudible en provenance de la Corne et qui perce vers ses oreilles, s'efforçant de reconnaitre en ce son un début de note. Exodus se régale à l'avance en imaginant tout ce qui pourrait rentrer dans cette relique pour en ressortir en double, et commence à dresser la carte des hors-d'œuvre et apéritifs.
Bizarrement, aucun d'eux ne semble soucieux des ossements antédiluviens du corps qui pourri au fond de la pièce depuis un peu plus de quatre siècles.


Teclis

*Belthil, près de dix jours auparavant*

La réserve était une salle souterraine, aux murs renforcés, située sous le laboratoire de Teclis. Elle permettait à ce dernier d'y entreposer toutes les inventions achevées qui n'avaient vocation à servir que ponctuellement, voire jamais. Le primat avait tout d'abord dédié cette pièce à l'entrainement des frères jurés mais les incessantes secousses, doublées aux invasions inexplicables de gallinacés et aux vapeurs toxiques qui filtraient depuis les interstices du plafond l'avaient convaincu d'abandonner. Finalement, l'archiviste avait transformé cet endroit en un extraordinaire capharnaüm après se l'être approprié.
Pour l'heure, le savant était en train de fouiller dans une imposante montagne de parchemins, de fioles, d'objets loufoques et d'étranges sphères duveteuses et jaunes. Tandis qu'il ronchonnait, Sharah'In passait ça et là dans les allées, effleurant des doigts certaines bizarreries.

- Tous les archivistes disposent de ton sens artistique et créatif ? demanda t-elle en examinant trois guitares électriques désaccordées.
- 'eu 'ment 'lus 'al.
- Je te demande pardon ?

La tête de Teclis, les cheveux pleins de poussière, jaillit de sous une pile de livres.

- Je disais : "Seulement les plus génial".
- Ha. Courte pause. "Géniaux" non ?
- Non, "génial", car en l'espèce, je suis le seul à être génial !
- Hmmm. Je vois que tu fais aussi profiter les règles grammaticales de ton sens de l'esthétisme plus que douteux.

L'archiviste allait lancer une réplique cinglante mais l'entrée fracassante d'Exodus dans la pièce, les bras chargés d'un énorme sac, provoqua un éboulement. Une armoire proche déversa son contenu sur le maître des lieux qui se retrouva enseveli sous une marée de pattes animales séchées, de griffes et de bocaux.

- Tiens, Teclis n'est pas là ? constata le répurgateur en tournant la tête à gauche puis à droite.
- Il croule sous le travail.
- Ha ? Exodus posa l'immense sac en toile. J'ai pris quelques provisions pour la route. Il y a dedans un magret de canard à l'orange, légèrement caramélisé, dont tu me diras des nouvelles. Et toi, que fais-tu ?
- Je m'ennuie, répondit la jeune femme en remontant un jouet automate.

La figurine représentait grossièrement un inquisiteur en armure doré qui moulinait l'air mécaniquement avec sa grande épée. Sharah'In remarqua qu'il était cabossé à plusieurs endroits, comme si on avait donné un coup de pied dedans.
Il se passa un petit moment durant lequel personne ne dit mot. Finalement, alors qu'Exodus s'était emparé d'un étrange objet cuivré avec une manivelle, il y eut un *SPROUTCH* et Teclis réapparut.

- ENFIN ! Je l'ai ! hurla t-il en brandissant un vieux bout de parchemin tout fripé.

La soudaine apparition brusqua le répurgateur qui fit un bond de coté. Sharah releva les yeux de son passe-temps.

- Et qu'est-ce donc ?
- Regardez... l'archiviste jeta un coup d'oeil vers Exodus et ce qu'il tenait à la main... tiens, tu l'as retrouvée, prends là, elle nous sera utile, il continua sans répondre au regard intrigué de son compère, voyez, c'est un vieux plan d'une partie des souterrains d'Atalantë. Il nous permettra de nous retrouver dans ce dédale. Je ne sais pas vraiment qui l'a tracé, mais il a l'air très précis.

Il tendit le papier aux deux autres. Sharah'In, le nez dessus, lut plus pour elle-même que pour les autres.

- "Syndicat d'initiative d'Atalantë, guide touristique année 754".
- Bien, nous allons y aller le temps que je prenne deux ou trois inventions de mon cru. Autre chose ?

Silence, puis...

*Gargouillement sonore*

Devant les regards appuyés, Exodus jeta son sac en toile sur son épaule.

- Il faut que je fasse un détour par les cuisines avant de partir.



***



*Gargouillement sonore*

- Exodus ? Tu n'arrêtes dont jamais d'avoir faim ?
- Hey ! Pour une fois, ce n'est pas moi...

Le répurgateur désigna Teclis qui se situait à environ deux mètres de lui. L'archiviste eut un haut-le-coeur et se pencha au dessus du bastingage du bateau de commerce qui voguait, avec à son bord les trois Enfants, vers Atalantë. Il réapparut une poignée de secondes après, le teint olivâtre.

- Je... je crois que j'ai le mal de mer.

Exodus eut un haussement d'épaules qui se voulait compatissant. Sharah laissa échapper une série de notes douces qui semblèrent se répercuter sur les flots. La mélodie s'accordait et se complétait avec le fracas de l'océan. Il y eut un nouveau roulis lorsque le navire percuta une vague et un énième gargouillement sonore. Lorsque Teclis reparut, de l'écume aux lèvres, Exodus se tenait près de lui.

- Et donc, théoriquement, c'est tout à fait possible que cette corne puisse générer une infinité de nourriture ?

La simple évocation du mot nourriture eut un effet terrible sur l'estomac de l'archiviste déjà malmené. Quelque secondes plus tard...

- Je te... l'ai... déjà dit cent fois... depuis le début du voyage... OUI !
- Je veux juste vérifier auprès de toi que la légende soit capable de dignement correspondre à la réalité, fit Exodus, le regard lointain.
- Si l'on trouve... cette corne... je peux dire qu'elle pourra multiplier nourriture et or dans ton cas.
- De l'or ?
- Oui, car une fois qu'on aura trouvé de quoi combler éternellement ta foi, et par la même ton foie... et il faudra pas moins qu'une des reliques de la Prime Origine pour ça ! Il est certain que les dépenses du culte seront diminuées de moitié environ.

Sharah lança une nouvelle note qui semblait clore la conversation. Le répurgateur posa les mains sur le bastingage et prit une pleine bouffée d'air frais en fermant les yeux. On aurait dit qu'il tentait de humer les saveurs de mille plats qui s'offraient à lui. Derrière le trio, un vieil homme édenté s'avança, en claudiquant avec une jambe de bois vermoulue.
Il avait l'air méfiant.

- M'zelle, m'sieurs. on s'ra à Atalantë d'ici demain soir. Les vents nous'ont favorables.

Il eut un raclement de gorge peu engageant. Une chose molle et visqueuse atterrit sur le pont du navire. Sharah eut un haussement de sourcils et son nez se retroussa. Exodus fit un pas vers le capitaine.

- Parfait ! Dites-moi mon brave. Serait-il possible d'obtenir une chambre pour mon ami, il tapa de manière bourrue dans le dos de Teclis, j'ai peur que l'air marin ne lui réussisse pas...

Les deux autres Enfants dévisagèrent le répurgateur une demi-seconde. Tant de sollicitude n'était pas coutumier d'Exodus. S'en était même suspect. Le loup de mer eut un nouveau reniflement.

- ça peut s'faire, mais j'vous préviens, j'n'ai pas d'quoi vous loger tous l'trois dans des chambres séparées.
- Ce n'est pas grave, répondit le répurgateur d'un air désinvolte, nous nous contenterons de laisser loger notre ami à part du fait qu'il est malade.

Une note horriblement stridente et grinçante retentit sur le navire. Les cheveux de tous les marins se dressèrent sur leur tête et une mouette qui passait par là se retrouva glabre comme un ver. Une légère pluie de plumes blanches permit à Exodus d'éviter de croiser le regard de Sharah'In dont les yeux lançaient des éclairs. Court silence puis....

*Sifflote*

Sharah' se détourna de son confrère et harangua le capitaine.

- Je prends la chambre unique. Ces messieurs logeront où bon vous semblera.

Devant son air impérieux, le vieil homme ne put que s'incliner maladroitement, sa jambe en bois coincée dans un interstice entre deux planches. Il y eut un froissement de robe et un bruit de pas qui s'éloignent. Exodus se tourna à nouveau vers l'horizon, accoudé au bois.

- Bien... tenté, laissa échapper Teclis dans un hoquet.
- Oui...

*Soupir amusé*
*Gargouillement sonore*



***


*Atalantë, un jour auparavant.*

Atalantë n'avait jamais été une cité touchée par Sa foi. En vérité, c'était même plutôt tout l'inverse. Cette île accueillait, du fait de sa position géographique de carrefour maritime, une faune éclectique d'allanthropes et de multiples religions. Si le protégé du primat, Tear, avait du déambuler dans les rues, il y aurait eu une véritable hécatombe. Heureusement, ce n'était pas les plus fanatiques des Enfants qui s'y trouvaient à l'heure actuelle.
Exodus regardait Teclis admirer les constructions et prendre des notes dans son calepin sur leur architecture -et potentiellement le meilleur moyen de les détruire accidentellement. Quant à Sharah'In, elle tenait Anamorphose contre elle en laissant échapper de temps à autre une note. Ses yeux se portaient parfois sur les étoffes que vendaient de riches marchands ou les artisans qui prétendaient être capables de tailler le bois comme personne, y compris pour en faire de magnifiques instruments de musique. Le trio, après s'être arrêté dans une auberge, s'était mis en route pour accéder aux souterrains de cette immense rocher. Pour ce faire, il fallait obtenir une autorisation auprès des autorités locales.

- Raison de la descente ? demande l'elfe huit fois centenaire.

L'allanthrope, desséché par les années, examina tour à tour ses trois interlocuteurs. Ses yeux inexpressifs s'arrêtèrent un bref instant sur le blason de l'Unique.

- Tourisme ? se hasarda Exodus.

Il obtint pour seul réponse un regard acide.

- Il parait qu'il y a de très belles enluminures là-dessous, continua t-il alors que le fonctionnaire rassemblait des papiers.

Le répurgateur consulta silencieusement ses collègues. Un Teclis désabusé hochait la tête de gauche à droite, quant à Sharah, elle grattait les cordes d'Anamorphose. Exodus allait partir lorsqu'une voix aussi acide que de l’absinthe gobeline l'interpella.

- Voici les formulaires à remplir. Vous devrez vous acquitter d'une taxe de 50 écus.
- Merci pour votre aide. lâcha l'Enfant en prenant le dossier.
-  Merci ? Ne me remerciez pas jeune homme ! L'elfe eut un sourire carnassier. Si je vous accorde cette autorisation, c'est dans l'espoir que vous ne reviendrez jamais à la surface.

Et d'un geste brusque, il abaissa la grille indiquant que son guichet était fermé.



***



- Ce bureaucrate... Il m'a rappelé l'administration de l'université d'ingénieurs du culte, commenta Teclis en gribouillant à la hâte les formulaires d'autorisation.
- Et moi l'attitude de notre cuistot lorsqu'il me voit débarquer dans sa cuisine, renchérit Exodus en mordant dans une belle pomme qui lui avait été offerte par une marchande aguicheuse.

Adossés aux ruines bordant le quartier artistique, les trois Enfants prenaient un peu de repos avant de s'engouffrer dans les souterrains. Teclis remplissait les paperasses de la bureaucratie locale tandis que Sharah'In faisait un inventaire de leurs bagages. En plus de leur surplus de victuailles, ils disposaient d'une solide corde, d'une lanterne "sans-feu" inventée par l'archiviste, de plusieurs grimoires et... La musicienne sortit du sac, un air dubitatif sur le visage, un canard jaune en plastique. Elle le pressa succinctement et un *pwik* sonore retentit. Survint alors ce qu'on nomme couramment dans le jargon scientifique un "conduit espace-temps cible".
Nous devons interrompre momentanément notre récit pour effectuer une digression ayant pour sujet ce très intéressant phénomène. Techniquement, il arrive parfois qu'un son ou un objet ayant une relation particulière avec un individu puisse influencer, lorsqu'il est activé, ce dernier. Pour illustrer notre propos, revenons quelques secondes en arrière au moment où le "pwik" démoniaque fut émis par le gallinacé synthétique. Un vortex miniature s'est ouvert et a aspiré cette onomatopée pour la véhiculer jusqu'à un point très éloigné dans l'espace. C'est pour cette raison que, inexplicablement, à des centaines de kilomètres d'Atalantë, le primat De Vaanne a eu le réflexe de relever la tête et de saisir sa zweihander alors qu'il était tranquillement installé à son bureau. Mais revenons à nos moutons...

- Ha. Tu l'as pris ? sourit Teclis.
- Oui... C'est vraiment ta plus belle invention, répondit le répurgateur en croquant à nouveau dans sa pomme, e'cep'é Ana'hème, continua t-il en caressant amoureusement la garde de sa rapière.
- Je ne sais pas si je dois être amusée ou exaspérée, soupira Sharah en continuant de répertorier le contenu du sac. Son inventaire s'était enrichi d'une douzaine d'éprouvettes hermétiquement fermées, d'un pistolet à répétition miniaturisée et d'une cuisse de poulet fumée. Vous devriez faire, parfois, appel un peu plus à votre bon sens -et je ne parle pas forcément de neurones- et un peu moins à vos principales caractéristiques : la paresse et le flegme.
- Mais c'est excellent d'avoir un peu de flegme et un chouïa de paresse, commenta l'archiviste en survolant les formulaires qu'il remplissait.
- L'Unique n'aurait pas inventé des édredons aussi douillets s'il ne voulait pas qu'on en profite !
- C'est très bien tout ça messieurs, conclut la musicienne en se redressant, mais où est la carte des souterrains d'Atalantë ?

Silence.

- Oups...



***



*Ruines de l'actuelle Atalantë, quelques siècles plus tôt.*


Le sang tourbillonna en se mêlant à l'eau salée. Il y eut un bruit sec lorsqu'Asphalän arracha son glaive de la poitrine de son ennemi. Le corps sans vie s'échoua sur un roc proche dans un sinistre craquement. L'esclave murmura une rapide prière à l'Unique et chercha d'autres adversaires à portée de charge.
Tout autour de lui, ses frères humains tentaient de repousser les Veilleurs, soldats éternels et traqueurs implacables au service de leurs anciens maîtres, les "Immortels". Alors que les feux de la rébellion embrasaient l'ancien continent et que le Protecteur de la race bénie punissait les païens en se révélant au grand jour, les guerriers des Princes Esclaves leur avaient donné la traque, à lui et ses compagnons, jusqu'ici, sur ces terres lointaines et inconnues. Cinq navires armés jusqu'aux dents avaient affronté les horreurs de l'océan, bravé les ouragans et les tempêtes, pour les capturer. Par miracle et grâce à Son appui, Asphalän et les siens étaient parvenus à en semer trois mais alors qu'ils avaient accostés sur cet îlot rocheux, deux sombres voiles s'étaient profilées à l'horizon.
Une défense rapide s'était organisée tandis que des barques remplies de Veilleurs fendaient les flots pour aborder cette forteresse naturelle. Les redoutables guerriers possédaient de larges boucliers et des lances barbelées conçues pour arracher les chairs, et faire souffrir au maximum la victime de leur morsure. Les fuyards le savaient, ces monstres étaient des pillards sans pitié doublés de sadiques. Si les humains étaient pris, ils connaîtraient, pour les survivants des combats, une fin longue et douloureuse. Cependant, il n'y avait pas de défaite possible. Si les laquais des rois païens les avaient suivis jusqu'ici alors que leurs royaumes étaient à feu et à sang, c'était pour une bonne raison : récupérer la relique...
A la seule pensée qu'un présent de l'Unique tombe entre leurs mains corrompues, une rage sans nom afflua dans les veines d'Asphalän. Le bras qui maniait le glaive frappa encore, encore et encore sur le bouclier d'un des Veilleurs. Des échardes de bois volèrent en tous sens. Son ennemi poussa un hurlement de colère et ouvrit sa garde pour embrocher l'humain de sa longue lance. Cependant, son coup manqua largement et il ne parvint qu'à tuer l'un de ses propres alliés qui lui tournait le dos. Asphalän profita de l'ouverture pour attaquer et un nouveau cri de douleur emplit la voûte céleste lorsqu'un bras tranché tomba dans l'eau. Plusieurs poissons carnivores et un gros crabe se jetèrent sur le bout de chair. Le vainqueur du duel brandit sa lame ensanglantée au-dessus de sa tête.

- MES FRERES ! TENEZ BON ! L'UNIQUE NOUS REGARDE ! FAITES HONNEUR A SA GLOIRE !

Des vivats lui répondirent un peu partout. De simples esclaves, vêtus de loques et équipés de primitives armes blanches, repoussaient l'élite de leurs oppresseurs. La foi faisait des miracles... Cependant, en voyant une quinzaine de nouvelles embarcations se diriger vers leurs positions, Asphalän comprit que même la plus fervente des convictions ne protégeait pas éternellement des flèches et de l'acier, surtout lorsque les assaillants étaient quatre à cinq fois plus nombreux. Il remonta donc vers le point culminant de l'île tout en ralliant ses hommes. Ses compagnons le suivirent en prenant soin d'achever leurs ennemis et de transporter du mieux possibles les blessés vers le lieu de repli.
Finalement, la petite troupe parvint, essoufflée et couverte d'entailles, au centre de l'atoll. Les y attendaient plusieurs femmes, enfants et vieillards qui s'étaient cachés au milieu de ruines antiques. Des retrouvailles imprégnées d'une étrange ferveur eurent lieu. Asphalän repéra Thuy, sa sœur, qui se précipita vers lui. Elle le serra dans ses bras.

- Ho ! Asphalän, tu es en vie. Qu'Il soit remercié, puis elle jeta un regard sur le groupe comme si elle s'attendait à voir quelqu'un d'autre, où est Olus ?

Son frère secoua la tête d'un air désolé. Il n'y avait pas besoin de mots. Autour d'eux, des cris, des pleurs, des remerciements... On aurait dit que sur cette minuscule île, prenait fin le monde. Asphalän aurait voulu consoler Thuy mais il savait qu'elle n'avait besoin de personne, et il n'avait de toute façon pas le temps.

- Tu l'as toujours avec toi ?

Ses yeux étaient rouges mais son regard était dur.

- Oui, fit-elle en lui montrant un lourd objet enveloppé d'une étoffe en lin.
- Parfait, prends les autres avec toi et dissimulez-vous parmi ces ruines. Je crois, lors de notre rapide exploration tout à l'heure, y avoir vu l'entrée de souterrains. Avec un peu de chance, vous devriez parvenir à vous y cacher jusqu'à ce que les Veilleurs abandonnent les recherches.
- Et toi ?

Il lui posa une main sur l'épaule et eut un sourire contrit.

- Ma lame n'a pas encore été assez émoussée pour aujourd'hui, du sang perla sur ses sandales, et nos ennemis auront moins de cœur à poursuivre leur traque lorsque je le leur aurai arraché.

Elle l'enlaça une dernière fois et commença à rassembler les survivants. Asphalän ne jeta pas un regard en arrière et se dirigea vers la côte. Instinctivement, une vingtaine de ses compagnons lui emboitèrent le pas. Ils marchèrent avec stoïcisme, le bruit de leurs pas sur le roc faisant écho à celui de centaines de milliers d'esclaves qui, très loin de là, conquéraient leur liberté et mettaient à bas la tyrannie des Princes Esclaves.



***



Atalantë, aujourd'hui

- Quelle...
- ... merveille.
- C'est...
- ... tout...
- ... simplement...
- ... une corne ?

Malgré la pénombre ambiante, on aurait pu distinguer la noirceur dans les regards d'Exodus et Teclis.

- Ce n'est pas...
- ... une corne...
- C'est LA Corne.
- C'est vrai qu'elle est magnifique... mais... ça fonctionne comment exactement?

Captivés, les trois compères ne perçurent pas la légère ride sur la surface miroitante de l'eau, à quelques mètres.

- Techniquement, il faut juste introduire un objet dedans, et, d'après les textes, il en ressort dupliqué au bout d'un instant.
- Essayons !

Exodus avait déjà sorti de son sac une belle pomme rouge. Cependant, Teclis arrêta son bras.

- Pas maintenant ! Et certainement pas avec un vulgaire fruit !

Bien qu'il affichait une mine sage et prudente, on sentait que l'archiviste devait faire un énorme effort pour ne pas vérifier si la Corne fonctionnait comme le prétendait les légendes.

- De un, un fruit n'est pas vulgaire ! De deux, que veux-tu faire ? Tu ne comptes tout de même pas la démonter pour voir si elle fonctionne bien...
- Bien sûr que non, se défendit Teclis. Une telle relique, je n'oserais jamais, jura t-il d'un ton de voix surjoué trahissant clairement le fait qu'il avait songé à l'hypothèse.
- J'espère bien ! Et toi, qu'en penses-tu Sharah ? On l'essaie tout de suite ?

Mais la musicienne n'était plus face à eux. Elle contemplait la surface miroitante de l'eau se rider de plus en plus.

- Je crois que notre ami nous a retrouvés...


Sharah'In

- Je crois que notre ami nous a retrouvés...

Bientôt, ce fut un bruit sourd qui confirma ses dires. Et le bruit se rapprochait de plus en plus. Exodus et Teclis s'était arrêté dans leur mouvement, figé dans une parodie de dispute. Alors que Sharah'In avait déjà empoignée Anamorphose et se tenait prête, Exodus jetait un regard désespéré entre la pomme et le pommeau de son épée. Apparemment, le choix qui s'offrait à lui était cornélien. Il décida finalement de ne pas choisir, et croqua dans la pomme tout en dégainant son arme. Teclis s'était lui aussi mis en route, fouillant dans son sac pour essayer de dénicher quelque chose d'intéressant, et surtout d'utile.

- On ne pourrait pas, je sais pas... Prendre la corne et partir ? proposa tout de même l'archiviste.

- Hmmaiiammaiaammmmmm ! lui répondit Exodus, la pomme l'empêchant de prononcer le moindre mot intelligible.

- Quoi ?!

- Il dit que c'est trop tard. La créature arrive sur nous. Protège la corne. et surtout, ne fais rien d'autre à moins qu'on se fasse tuer. Hors de question d'utiliser tes inventions fumeuses !

Le bruit s'était rapproché de plus en plus, et déjà un tentacule verdâtre commençait à se faire voir, engluant le sol d'une matière peu ragoutante. Sharah n'attendit pas de voir le blanc des yeux (si elle en avait) de la créature. Alors qu'Exodus se mettait en garde à ses côtés, tentant de garder sa pomme entre ses dents, tout en en machonnant vaguement des morceaux, Sharah'In gratta quelques notes, préparant leur défense. Presque aussitôt, le son fut amplifié et des ronces se mirent à pousser à l'entrée du coude, transperçant le bout de tentacule visible. La bête lui répondit par un cri puissant, vibrant dans l'espace confiné. L'échos, sans doute du à l'étroitesse du couloir, résonna encore quelques instants avant de s'éteindre.

- Quelque chose cloche, marmonna la musicienne, anxieuse.

- Ca va l'arrêter ? l'interrompit Teclis, soucieux.

- Non.

- Hmmmammaaimmon ?

Exodus n'eut pour seule réponse qu'un regard noir de Teclis et un haussement de sourcil de Sharah'In. Il se décida finalement à croquer à belles dents, posant son arme contre la paroi.

- 'e dichais : 'audrait chuir 'on ?

Pour toute réponse, un hurlement guttural se fit entendre. Déjà la créature s'attaquait aux ronces, qui étaient toujours là, sans que Sharah'In sache exactement comment. Normalement, l'illusion n'était censée durer que le temps que durait sa musique. Mettant cela sur le coup de l'échos présent en ces lieux, elle recommença à jouer, cette fois avec plus de ferveur. Déjà un tentacule s'approchait dangereusement. Exodus, dans un réflexe bienvenu, lâcha sa pomme et coupa net la menace. Dans sa précipitation, le fruit tomba sur le sol, arrachant à son propriétaire un juron. Elle était foutue.

Sharah'In, oublieuse de ce genre de petite contrariété anodine, se mit à jouer, enchaînant les notes comme on enchaîne les attaques. Les ronces repoussèrent, criblant la créature de leurs épines. A ses côtés, Exodus avançait, évitant les ronces comme elles l'évitait, pour s'approcher un peu de la créature tentaculaire et lui couper quelques morceaux.

A mesure que l'illusion prenait forme, Sharah'In sentait que quelque chose clochait. Mais la menace était trop réel, trop proche pour s'intéresser à ces petits détails. Derrière elle, Teclis semblait s'affairer à quelque chose, farfouillant sans doute pour trouver une invention utile, et qui ne risquait pas de détruire la Corne. Il semblait hurler quelque chose, auquel Exodus lui répondit, mais les mots n'avaient déjà plus prise sur la jeune femme qui, concentrer sur sa musique, oubliait déjà tout le reste. Devant ses yeux, l'illusion prenait de plus en plus de forme. Elle inventait un environnement complet, dans lequel, elle l'espérait, la bête caverneuse ne serait pas du tout à son avantage.

Déjà, les parois s'ouvraient sur un soleil de plomb, le sable remplaçait la pierre. La chaleur se faisait de plus en plus étouffante, faisant suffoquer la créature qui préférait l'humidité des couloirs sombres. Devant elle, Exodus se mouvait avec plus de difficulté, soufflant sous le poids de son armure, de son casque peu adapté à la chaleur ambiante. Teclis, lui, s'était arrêté de chercher, contemplant, admiratif, l'illusion née des notes. Si Sharah'In avait été moins absorbée par son illusion, elle aurait pu jurer que l'archiviste cherchait un moyen de reconstruire ce genre de phénomène.

Le combat prit fin rapidement. Les tentacules se desséchèrent rapidement, un ultime glougloutement s'échappant de la structure impossible de la créature.

Sharah'In s'arrêta de jouer, souriant vaguement à l'apparition de cette plage sans fin qu'elle connaissait bien pour y avoir fait quelques excursions les jours de grand froid. Une ultime note et elle s'arrêta, fermant les yeux, laissant l'air humide reprendre le dessus, les couloirs sombres reprendre leur place initiale....


- Heu.... Sharah ? C'est normal ça ?

La jeune femme rouvrit les yeux, interrogative. Autour d'elle, la plage était toujours là.

- Je sais que tu aimes la chaleur, mais là...

- Je crois qu'on a un problème... marmonna Sharah'In en regardant autour d'elle. Dis moi... Par hasard, dans tes textes, ils ne parlaient pas des effets de la Corne sur le son ?

- Mais, multiplier un son, un cri ou autre chose, ça n'a rien d'intéressant ! Sauf peut-être pour notre Primat bien aimé, qui pourrait hurler sur Teclis depuis son bureau... Et encore, je suis sûr que lui courir après n'est pas un mauvais exercice pour lui...

- Et dans le cas de musique ? insista Sharah'In, avec un soupir exaspéré.

- Quoi la musique ?

- Tu voudrais dire que... ton illusion a été amplifié et multipliée par la Corne ?

- Tu as une autre explication pour qu'on se retrouve ici, dans un monde que J'AI créé grâce à ma musique ?

- A vrai dire... Pas vraiment...

- L'avantage, c'est qu'on va pouvoir tester la Corne. Pour avoir un peu d'eau par exemple.

- Si tu la retrouves, pourquoi pas. Sinon, suivez moi, si on est bien chez moi, y a une jungle à quelques kilomètres au Nord.

- Comment ça "si tu la retrouves" ??!

Sharah'In ne se donna même pas la peine de répondre, faisant juste un geste du bras autour d'elle. Teclis et Exodus ne purent alors que constater l'évidence : la Corne avait disparu.


Exodus(...)

Le trio d'Enfants remontait le long de la plage en direction du Nord, tachant de rejoindre la jungle dont Sharah'In avait parlé auparavant. Le soleil les incendiait à tel point qu'ils en venaient à comprendre la crainte qu'inspirait les flammes purificatrices aux hérétiques et chacun espérait le plus tôt possible atteindre l'ombre de la végétation.

- Tout de même, c'est incroyable, s'exclama Teclis après un long silence. Il a suffit que je quitte l'objet des yeux pendant, quoi, deux secondes, et pouf! Plus de Corne. C'est à n'y rien comprendre. Cette relique doit vraiment détenir des pouvoirs inconnus. Peut-être a-t-elle sentie un danger et ...

- Sans vouloir te vexer, répliqua Sharah'In, tes hypothèses sur les capacités de disparition de cette corne nous sont aussi utile en ce moment qu'une paire de moufle! Concentre plutôt tes neurones à savoir où elle peut se trouver maintenant.

Exodus, lequel tenait son manteau sur l'épaule en raison de la chaleur et maudissait le pouvoir calorifique de l'acier de son plastron, soupira à l'ombre de son chapeau. Il avait beau porter son regard aussi loin qu'il le pouvait, l'ondulation de l'air semblait masquer toute trace de verdure, ne laissant à la vue que le sable fin et la mer infinie. Le cadre aurait pu sembler idyllique mais cocotiers et vahinés faisaient hélas cruellement défaut.

- Dis-moi, tu peux me ré-expliquer encore une fois où on est?

- Pour la troisième fois, nous somme dans une... projection, tenta d'expliquer Sharah'In avec des mots simples. C'est un royaume de mon imagination, je le fais aller et venir par ma musique et normalement j'y exerce un contrôle quasi-total. En très gros, dis-toi qu'on est dans mon esprit.

- Un peu redondant niveau décoration, remarqua Teclis en regardant le sable tout autour de lui.

- Sauf que là, en ne peut plus en sortir, continua Exodus sans prendre en compte l'intervention de l'archiviste.

- Non, la Corne semble avoir pris le relais. Comme si elle avait récupéré la note et la jouait à ma place, en permanence. Ce qui ne devrait pas être possible. Normalement tout s'arrête quand j'arrête moi-même de jouer.

- Peut-être... qu'on est plus chez toi? Hasarda Exodus.

- Aucune chance. Et puis je reconnais l'endroit.

- C'est vrai que ces que ces grains de sable ont un quelque chose de particulier... Un "je ne sais quoi", dit un Teclis parti sur se lancée.

- Tu l'as dit toi-même, la Corne a agit. Et puis c'est peut-être juste un endroit qui ressemble à tes souvenirs. Les plages infinis, elle se ressemblent toutes, non?

- Alors dis-nous, explosa Sharah'In en se retournant d'un coup pour appuyer son doigt sur le plastron brûlant du répurgateur, puisque tu es devenus brusquement expert en la matière, où nous somme et peut-être même chez qui somme-nous! Chez toi, hum, ou chez Teclis?

Exodus conserva un air interdit pendant quelques instants, regarda autour de lui avec attention, les yeux grand ouvert, fixa ensuite son attention sur Sharah'In en passant des pieds à la tête, le visage toujours fermé, puis se retourna et s'approcha le plus près possible d'un Teclis surpris et interdit. Il s'attarda cette fois plus longuement sur le oreilles, et alla même jusqu'à examiner du bout des doigts une mèche de cheveux avec un regard conspirateur.

- Dis-moi tout de suite à quoi tu joue, fit le propriétaire de la mèche d'une voix basse, où je te jure que je te mords.

Un sourire ravi apparu sur le visage du Répurgateur, avant de disparaître aussi vite qu'il était apparue lorsqu'il se recula et ré-examina Teclis rapidement.

- Bon, je m'incline, nous somme chez toi jusqu'à preuve du contraire, dit-il à sa consœur en lui refaisant face.

- Oh, et sur quelle preuve hautement étudié fondes-tu ton jugement implacable? lui-fut il répondit d'un ton sarcastique.

- Simple: déjà nous ne somme pas chez Teclis, car je pense bien qu'il n'a jamais vu de plage en dehors des gravures, et que le tout manque de rouage.

- Et d'ombre!

- Et d'ombre, c'est vrai. Ensuite, nous ne pouvons pas être chez moi car cela fait bien dix minutes que je m'efforce d'imaginer en pure perte notre Archiviste avec une tête d'épagneul, qu'aucune chaise longue n'est apparue avec un son de gong et que, enfin, tu portes toujours ta robe d'Enfant.

* * *


Une demie heure plus tard, ils avaient enfin rejoint la jungle dont parlait la propriétaire des lieux et profitaient de l'ombre bienfaitrice et de l'accueil sonore de nombreux volatiles. Encore dix minutes et la mâchoire d'Exodus arrêterait de lui faire mal.
Ils marchaient toujours, l'oreille tendue à la recherche du bruit d'un cour d'eau. Car si l'ombre les avait protégé d'un soleil agressif, la végétation d'une impressionnante densité générait une atmosphère si chaude et lourde d'humidité qu'une éponge s'y serait crue en pleine mer. Les Enfants fatiguaient et avaient de plus en plus soif, ce qui n'arrangeait pas leur progression.


- Je me demandais..., dit alors Teclis en s'épongeant le front de sa manche.

- Quoi encore?

- Vu que tu es chez toi, dans ton imaginaire, est-ce que tu ne peux pas repérer ce qui est, disons, en trop?

- Oui, c'est vrai, concéda la musicienne, je suis normalement tout à fait capable de sentir la présence d'invité ou d'intrus. Le problème, c'est que tout ce que je perçoit pour le moment, c'est deux invités - ou intrus, ce n'est pas encore décidé - bruyant et puant la sueur, et rien d'autre. Il n'y a aucune trace de la Corne que j'arriverais à sentir.

- On est donc seul, fit Exodus en levant la tête, jusqu'ici occupé à couper les lianes. Rien que nous, perdus en pleine jungle avec rien d'autre à regarder que le vol des flamant-roses* et la croissance des fougères? Génial. Je le sentais, que cette journée allait être exceptionnelle.

- Rien que nous... répéta alors Sarah'In, comme pour elle même. Peut-être pas, justement.

_________________________________________________________
* Il s'agissait en réalité d'un Toucan qu'il venait d’apercevoir. Même s'il classait les deux espèce dans la catégorie "Oiseau", il ne se souciait pas de leur réelle apparence et n'avait jamais fait le lien entre le nom du plus grand et son probable ramage. Tout ce qui quittait la catégorie "Volaille" ne représentait au final que peut d'intérêt.


Teclis

Quelques secondes s'écoulèrent, le silence rompu seulement par le rugissement d'un félin et l'envol d'étranges volatiles aux ramages chatoyants. Sharah'In ferma les yeux, les paupières plissées. Elle semblait se concentrer sur leur environnement, comme si elle cherchait une chose qu'elle seule pouvait voir grâce à un mystérieux sixième -septième- sens. La musicienne n'eut même pas la peine de voir Teclis s'apprêter à parler pour lui faire signe de se taire en levant un index impérieux. L'archiviste garda les lèvres closes, une moue boudeuse sur le visage. Il jeta un regard à Exodus qui avait reporté son attention sur une étrange plante aux immenses pétales violets, de la longueur d'un avant-bras. Le répurgateur tâta le végétal du bout de sa lame qui fut engloutie aussi sec par la corolle ; les sourcils levés, un sourire fugitif passa sur son visage avant qu'il n'arrache d'un geste vif l'épée de l'étreinte. Teclis s'approcha, manifestement intéressé par cette étrange plante mais au moment où il allait l'examiner à hauteur d'yeux, il fut arrêté par son comparse.

- Mauvaise idée, fit Exodus en exhibant sa machette dont le métal était recouvert d'un liquide verdâtre qui commençait à attaquer l'acier.

L'archiviste eut un haussement d'épaules. Il allait répliquer lorsque la voix de Sharah' tua nette toute riposte verbale.

- Vous avez bientôt fini de faire n'importe quoi ! Ne-touchez-à-rien-ici. Ce n'est pourtant pas bien difficile à comprendre... Considérez tous les deux que vous vous situez au milieu de la collection de porcelaine privée du Primat...

Si Teclis se raidit et regarda son environnement avec une appréhension renouvelée, le regard d'Exodus se fit lointain et un rictus béat illumina son visage. On aurait dit que noël était arrivé quatre mois plus tôt pour lui et les iris du fin gourmet trahissaient un rêve éveillé plus délicieux qu'un millier de pâtés aux légumes. Il dégaina sa rapière avec précision et contempla un objet factice et imaginaire -très certainement un vase ou une sculpture d'une grande valeur- qu'il commença à effleurer du bout de sa lame.
Après un instant durant lequel l'archiviste savoura ce spectacle avec amusement, il se tourna vers Sharah'In qui semblait excédée.


- Alors ?
- Alors quoi ?
- Et bien, qu'as-tu découvert ?

La musicienne poussa un soupir et contempla un petit animal simiesque se balancer à une branche de l'arbre sous lequel le groupe se situait. Elle finit par s'arracher à la vue du singe qui était en train d'éplucher une banane et reporta son attention sur Teclis.

- Nous ne sommes pas seuls ici. J'ai la vague sensation qu'il y a... autre chose. Nous sommes bien dans l'un des mondes que j'ai inventé mais tout me semble distordu. Les distances sont parfois trop courtes ou trop longues par rapport à d'habitude, comme si une puissance ésotérique amplifiait ma magie pour jouer avec. De même, j'ai la sensation, même si c'est plus un ressenti qu'une certitude , que certains éléments sont « de trop » ici. L'Enfant eut un geste de la main qui désigna la jungle environnante. Ce décor m'est très familier, mais il a également une dimension qui m'est étrangère.
- Et tu n'as aucun moyen d'identifier la source du problème, ou ce qui te dérange ? demanda Teclis qui retira la peau de banane qui venait d’atterrir sur sa tête.
- Ce n'est pas aussi simple, grogna Sharah'In. Tu n'imagines pas les efforts qu'il me faut pour embrasser dans sa totalité une projection aussi complexe et aboutie. Même en observant une pièce dans son ensemble depuis son seuil, tu ne sais absolument pas ce qui peut se cacher sous le plancher ou quel objet pourrait se trouver dans l'un des meubles à moins de prendre le temps d'y regarder précisément.
- Je vois... Les méninges de l'archiviste semblaient tourner à plein régime. Et donc, en ce moment, la situation est identique ? Tu recherches ce qu'il y a en trop dans ta pièce...
- Oui...

La musicienne regarda d'un air perplexe et légèrement anxieux en direction d'une partie de la jungle.

- Hormis qu'ici, cette pièce est cent fois pire à examiner que le contenu de ton laboratoire.
- Ha ouais quand même...

Teclis et Sharah'In avaient presque oublié la présence d'Exodus qui paraissait avoir repris le fil de la conversation en cours de route. Il avait rengainé sa rapière et dégustait la fin d'une banane. Au-dessus de lui, l'un des capucins lui lançait un regard venimeux.

- Tu devrais... * miam * M'inviter plus souvent à dîner ici Sharah'... ça doit pas tenir bien longtemps * miam * au corps mais qu'est ce que c'est bon. La fin du fruit fut engloutie et le répurgateur se frotta les mains. Bon, on fait quoi maintenant ?
- On-commence-par-me-laisser-réfléchir.

Le silence tomba sur le trio. Une minute s'écoula dans une quiétude parfaite. La musicienne affichait un visage impassible et semblait presque en transe. Un effort de concentration énorme se lisait au fond de ses iris flamboyants. Elle se remémora toutes ces années, à parcourir ces contrées extraordinaires qui n'avaient que pour limite son imagination. Elle se rappela comment elle avait bâti des collines, érigé des montagnes, embrasé le ciel de milliers d'étoiles ; elle se souvint que par sa seule volonté, des cités avaient émergé de la terre et des volcans avaient fendu les flots d'un océan peuplé de créatures aussi merveilleuses que dangereuses. Sharah'In se laissa porter par cette maestria de création. Son esprit alerte fouilla les moindres recoins de cet espace pour chercher ce qui n'allait pas. C'était un exercice ardu, auquel des personnes moins décidées auraient échoué, mais la musicienne était chez elle. Ce monde devait sa genèse à la douce mélodie que l'Enfant avait jouée. Elle en connaissait donc les lieux les plus infimes et secrets, peut-être même plus encore que sa propre personne. Son exultation grandit  lorsque, enfin, elle découvrit une anomalie. C'était imperceptible, comme un grain de poussière qui s'était faufilé au milieu des mailles d'un tapis immaculé ; cependant, Sharah' porta toute son attention dessus. En s'approchant, elle vit que cette chose ressemblait, dans l'espace onirique, à une sorte de tourbillon dans lequel sa magie était aspirée, transformée et répétée à l'infini. Pleine de curiosité, elle projeta sa conscience pour se retrouver presque nez-à-nez avec l'objet. C'était un bel artefact d'un temps reculé, dont l'intérieur creux semblait donner sur des terres inconnues. Un rictus illumina le visage de la musicienne lorsqu'elle porta un regard sur la Corne, et nota sa position précise dans son esprit. C'était presque trop facile...
Soudain, ce fut le noir et une appréhension grandissante s'empara d'elle. Une ombre fondit sur l'Enfant et tissa une trame destinée à piéger sa conscience. Une terreur sans nom s'empara de Sharah' qui voulut rompre le lien sans le pouvoir. Elle fut assailli par un flot noir et obscur, aussi vieux et vorace que les plus antiques démons.... Une créature dont elle ne perçut que trop bien l'unique dessein : se jouer de sa raison et dévorer son âme. Instinctivement, la musicienne se débattit de l'étreinte de son assaillant. Son esprit se rebiffa devant le sort funeste qui l'attendait et déploya des trésors de volonté qui couvaient en son fort intérieur. N'était-elle pas chez elle ? Ne faisait-elle pas ce que bon lui semblait dans son royaume ? Par une formidable démonstration d'abnégation, elle brisa la prison d'ombre et fondit sur l'intrus comme un faucon vole vers une proie. Ce fut à son tour d'asséner une série d'attaques psychiques contre ce monstre inconnu qui se replia dans une toile d'illusions à l'instar d'une grosse araignée. Protégé par son piège mortel, la créature était inaccessible pour l'instant. Considérant momentanément qu'ils étaient quittes, Sharah abandonna le combat. A bout de souffle, petit à petit, elle relâcha son emprise sur le monde onirique pour revenir à la « réalité ». Toutefois, à mesure que sa perception diminuait, elle sentait maintenant la corruption qui infestait certaines parties de ses terres imaginaires. Une perversion qui s'était révélée au grand jour tandis qu'elle avait été assaillie par l'intrus. A mesure qu'elle voyait et revoyait cette masse d'ombre, elle prit conscience de la puissance ancestrale qui y couvait. Elle ressentît une nouvelle fois la terrible faim qui l'animait... et également un autre sentiment. Un désir ardent de posséder... la Corne... Sharah'In ne savait pas pourquoi la créature cherchait l'artefact mais elle était sûre que si elle la trouvait avant eux, cela n'augurerait rien de bon.
Alors qu'elle tournait et retournait ces nouvelles informations dans sa tête, elle ne comprit pas tout de suite ce qui la secouait comme ça. En ouvrant les yeux, elle vit un Teclis flou la secouer. Vu le visage inquiet de l'archiviste, elle devait avoir la mine piteuse. De l'herbe lui chatouillait la nuque, elle était apparemment tombée au sol...


- Il faut... se dépêcher... balbutia t-elle.

Son compagnon lui parla mais elle ne parvint pas à comprendre la réponse. La voix de l'archiviste lui paraissait encore lointaine. Cependant, un autre son, déformé, parvint aux oreilles de la musicienne. C'était comme un amalgame d'écho mais elle l'identifia car elle le connaissait bien au bout de plusieurs années à servir dans le culte de l'Unique : le bruit d'une lame qu'on dégaine. Les lèvres de Teclis s'animèrent à nouveau, puis il y eut une sorte de détonation.

- 'ève 'oi 'on 'an.
- Quoi ?

Nouvelle détonation. L'archiviste lâcha une nouvelle série de mots, semblant presque crier.

- 'out 'ou 'ors' 'ir' !

Sharah'In commençait à revenir à elle et s'assit. L'odorat lui revint aussi soudainement que l’ouïe et elle sentit l'intense odeur de poudre qui flottait dans l'air. Un peu plus loin, Exodus se tenait bien droit, en position de combat, Anathème dans une main ; un pistolet à répétition dans l'autre. Il grogna quelque chose que cette fois-ci, la musicienne comprit.

- Heureusement que la poudre n'a pas fait long feu avec toute cette fichue humidité.
- Allez ! Debout ! D'autres vont venir !

Avec une force surprenante pour un homme de sa carrure, Teclis la remit debout.

- Par là ! Replions-nous vers cette partie de la jungle. Elle a l'air plus profonde, ils ne pourront pas nous suivre ! L'archiviste désigna du doigt le Nord approximatif
- Non... Pas par ici. Sharah reprit son souffle une seconde Par là... fit-elle en désignant un point qui semblait conduire, d'après le peu qu'on voyait au travers du dôme végétal des arbres, à une région plus montagneuse.
- Pourquoi ?

Il y eut une nouvelle déflagration.

- Allez où vous voulez, mais par saint Eustache, décidez-vous ! Ce n'est pas un endroit pour pique-niquer !
Par là, reprit l'Enfant avec plus de conviction. C'est dans ces contrées que nous trouverons la Corne.
- Bon, on fonce !

Sans se faire prier, le trio prit ses jambes à son cou. Derrière lui, de petits cris aigus retentirent et les broussailles s'agitèrent.


***



- Je... crois... qu'on...les...a...semés.

La respiration haletante, Teclis s'adossa à un arbre. Son ton de voix était moitié accusateur moitié amusé lorsqu'il s'adressa à Sharah.

- Dis-moi... Les assauts d'autochtones complètement fêlés et rageurs, c'est indiqué dans ta brochure touristique ?
- A quoi ressemblaient-ils ?

Exodus se baissa pour essuyer sa lame couverte de sang contre l'herbe.

- On aurait dit de petits félins bipèdes, dotés d'arcs et de lances. Leurs yeux étaient aussi noirs que du jais et leur fourrure striée de rayures mauves.

Rapide pause puis...

- C'est bizarre, ils ne sont pas sensés attaquer les étrangers...

Le répurgateur leva un sourcil.

- Enfin, pas tant qu'ils sont avec moi ou que je ne leur demande pas... Vous les avez provoqués ? fit-elle soudain suspicieuse.
- Non... Ils ont déboulé sans prévenir. Je n'ai même pas eu le temps d'esquisser un geste qu'ils s'en prenaient à Teclis -ils doivent avoir un instinct très développé pour savoir ce qui est le plus susceptible de raser leur précieuse forêt en moins de trente minutes.
- Très drôle... N'empêche qu'une de leurs flèches est passée à ça, l'archiviste montra un espace de moins d'un centimètre entre son pouce et son index, de m'éborgner. Et ils n'avaient pas non plus l'air de t'inviter à un dîner de bienfaisance... à moins que tu ne serves de plat principal.
- Je ne me laisserai jamais dévorer par cette bande d'allanthropes. s'indigna Exodus. Je suis sûr qu'ils me cuisineraient très mal reprit-il avec le plus grand sérieux.

Voir le serviteur de l'Unique s'inquiéter moins pour sa vie que pour la façon dont il pourrait être passé à la casserole -à la marmite en l'occurrence- rassura Sharah'In sur sa propre santé mentale. Elle s'assit en tailleur, harassée par les récents évènements. Les explications allaient être longues...


Sharah'In

Assise en tailleur, Sharah fit signe à ses deux compères de voyage de prendre place à leur tour. Les coups d'oeil à droite et à gauche des deux autres lui indiquaient leur niveau de méfiance vis-à-vis de leur environnement. A juste titre !

- Je vais commencer par le commencement. En essayant de ménager le rare neurone qui se balade sous votre crâne. Donc je vais faire simple. Nous sommes dans mon esprit, dans les méandres que mes rêves et mes pensées ont façonné en plus de vingt-cinq ans d'existence.

Sharah s'interrompit pour lancer un regard noir à Teclis, qui allait lui demander des précisions sur son âge.

- J'y ai créer des déserts, des jungles, des paysages que je n'avais jamais eu la chance de voir en vrai, qu'ils soient dangereux ou non. Juste des étendues vertes, jaunes, rouges et ocres, de toutes les couleurs. Certains de ces décors ont les défauts de l'enfance, le côté un peu surréaliste des dessins de gamins. Nous sommes ici dans les contrées les plus "récentes", en ce sens qu'elle respecte les lois de la Nature que nous connaissons. Teintes, textures, gravités, etc.
Vous vous en doutez bien, vu le temps que je passe plongée dans mon esprit, ou dans ma musique - malgré mon aversion profonde du genre humain -, j'ai finis par m'y sentir un peu seule. J'ai donc créer des êtres un peu plus "vivants" que les plantes.


Teclis marmonna quelque chose sur le complexe de Dieu, avant de se faire fusiller du regard par Sharah.

- Les félins que vous avez vu sont des compagnons de route, mais aussi des gardiens. Avec le temps, j'ai découvert que je n'étais pas la seule à posséder ce genre de dons et qu'il était possible de me faire subir ce que je peux faire aux autres. A savoir visiter leur psyché. Je fus bien obligée, vous en conviendrez, de me défendre, notamment contre des individus peu recommandables.
- Mais alors pourquoi nous attaquent-ils ? demanda Exodus, avec justesse. Nous sommes avec toi.
- La Corne a mis le bazard dans mon univers. A tel point que je ne suis même pas sûre que nous nous trouvons encore dans mon esprit. L'une des façons de le savoir serait de rejouer de la musique, mais je ne sais pas quelles pourraient en être les conséquences. Je risquerai d'aggraver notre cas et je ne le souhaite pas particulièrement.

Teclis et Exodus se regardèrent en grimaçant. Comment trouver la Corne dans ses conditions ? Comment sortir de ce dédale de verdure qui se révélerait sans doute plus dangereux à mesure que les secondes s'égreinent ?
Sharah avait bien une idée de comment s'en sortir, mais le risque était grand. Oui, jouer de la musique lui permettrait peut-être de trouver la Corne, mais cela pouvait aussi avoir l'effet inverse de les plonger un peu plus dans le dédale d'une psyché qu'elle ne connaissait pas totalement, fusse-t-elle la sienne.


- Il va falloir bouger maintenant. Avant d'en arriver à certaines extrêmités, on va aller voir s'ils ne se trouvent pas dans le manoir.

Devant le regard interrogateur d'Exodus et Teclis, la jeune femme se hâta d'ajouter :

- Je sais, c'est cliché. Mais pour ma défense, ce bâtiment date d'il y a une grosse douzaine d'années. Il faudra juste faire très attention : autant ici, nous sommes dans une région "normale", autant là bas, les règles de la physique sont un peu... particulière.

***

Il leur fallut une bonne trentaine de minutes de marche avant de voir les premiers changements. Les couleurs de la nature s'altérèrent par endroit, se teintant de violet et de rouge. Le sentier qui commençait à apparaître entre les troncs d'arbre brillaient par endroit. Des lianes pendant par endroit, mouvantes, s'éloignant au moindre mouvement un peu brusque. A quelques centaines de mètres devant eux, se dressait un édifice impossible.
Ce que Sharah avait appelé "le manoir" ressemblait à un château médiéval couplé à une cabane en bois. Des portes donnaient sur le vide à des hauteurs insoupçonnées, la perspective fuyante donnait un air étrange au bâtiment.
Sharah grimaça en s'approchant, se souvenant de quelques détails de sa conception. A l'époque, elle trouvait amusant de pouvoir rebondir sur les murs, de marcher au plafond et d'avoir des escaliers qui mênaient nulle part et partout à la fois. Dans cette maison de fou, elle espérait pouvoir retrouver la trace de la Corne. Pour être précise, dans la pièce la plus profondément enfouis et la mieux gardée de tout l'édifice.


Compte utilisé par l'équipe rôliste.
  • 120 sujets
  • 105 réponses

Message posté le 17:06 - 7 nov. 2015

Exodus(...)

- Ce truc me donne mal au crâne rien qu’à le regarder, ronchonna Exodus en contemplant l’édifice de haut en bas, pour peu que le point le plus élevé en soit vraiment le « haut ». Rappelle-moi de ne jamais te confier la restauration de ma chambre.
- C’est amusant, commenta Teclis, vu d’ici il me fait un peu penser à une de ces peinture de Saint Gaugue, tu sais, celui qui buvait sa peinture mélangé à de l’eau de vie ? Mais si on penche la tête, comme ça…
- Ça suffit vous deux ! L’arrêta Sharah’In. Je ne vous ai pas amené ici pour une visite guidé, ni pour la beauté de l’art. Alors on entre, vous me suivez avec précaution et surtout vous ne touchez à rien !

Une lourde porte faite de bois et de ce qui semblait être de la pierre par endroit les toisait depuis un perron. Son centre était occupé par une poignée de taille imposante représentant un faciès railleur. La jeune femme monta les quelques marches en un nombre de pas étrangement élevés et saisi la poignée à pleine main, avant de la monter à bout de bras tout en chantonnant tout bas. La porte se souleva au grand étonnement des deux compères resté plus bas, qui la vire rentrer petit à petit dans le mur, jusqu’à y disparaître à moitié.

- Bon, vous entrez ou je reste à sécher ici !? Les apostropha Sharah’In depuis l’intérieur de l’entrée, les bras tendus au-dessus d’elle.

Les deux hommes se dépêchèrent de monter à leur tour et pénétrèrent dans le bâtiment. La jeune Enfant lâcha la porte qui retomba sans un son et leur permis de contempler la demeure d’esprit de Sharah’In.

Premier constat ; l’endroit était bien plus grand que vus depuis l’extérieur. Les murs semblaient monter jusqu’où il leur semblait bon et le bois se mêlait à la pierre dans une fausse anarchie. Quelques colonnes encombraient ce qui semblait être le hall d’entrée, mais leur largeur variait d’un monument à l’autre.

- Suivez-moi et marchez bien dans mes pas. Je ne garantis pas de pouvoir vous retrouver si vous vous perdez. Ni même de vraiment le vouloir !

Exodus et Teclis acquiescèrent avec tact et emboîtèrent le pas de leur consœur sur un chemin couvert d’un tapis épais, tressé d’une multitude de nuance de couleur.

- Le vouloir je ne sais pas, mais le pouvoir c’est sûr que ce doit être compliqué, murmura Teclis en lorgnant sur des statues et sculptures disposées çà et là dans la grande pièce. J’ai l’impression que cet endroit est aussi bien ordonné que mon laboratoire.
- Tu sais, pour moi, du moment qu’elle a pensé à imaginer une cuisine dans cet endroit, le rangement importe peu.

Ils quittèrent le hall pour s’engager dans un couloir aux larges cadres de bois, posés de parte et d’autre du passage. Le plus étonnant était que certains de ces cadres semblaient être vides, jusqu’à ce que l’on remarque les petite toiles qui en occupait parfois le centre, parfois un angle… Exodus s’attarda sur une image peinte qui se trouvait à sa hauteur. Elle représentait ce qui semblait être un joli paysage enneigé, au détail prêt que les couleurs étaient un peu trop simple, comme celle qu’un enfant aurait utilisé pour représenter une scène d’hiver. La neige blanche, les arbres verts et le ciel bleu. Pas de nuance, des trais bien marqué séparant les éléments des uns des autres. Il s’approcha un peu et sembla distinguer comme une petite maison de bois au milieu de la scène. Amusant, songea-t-il en approchant instinctivement la main de la peinture, si l’on regardait assez bien, on pouvait distinguer de subtile touches de rouge devant la maison. Du rouge et…

Le bras violent de Sharah’In le tira vers l’arrière sans ménagement, avant de le ramener vers son visage.

- J’ai dit : on ne touche à rien. Siffla-t-elle entre ses dents.
- Je regardais juste…
- A. RIEN ! Cria Sharah’In à la grande surprise d’Exodus et de Teclis, avant de repartir d’un pas rapide vers leur objectif en laissant aux deux Enfant le soin de la suivre.

Dans leur souvenir, jamais ils ne l’avaient entendu lever la voix aussi soudainement. Leur situation devait plus la peser qu’ils ne l’avaient pensé. Elle était irritable, à juste titre d’ailleurs, mais aussi plus… vive que lorsqu’elle se trouvait habituellement avec ses pairs. Exodus réfléchit quelques secondes à son propre comportement. Il se sentait étrange depuis qu’ils étaient arrivé, comme plus gaffeur, voir… puéril, bien que cela lui en coûte de l’admettre. Et Teclis… L’archiviste semblait plus acerbe et en même temps plus alerte, sa tête pivotant en tout sans à l’affut de tout élément sortant de l’ordinaire.

Ils étaient dans l’esprit de Sharah’In. L’image qu’elle avait d’eux et d’elle-même dans sa tête pouvait-elle déteindre sur les modèles originaux ?

Alors qu’il se torturait le crâne, il se rendit compte que le doigt avec lequel il avait failli toucher le cadre était couvert de givre. Du givre glacé, épais et rougis à son extrémité.

- Attention, prenez garde à ne pas tomber.

Le trio était sorti du couloir sans qu’Exodus ne s’en rende compte. La pièce vers laquelle ils se dirigeaient formait un angle avec leur provenance et les deux compères virent avec stupéfaction Sharah’In avancer jusqu’au mur, y poser un pied puis le second avant de continuer sa marche comme si de rien était.

L’expérience était plus que surprenante, une fois le second pied posé sur le nouveau sol.

- Mon esprit scientifique s’émerveille et s’interroge, commenta Teclis alors qu’il battait des bras comme pour trouver son équilibre, mais mon oreille interne, elle, me hurle que je devrais déjà être par terre – enfin, au mur – en train de vomir mon reste de déjeuner…
- Oh, par pitié, ne parle pas de déjeuner… Mon sac à provision est resté dans les tunnels !
- Contentez-vous de marcher, le temps qu’on arrive en bas vous vous y ferrez.
- En bas ? Mais alors pourquoi on se dirige vers un escalier ascendant ?

Leur hôtesse ne prit pas la peine de répondre et avança vers l’escalier cité par l’Archiviste.

Les marches étaient aussi larges que la grande porte d’entrée, et menèrent les visiteurs dans une immense pièce carré aux couleurs éclatante mais surtout remplie de vide. L’escalier lui-même progressait dans le vide, sans s’appuyer sur le mur et sans rampe aucune entre les Enfant et un vide insondable. Puis les marchent s’arrêtèrent de monter, laissant le trio perdue au milieu de ce grand vide. Ce qui n’empêcha pas Sharah’In de continuer, de poser un pied sur le bord de la dernière marche, puis de disparaître sous l’escalier.

Paniqué, Exodus et Teclis se ruèrent vers la dernière marche pour tenter de l’apercevoir mais ne virent que les ténèbres. Puis le visage amusé de leur consœur qui leur apparu de sous l’escalier.

- Bon alors, vous venez ? C’est simple, continuez à avancer comme avant.

Ils la suivirent, peu rassurés, pour passer sous les marches qu’ils venaient de monter. Leurs pieds restèrent collés, leur épargnant une chute vers l’inconnu, et ils suivirent Sharah’In sur l’envers de l’escalier, continuant de monter sur une distance bien plus longue, montant vers les profondeur du manoir.


Teclis

Cela faisait un bon moment que le trio évoluait dans cet endroit aux lois physiques peu orthodoxes, à tel point que Teclis se demandait si, en plus d'étirer l'espace, le manoir ne se jouait pas du temps. L'Archiviste se souvenait avec précision de son entrée dans le bâtiment, du passage d'un "sol" à un "mur" et de certains tableaux. Par contre, d'autres éléments de son séjour ici étaient flous, indistincts dans sa mémoire : un peu comme de vieux souvenirs embrumés dont l'esprit humain comble les lacunes naturellement. Un bref instant, l'Enfant se revit à huit ans, endormi sur une table de travail, alors que l'un de ses professeurs dispensait un cours d'histoire très ennuyeux. Il ressentait la même torpeur intellectuelle à l'heure actuelle. Cela pouvait bien faire une minute comme un jour qu'il était ici, voire bien plus : il n'y avait plus grande différence... L'estomac d'Exodus gargouilla bruyamment et mit fin à ses pensées.

- J'ai une faim de loup...

La voix d'Exodus se fit lointaine aux oreilles de Teclis, alors qu'il était à moins d'un mètre de lui.

- Intéressante expression. Je comprends mieux pourquoi Dispater et toi vous vous entendez si bien...

Sa propre voix semblait étouffée.

- Nous partageons beaucoup de choses lui et moi : l'amour de la bonne chère, le goût de la chasse à l'hérétique et une aptitude non-négligeable à provoquer des ulcères au cuisinier de notre dépendance. Des liens finissent par se créer.
- Il me manque un peu... Son flair aurait été utile ici.

Exodus n'avait encore jamais vu Teclis faire montre de sentimentalisme envers un être vivant, excepté peut-être un sujet d'expérience. Il ne laissa rien paraître et poursuivit.

- Pas tellement à moins qu'il ne puisse flairer les reliques millénaires du culte. J'ai bien peur que notre cher compagnon quadrupède ne se serait pas senti très à l'aise ici. Cet endroit est abominable...

Il jeta un regard prudent vers Sharah'In qui marchait à quelques pas devant eux. Elle n'avait pas entendu le répurgateur, ou elle l'avait ignoré. Au bout de l'escalier, ils arrivèrent sur une plateforme meublée comme un salon. Le mobilier paraissait légèrement trop grand, comme déformé par un miroir grossissant. La musicienne agrippa une échelle suspendue depuis le "plafond", près d'une chaise, et commença à la remonter la tête en bas. Chose plus bizarre encore, ses longs cheveux ne pendaient pas dans le vide, reposant délicatement sur ses épaules à l'envers. Elle leur adressa l'un de ses rares sourires et leur fit un signe de tête. Teclis et Exodus se regardèrent avant de se résigner à grimper les barreaux un à un dans la plus totale anomie gravitationnelle. Au bout de quelques minutes, Sharah'In s'arrêta.

- C'est là que ça va être un peu plus compliqué.
- Pardon ?
- Moi qui me disais que c'était trop simple.

Long soupir.

- Comme je vous le disais, pour votre bien à tous les deux : les choses vont se compliquer légèrement. L'endroit qui va suivre est... La musicienne hésita sur le terme adéquat... cassé ?

Elle eut une moue d'excuse infantile qui ne lui ressemblait pas.

- Comment ça, "cassé" ?  

Teclis et Exodus jetèrent un regard un peu plus loin. Pour l'heure, hormis de lointaines lumières, seule l'échelle qu'ils arpentaient depuis tout à l'heure était apparente.

- Disons que j'ai fait... un faux accord dans ma musique lorsque j'ai édifié cette échelle. Ho, ce n'est rien, juste un mauvais moment à passer. Continuez à progresser mais souvenez-vous juste d'une chose : ne tombez pas. Vous briser les os dans mon esprit, ou son reflet, serait la chose la plus agréable qui pourrait vous arriver en cas de chute.

Sans attendre de réponse, elle s'élança avec agilité. Ses cheveux voltigèrent étrangement à mesure qu'elle grimpait. Une sourde appréhension s'empara de l'archiviste qui empoigna le barreau de bois au-dessus de lui et se hissa d'un degré. Il poussa un bref cri. La gravité venait de se modifier et il semblait se trouver, dos au vide, accroché à un pont de singes. Il se força à tendre le bras, et coinça ses jambes dans la structure de l'échelle. La progression fut difficile, régulièrement, l'attraction terrestre changeait et mettait à mal les muscles de Teclis. Derrière lui, Exodus grognait, plus à cause des changements de repères que des efforts à fournir. Le répurgateur était musclé, malgré son coup de fourchette, et il était habitué aux exercices physiques.  Son endurance dépassait de loin les aptitudes corporelles du scientifique. Ce dernier, les articulations douloureuses, ne pouvait s'empêcher de faire fonctionner ses méninges à plein régime pour tenter de cerner les propriétés d'un tel environnement. Un tremblement le ramena à des considérations plus terre-à-terre. La luminosité ambiante, dont il n'avait pas conscience jusque là, baissa drastiquement. Sharah' se pencha/retourna/releva vers lui avant de regarder avec méfiance autour d'elle, les sourcils froncés. Il y eut un juron derrière Teclis.

L'archiviste s'étonna de voir Exodus dont l'une des jambes semblait inexorablement attirée par le néant, et qui luttait de toutes ses forces pour resté accroché à l'échelle... A bien y regarder, on avait l'impression... le sentiment qu'un tentacule d'ombre avait enserré sa botte. Quelque chose s'agita dans les ténèbres sous Teclis. Celui-ci ramena aussitôt ses jambes le plus loin possible du vide et commença à fouiller dans sa sacoche. Il y eut un coup de tonnerre et un énorme flash lumineux. Ce n'était pourtant pas la foudre qui venait de frapper : Exodus avait fait feu avec son pistolet sur son agresseur et les effets sonores et pyrotechniques du tir avaient été démultipliés. L'échelle trembla à nouveau, violemment. Il fit plus sombre. Exodus et Teclis se préparèrent à vendre chèrement leur peau contre cet adversaire inconnu. Un peu plus loin, Sharah'In s'arc-bouta entre deux barreaux et ferma les yeux, les traits concentrés.

- J'ai toujours trouvé Sharah' très attachante, même dans ses cotés les plus noirs.

L'obscurité s'était épaissie autour de la jambe du répurgateur.

- Dans des situations comme celles-ci, on ne fait pas de traits d'humour. On récite une prière persifla doctement l'archiviste.

- Je n'ai... jamais su, le chasseur de sorcières dégaina sa rapière, respecter ce foutu credo à la lettre.

Anathème s'embrasa comme une torche dans sa main. La fine lame fendit l'air et l'étreinte de ténèbres se racornit face à la lueur des flammes. Cependant, il y eut un nouveau flottement dans la marée d'ombre. Exodus profita de sa brève libération pour remonter ses jambes à l'horizontale et poser ses talons sur les barreaux de l'échelle.

- Sharah... On va vraiment avoir besoin de toi sur ce coup...


Sharah'In

***


Brûlure.
Souffrance.

Une grimace s'étira sur son visage. Plus qu'un rictus, l'étirement de ses lèvres concentrait toute la haine qu'elle pouvait avoir pour les membres de son espèce. Pourquoi sinon était-elle devenue autre ?
Un rire résonna dans l'espace quasiment vide de ce qu'on pouvait appeler "une pièce". Elle sentit les petits corps chétifs s'affairer, l'un avec force, l'autre avec peur. L'odeur de la crainte suintait de tous les pores de sa peau. La ferveur de ses mots, lui brûlant la gorge, ne l'empêchait pas de la craindre.

Un nouveau tentacule fusa vers les jambes frémissantes d'un des intrus. Un second vint s'entortiller autour de son bras.
Elle refusait de devoir subir à nouveau la brûlure de sa lame.

Hurlement.
Panique.
Souffrance à nouveau.


***


Quelques barreaux au dessus d'Exodus et de Teclis, Sharah se tenait parfaitement immobile. Le bras enroulé autour d'un des barreaux, son regard était plongé dans les abysses sombres en dessous de ses compagnons de route.
La créature poursuivait ses assauts, entravant Exodus. Ce dernier tentait tant bien que mal de s'extraire de cette étreinte forcée, jetant des regards éperdus à ses compagnons.
Teclis, le nez plongé dans sa sacoche, tentait de trouver une arme ou quelque chose lui permettant d'aider son ami.
Un coup de feu retentit. Puis un second. Un hurlement lugubre lui répondit.

***


Souffrance.
Colère.

Elle hurla sa peine. Sa rage décupla.

Plus rien ne pouvait l'arrêter.


***


Profitant des quelques secondes de répis, Teclis et Exodus avaient poursuivit leur ascension, jusqu'à se retrouver sur le barreau juste en dessous de Sharah. Tandis qu'Exodus tentait de faire de l'humour en marmonnant une remarque sur la mode de ces demoiselles de mettre des pantalons, Teclis lança un nouvel appel à l'aide à son amie.
En levant les yeux vers elle, il ne put voir qu'une seule chose : ses yeux étaient noirs comme l'abysse en dessous d'eux. Et un rictus mauvais étirait ses lèvres. La jeune femme tendit la main vers son compagnon. Aussitôt, un tentacule lui enserra la cheville.


Compte utilisé par l'équipe rôliste.
  • 11 sujets
  • 172 réponses

Message posté le 20:10 - 12 nov. 2015

Rappel : les fait se déroulent avant la Guerre des Confréries de 1057


Teclis ne lâcha pas vraiment un cris lorsque la forme d'ombre lui enserra la cheville. Tout au plus un hoquet de surprise, qui se muât en un râle crispé d'effort quand la chose dans le noir tira pour l'attirer à elle. Une partie de sa sacoche se déversa dans l’abîme et disparue sans émettre un son. L'Archiviste hameçonné se tint du mieux qu'il pouvait de ses deux bras et de sa jambe vaillante mais on voyait qu'il ne tiendrait pas longtemps.

Exodus de son côté avait réussi à réaffirmer sa prise. Ses jambes étaient fermement coincées entre les barreaux de l'échelle et ses bras tentaient tant bien que mal d'aider son compagnon à résister à l'attraction de l'obscurité.

- Sharah, adressa-t-il à sa consœur, aide-moi à le remonter! ... Sharah?

Il redressa comme il put la tête et contempla alors le sourire de l'Enfant, laquelle semblait apprécier le spectacle que lui offrait un Teclis luttant contre la mort.

Ses yeux avaient la couleur du jais, sur toute leur surface.

- Merde!

Lâchant à moitié Teclis, il tira son dernier pistolet encore chargé et visa le visage de sa consœur pendant quelques seconde, la main tremblante d'effort et d'hésitation.

- Merde de merde! lâcha-t-il en baissant sa visée en direction du tentacule.

Il pressa la détente, ce qui généra un "sprofff" décevant et quelques étincelles accompagnées de fumée. Cette saloperie de poudre avait fait long feu!

- Putain de... Teclis! Hurla-t-il en projetant son arme en direction du tentacule sans grand effet, tu pourrais au moins t'appliquer sur la poudre, c'est la base!
- Je suis... un peu.. occupé en ce moment! Lâcha un Teclis au bord du craquage physique. Ô Unique, priez pour moi, je crois que j'arrive!

Priez... Exodus regarda Sharah'In toujours si... amusée? Puis la forme sombre. Puis Teclis. Oui, peut-être que ça pourrait marcher.

Il se cramponna de plus belle, tenant toujours la jambe de Teclis d'une main, et se mit à marmonner.

- ... ta justesse et ta loyauté envers ta race...
- Ce n'est plus le moment de respecter le credo!

Ça allait marcher. Ça devait marcher!

- ... car jamais tu ne laisseras s'égarer tes enfants dans l'ombre...
- Mon Unique qui êtes en votre royaume, j'implore pardon pour mes fautes...

Mais si Sharah n'avait jamais vu cet effet, allait-il fonctionner en son être? Oui, l'Unique était en tout lieu, et ici était l'esprit d'une croyante... Enfin, bon, sans doute?

- ... et qu'il fut dit qu'en tout lieu Il viendrait les secourir...
- ... mais je tiens à préciser que plus d'une fois il s'agissait de mes assistants et...

Un second puis un troisième tentacule jaillir des abîmes et saisirent Exodus à la taille, coupant net son souffle et le tirant vers le bas avec force.

- Humph!... Et... et qu'Il apparaîtrai auréolé de Sa gloire, qu'on le reconnaîtrai sur l'heure...
- ... d'accord, c'est moi qui ai fait le coup de canard mais je jure que...
- ... car... Il est l'Unique...
- ... j'vais lâcher, j'vais lâcher jvaislâcheeeeer!
- Et que parfaite est Son IMAGE! FERMELESYEUXTEC-

Une lumière iridescente envahie l'espace autour du Répurgateur, lequel n'était plus qu'un contour de lumière dorée. L'éclat se répandit en une fraction de seconde, repoussant les ombres jusqu'à des murs auparavant insondables, noyant de lumières les lieux et les âmes de ceux qui s'y trouvaient.
Une lumière qui dura quelques secondes, le temps d'un battement de cœur suspendu.
Le temps d'un miracle.

  • 11 sujets
  • 234 réponses

Message posté le 11:41 - 13 nov. 2015

- ça y est, je suis mort ?
- Non, tu - on ne l'est pas (encore).
- Exodus, tu es là toi aussi !? Maintenant c'est certain, j'ai échoué en enfer...

Il n'y eut aucun bruit durant un instant. Tout était redevenu ténèbres. Cependant, alors que Teclis recouvrait la vue, il s'aperçut que l'étrange endroit dans lequel il se trouvait paraissait moins oppressant. Devant lui, Sharah' avait disparu. Il se retourna. Exodus et lui échangèrent un bref regard entendu et ils se mirent à progresser sur l'échelle, sans un mot. Au bout d'une durée indéterminée, ils finirent par parvenir à l'entrée d'un couloir. Retrouver un sol sous ses pieds avait quelque chose de rassurant. Au long de leur progression, l'obscurité s'était raffermie de nouveau sans retrouver pour autant toute sa vigueur.

Finalement, ils s'assirent, chacun dos à un mur, face à face. Il y eut encore un moment de flottement avant que le répurgateur ne prenne la parole.

- Tu crois qu'elle est...

Soupir.

- Je ne sais pas. Soit elle a chu, soit quelque chose s'est emparé d'elle ; soit encore elle s'est volatilisée par un moyen connu de sa seule personne. Au regard de ce qu'on a traversé et connaissant les ressources de Sharah', rien est à exclure. Cependant, si l'on part du postulat que nous nous trouvons dans une de ses projections amplifiée par la Corne, je pense que sa mort aurait engendré un quelconque bouleversement. Je me demande ce qui se serait passé si... j'étais tombé tout à l'heure.

Exodus sortit une flasque de remontant de sa poche, en but une lampée avant de la tendre à son camarade.

- Merci.

Toussotement.

- A la réflexion, mourir ici ne doit rien avoir d'agréable si notre propre disparition est répétée à l'infini par la Corne.
- La mort d'un Enfant est, généralement, peu agréable.
- ...
- Tu penses qu'on pourrait mourir plusieurs fois ?
- Oui... Ce serait un peu comme d'entendre Tear chanter les cantiques : une interminable souffrance...

Sourire fugace.

- On se remet en route ?
- Cinq minutes, je dois faire l'inventaire de ma sacoche. Ta prière semble avoir, le scientifique tira du sac un morceau de papier roulé dont le contenu s'étala en une poudre fine sur le sol, ruiné la plupart de mes produits, nonobstant ce qui a fini dans le gouffre...

Il eut une moue dubitative en sortant cinq fioles dont le contenu avait viré au bleu opale.

- Tiens, réaction chimique intéressante.

Il ouvrit le flacon, le renifla prudemment, puis en versa deux gouttes par terre. Une vapeur ocre s'éleva alors qu'un petit trou se formait dans le sol. Bizarrement, un rai de lumière rouge filtra par la minuscule ouverture.

- Encore un produit qui ronge/détruit/explose/dissout l'environnement. Étonnant de ta part.

Teclis se remit debout et offrit sa main au répurgateur pour qu'il fasse de même.

- Hmppffff, L'archiviste se massa l'avant-bras, je pense que je vais dorénavant recourir à ceci, fit-il en tapotant son carnet aux multiples lentilles, loupes et stylets qui était rangé dans une poche intérieure de sa robe d'enfant, je suis au moins certain de l'effet ici -si j'ai du temps devant moi. Et je vais aussi me reposer sur toi...

Exodus leva un œil de ses deux pistolets vides restants, qu'il s'employait à recharger. Cependant, il s'aperçut que sa poudre semblait s'être consumée elle-aussi.

- Bon, on va faire ça à l'ancienne, grogna t-il en jouant avec une dague.
- Oui... Comme dans les premiers temps. En tout cas, je suis... impressionné, ils se mirent en marche dans le couloir sans fenêtre, l'Unique semble te porter dans son coeur. Sans cette prière, s'en était terminé. De mémoire, je ne t'ai jamais vu réaliser une aussi belle prouesse à l'aide d'une litanie mineure, ou de peu. Quant à Sharah'...

Le répurgateur eut un haussement d'épaules navré.

- Je ne pouvais. Pas. Tirer. Désolé.
- Et je t'en remercie.

L'enfant fit une grimace.

- Je veux pouvoir lui faire boire moi-même tout le contenu de mon laboratoire avant de démonter Anamorphose pièce par pièce, sous ses yeux... Mais avant tout, retrouvons-là.

Il y eut un léger tremblement dans le bâtiment qui parut distendre le couloir. Deux passages se révélèrent de chaque coté.

- On croirait qu'elle t'a entendu.
- Silence. Je crois avoir...

Oui, une silhouette, à l'un des angles, humaine. En silence, les deux croyants s'avancèrent pour assister à une scène très étrange. Dans le corridor, l'atmosphère s'était réchauffée, un vent à la salinité marine soufflait et un léger écho rappelant le bruit des vagues se fracassant sur les rochers se répétait. Interloqués, Exodus et Teclis virent un homme, vêtu de loque, un glaive à la main, sortir du mur. Son être tout entier était éthéré, fantomatique. Ses lèvres remuèrent mais aucun mot ne sortit de sa bouche. Il s'adressait à une tierce personne qui prit elle-aussi corps dans une semi-réalité. Une femme, la trentaine. Plutôt belle malgré une cicatrice sur la joue et un affreux tatouage sur le front. Elle portait un paquet. Teclis poussa une brève exclamation et ouvrit la bouche pour parler mais Exodus le fit taire d'un coup de coude dans les côtes. Ils observèrent silencieusement les spectres discuter ensemble, s'étreindre comme un frère et une sœur, puis se quitter. Chacun emprunta un couloir opposé et se volatilisa.

- Qu'est ce que c'était d'après toi ?
- Je n'en suis pas sûr mais... peut-être que la Corne n'est plus si loin que ça...
- Première bonne nouvelle de la journée. Mais pourrais-tu répondre à ma question ?
- Je crois que nous avons assisté à un souvenir du passé de la Corne. la femme portait l'un des tatouages caractéristiques infligés aux humains par les Princes Esclaves... Selon certaines théories, les émotions humaines puissantes, parfois allanthropes pour les plus fantasques, génèrent une sorte... d'onde dans la réalité en se conjuguant avec l'Essence. C'est tout à fait possible que la Corne ait "aspiré" ce moment et le rejoue lui aussi. Toutefois, dans une projection aussi complexe que celle de Sharah', je pense qu'une telle manifestation ne pourrait apparaitre que non loin du point d'origine. Il est tout à fait possible que ce soit la Corne elle-même qui nous montre le chemin à suivre.

Exodus eut un froncement de sourcils.

- Tu dis que la Corne pourrait potentiellement répéter et amplifier certaines émotions fortes -qui selon ta théorie peuvent trouver une incarnation dans la réalité via l'Essence.

L'archiviste parut agacé.

- Déjà, ce n'est pas ma théorie. Ensuite, étant membre honoraire de l'Inquisition, tout du moins d'un ordre proche, tu dois savoir que c'est l'une des explications à la formation d'esprits vengeurs ou malveillants.
- J'ai surtout étudié sur le terrain tu sais...
- Tssss, l'Enfant prit un air docte Lorsqu'un être pensant est tué ou torturé d'une manière particulièrement atroce, sa souffrance, sa haine et sa peur prennent corps dans le monde réel via une... résonance avec l'Essence. Par exemple, les Banshee...
- Pas la peine de me ressortir l'ensemble du nécromi-bidule, Exodus poursuivit sur sa lancée avant d'être coupé par un Teclis en ébullition, je reprends donc en m'appuyant sur mes connaissances un peu plus poussées en Histoire : la Corne a été transportée en lieu sûr, dans des temps anciens, par un groupe d'esclaves prit en chasse par les laquais des Princes. J'ai bon ?
- Oui.
- Combien étaient les esclaves ?
- Aucune idée...

Il y eut un nouveau tremblement.

- Peut-être trente, quarante. Voire un peu plus.
- Bien. Et au regard de la scène jouée par nos deux anciens disciples du Culte, paix à leurs âmes, ils ont du être rattrapés par leurs poursuivants et ont du se battre... très certainement jusqu'au dernier, pour protéger l'artefact.
- Certes, et donc je ne v...

L'archiviste eut comme une illumination. Il était inutile qu'Exodus poursuive mais le répurgateur termina son exposé malgré tout.

- Les esclaves capturés étaient souvent soumis aux pires outrages, voire à des rites de magie noire. Ils ont ressenti divers sentiments très puissants avant leur mort, qui fut sans doute affreuse : espoir, amour, haine, colère, peur... Tout ça à coté...
- ... de la Corne, qui a pu répéter en son sein ce souvenir jusqu'à former une chose abominable. La projection de Sharah' a juste permis à cette entité de prendre corps dans un monde, même si ce dernier n'était qu'onirique.

Ils considérèrent cette hypothèse un instant.

- C'est peut-être ça qui l'a rendue aussi "étrange" tout à l'heure.

Teclis eut un rire nerveux au son du mot "étrange" avant de se reprendre.

- Possible. Ou non. Notre musicienne voit peut-être ses mauvais cotés exacerbés par la proximité du spectre de la Corne ; mais je pense qu'elle a pu perdre les pédales d'elle-même ici. Sharah' a ses noirs démons, et au regard du pouvoir qu'elle possède via sa musique, il faut une grande force de volonté pour ne pas succomber, au mieux, à un désir mégalomaniaque. Pouvoir qui, à l'heure actuelle, est amplifié, déformé et répété...

Silence, puis...

- Chouette programme. Coincés entre une de ses amies devenue sociopathe qui exerce un contrôle sur ce lieu dément, et un spectre très puissant qui se terre on-ne-sait-où. Une autre bonne nouvelle ?
- Oui... j'ai retrouvé une pomme dans l'une de mes poches.

Il y eut un craquement suivi d'un bruit de mastication. Teclis se remémora la prière de tout à l'heure et le flash lumineux afin de se forcer à la patience. L'Unique avait ses raisons. Pour l'heure, il fallait se concentrer sur la Corne.

- Bon, du coup, deux choix s'offrent à nous. Couloir de gauche, par lequel est parti l'homme ou couloir de droite emprunté par la femme. Personnellement j'opterai pour cette dernière solution puisqu'elle portait un paquet qui pouvait sans doute être la Corne. Et toi ?

Exodus eut un sourire entendu.

- Galanterie élémentaire : toujours suivre une jolie fille lorsqu'on y est invité.


En train d'élever un griffon...
  • 3 sujets
  • 14 réponses

Message posté le 12:27 - 16 déc. 2015

Perdue au milieu du château, la tête en vrac et l'estomac refusant de se calmer, Sharah n'en pouvait plus. Elle avait retrouvé ses esprits, du moins, en quelque sorte. Ses souvenirs de ce qui venait de se produire étaient flous, comme appartenant à quelqu'un d'autre. Elle devait se reprendre, ne pas oublier que même pour elle, sa propre psyché pouvait être un piège mortel.

- Bon, maintenant retrouvez les deux zouaves...

Sharah se remit en route, observant le moindre détail autour d'elle. La brume sombre de son esprit se repliait vers d'autres horizons, et elle marchait sur... un sol trampoline. Sharah en testa la résistance du bout du pied, tout en soupirant. Même si cette partie là de son esprit avait des avantages (l'euphorie et l'oubli en faisait partie), elle n'avait pas vraiment le temps de retomber en enfance.
Elle esquissa quelques pas, tentant de ne pas trop rebondir, ne sachant pas vraiment à quelle hauteur se trouvait le plafond. Un éclat de rire lui parvint, résonnant en échos sur les parois de la pièce. Un peu plus loin, une demoiselle s'enfuit en courant. De là où elle se trouvait, Sharah était incapable de dire à quoi elle ressemblait ou même l'âge qu'elle pouvait avoir.

- Si c'est une version de moi jeune, ça va être méga cliché...

Avançant doucement, la jeune femme se dirigea vers l'apparente sortie. Oui, elle allait suivre cette fille et peut-être que ça la mènerait à ses deux comparses. Les chances étaient maigres, mais elle n'avait pas vraiment d'autres pistes pour commencer.
Mentalement, elle se fit la promesse de ne plus jamais emmener d'autres personnes dans son univers. A moins que ce ne soit pour les enfermer, ou les faire souffrir atrocement. D'ailleurs, Sharah se demandait si elle n'allait pas faire de même avec les deux autres. Mais le souvenir de ses mauvaises pulsions et de ce qui venait probablement se passer la dissuada d'avoir encore ce genre de pensées. Il fallait qu'elle soit positive. Mais pas trop, pour ne pas retomber dans le vice inverse. C'était décidément très difficile, cette histoire.

Tout en essayant de ne plus penser à rien, la jeune femme suivit la femme (ou la gamine). Un bruit de pas et de mastication provenant d'autres couloirs lui indiqua qu'elle n'était peut-être pas la seule à suivre l'étrange apparition. Qui, soit dit en passant, n'avait rien à voir avec son propre esprit.


Moon Pearl - ma boutique
Bulles et parchemins - mon blog
^