Travaux en cours
Une idée qui m'est venue cette semaine.
Dans un premier temps, je m'intéresse surtout à vos avis sur le fond (la forme n'est pas définitive, ce sont juste quelques essais). J'en dis pas trop pour l'instant, j'attends de voir vos réactions pour savoir si le principe marche un peu ou pas du tout :)
Vince Sheridan, à moitié éméché et bien campé au fond de sa banquette de velours carmin, se délectait des effets de manche du numéro sexy. À dire vrai, il s'amusait lui-même de s'être laissé prendre au jeu. La jolie minette l'avait vite repéré. Du moins c'était ce dont il se persuadait, même si à cette heure si tardive et devant un parterre de yuppies défoncés et de touristes lourdingues, peu avaient encore l'esprit assez clair pour apprécier la prestation. Ce que voulait ces sacs de testostérone, c'était des fesses et des nichons, avec le moins d'emballage possible et aucune subtilité ou chorégraphie trop alambiquée. Vince Sheridan, voulait cette gamine à mesure qu'elle jouait avec sa frustration. La vulgarité de la situation disparaissait peu à peu, à mesure que la musique se faisait plus élégante et enveloppait la danseuse dans une aura de mystères sophistiquée.
Elle le regardait bien. Lui. Et maintenant qu'elle avait capté l'attention du seul quidam capable d'estimer sa danse à sa juste valeur, elle souhaitait en jouer. Et bouger pour lui seul. Vince avala d'un trait le fond de son verre de vodka et se pencha en avant, les coudes fermement appuyés sur les genoux, les phalanges jointes devant sa bouche impassible et le regard plus attentif que jamais. Il voulait lui passer ce message net et concis : « je suis le seul gus qui comprend la beauté du geste. Danse pour moi. »
Elle lui sourit puis virevolta alors que les beats reprenaient, agressifs, dans une envolée de synthétiseur stridente. La fille enchaîna deux ou trois dernières œillades et passa en un éclair au registre de l'ignorance. Le dédain, aussi feint que frustrant, toucha la cible dans le mile. Vince s'adossa et allongea les deux bras contre le large dossier de la banquette, les jambes écartées, dans une position d'aise et de mépris. Il aimait l'idée de jouer avec elle. Elle perçut le mouvement de son partenaire et improvisa un petite variation de son numéro : elle s'avança un tout petit peu dans sa direction, dépassa d'un rien le rideau de flash et de projections laser et bomba le torse avec un petit pincement des lèvres, un téton impertinent pointé dans sa direction. Elle lui adressa un clin d'œil sans équivoque et fit volte-face alors que le fade-out de sa musique l'entraînait déjà vers les coulisses. L'ombre voilait ses jolies petites fesses rebondies au rythme de ses derniers déhanchements.
Vince applaudit, satisfait en n'en avait rien à carrer de cette ébat incongru. Les autres clients abrutis lui jetèrent quelques regards hallucinés : qui applaudissait les strip-teaseuses à la fin de leur passage ? Vince, attrapa une Lucky Strike et grilla le bout avec son briquet plasma. Il poussa le vice jusqu'à toiser d'un air mauvais la tablée de jeunes cadres dynamiques juste de l'autre côté de l'allée où il se tenait affalé. Les quelques Corpo Senior japonais qui les accompagnaient soutinrent son regard, impavides.
Vince se leva de son repaire feutré et enjamba la table basse jonchée de verres vides. Il réajusta d'un coup sec les épaulettes rembourrées de sa veste à trois-cent dollars en dépassant la table des Nip' en goguette. Il prit un soin tout particulier à écraser la pointe de la Tod's d'un des petits branleurs à cravate dénouée.
Ces toquards ne savaient même pas être décontractés avec un semblant de naturel.
Vince se dirigea vers Bonnie, sa barmaid attitrée. D'un simple hochement de tête il l'appela alors qu'il n'était même pas encore parvenu jusqu'au bar. La serveuse hautaine, négligea avec une classe folle les plaintes désespérées des gus qui s'impatientaient depuis vingt minutes pour se planter devant lui.
« C'est ta dernière de la soirée : elle est pour moi ! »
Oh merde ! Il savait très bien ce que cela signifiait.
« Excusez-moi, Mademoiselle, mais j'étais là avant ce type. Ça fait une demie heure que j'essaie de passer commande. Maintenant que t'as enfin bougé ton petit cul jusqu'ici, je vais pas encore me laisser griller la place. Alors ça sera deux Cuba Libre. Et si tu te dépêches, j'oublierai peut-être pas ton pourboire, greluche. »
Bonnie fit éclater une bulle de chewing gum, les deux mains fermement plaquées sur le comptoir, ignorant ostensiblement la grossièreté du yuppie. Elle attendait toujours la réaction de Vince.
« Non, mais on croit rêver. Oh, oh, pétasse ! C'est à toi que je parle ! »
À ces mots, Vince leva un sourcil amusé en direction de l'avorton énervé.
« Alors, là, Bonnie, j'ai hâte de voir la suite ! »
Bonnie, tourna son visage aussi lentement que possible en direction du Corpo, ses yeux trop maquillés grands ouverts. Elle les planta dans ceux du mecton et sans violence ni précipitation, souleva délicatement sa paume du comptoir pour lui dresser sous le nez son majeur pointu et vernis de noir.
« Écoute, moi bien, connard, annonça-t-elle à son client. Je sers pas les fiottes dans ton genre qui commandent de la boisson de gonzesse. Alors lâche-moi les burnes et va voir au Midway si j'y suis. »
Vince tapa amicalement sur l'épaule du Junior estomaqué. Puis il maintint une poigne ferme et assurée sur la nuque du quidam et le poussa sans ménagement vers la foule qui se massait autour du bar.
« T'es pas sérieuse, Bonnie ? reprit Vince. La soirée vient à peine de commencer !
— Laisse tomber, Vince.
— Dis-moi plutôt, c'est qui la petite nouvelle que je viens de voir à l'instant sur le podium ?
— Même pas en rêve ! C'est une artiste, une vraie. Tu saisis l'idée ?
— Ouais, j'ai bien vu que c'était pas un numéro standard, façon bouge-ton-train.
— Elle est trop jolie et trop bien élevée pour un vicelard comme toi. Et puis change pas de sujet !
— Hey ! Je me renseigne, c'est tout.
— Tiens, voilà ton dernier verre, comme promis. Les types t'attendent à la numéro 15.
— C'est qui ?
— Désolé, Monsieur, je ne suis que la barmaid. Je ne comprends pas ce que vous me demandez. Commande, suivante !
— Bonnie ? Bonnie ! T'es vraiment une sacrée pouffiasse.
— Merci, vous aussi ! À qui le tour ? »
Une vingtaine de mains avides dressèrent des billets de vingt dollars pour attirer l'attention de la serveuse. Elle disparut derrière cette forêt de bras tendus et Vince pesta en se dégageant de la cohue.
Il se dirigea vers la cabine 15, loin au fond de l'établissement, dans le coin discret réservé aux « réservations VIP », là où habituellement les litres de champagne se déversaient sur les seins siliconés des girls les moins farouches, venues partager un peu de coke pour fêter en grandes pompes la conclusions de contrats bien juteux.
Vince, écarta le rideau. Il savait très bien, qu'il n'y avait ni champagne, ni putes qui l'attendaient. À la place il découvrit deux Nip' impeccablement fringués. Marques italiennes, Oyster au poignet, aucun logo de Corpo aux épingles à cravate ni sur le cartable de cuir sagement posé sur le sofa.
Vince ne les reconnut pas. Il n'aimait pas traiter avec des inconnus. Ça signifiait souvent qu'un de ses clients habituels avait lâché son nom parce qu'il devait une faveur à un débiteur. Vince n'aimait pas être la monnaie d'échange ou le pis-aller des crapules pour qui il bossait.
« Monsieur Sheridan, je suppose ? »
Vince maugréa en guise de confirmation et se laissa choir sur un fauteuil en face des deux Japonais. Il n'y avait aucun verre d'alcool sur la table immaculée, ce qui n'augurait rien d'amusant. Il avait souvent eu l'occasion de commencer des négociations avec ce type de porte-serviettes. Loin d'être de simples VRP ou des émissaires de second ordre, il s'agissait au contraire dans presque tous les cas des lieutenants les plus confirmés des gros cabinets ou des plus hauts cadres des services de cohésion interne des Corpo.
« Monsieur Sheridan, nous savons que le nom de « Dragon » vous évoquera sans aucun doute une très récente affaire.
— Comment vous dites ? « Dragon » ? Mmm... Non, je ne vois pas. Désolé.
— Nous admirons votre professionnalisme, c'est la raison principale qui nous a poussé à recourir à vos services. »
Le type parlait sans aucun accent, tandis que son collègue demeurait silencieux et les yeux rivés sur lui, essayant de décrypter son langage corporel. Le duo classique lors de ses rendez-vous d'affaires.
« Écoutez, les mecs. J'ai rien contre vous, d'ailleurs je vous connais même pas. Mais là, c'est vraiment pas le bon soir. Je reviens d'un voyage d'affaire en... en Californie et je suis rincé. »
Ce qui était en partie vraie. Vince remarqua bien trop tard son hésitation et il crut même qu'il avait ciller en cherchant une fausse provenance. Pour affirmer son refus de collaborer il engloutit son verre de vodka et le posa bruyamment sur la table basse.
« Je suis pas en état, ce soir. Ça peut attendre demain ou la semaine prochaine ? » essaya-t-il, bien qu'il se doutait que ses deux hôtes ne devaient pas être du genre à revenir au bureau bredouille.
« Monsieur Sheridan, s'il vous plaît, veuillez évacuer l'alcool de votre organisme.
— Ah, ça les gars, j'aimerai beaucoup, mais je ne suis pas magicien. »
Ses tentatives étaient de plus en plus pitoyables.
« J'ai du mal à croire que vous ne disposez pas des biotech nécessaires pour vous purger, Monsieur Sheridan. Mais si c'est bien le cas, mon camarade peut vous aider. »
L'asiatique muet fouilla dans la poche intérieure de sa veste et en sortit une fiole sans étiquette contenant un liquide transparent.
Vince soupira et s'empara de la minuscule flasque. Il descella la capsule et but d'une traite le purgatif chimique. Il n'avait aucune raison de se méfier du sirop : si on avait dû le supprimer à cause du Dragon, il serait déjà mort depuis des semaines.
« Je vous écoute, reprit Vince après une vingtaine de secondes, le temps pour lui de sentir le brouillard d'alcoolémie se dissiper.
— Plusieurs de nos sources ont rapporté que vous avez été en contact avec le Dragon lors des derniers mois. Vous confirmez ?
— Je ne confirme ni ne dément rien du tout. Si on vous a adressé à moi, j'ose espérer que vous savez à qui vous avez à faire. Il y a des règles dans mon métier. Les enfreindre c'est se tirer une balle dans le pied et se retrouver au chômage pour le restant de ses jours.
— Bien entendu. Nous n'en attendons pas moins de vous. Laissez-moi vous offrir ce gage de sincérité. »
Le Muet attrapa le cartable près de lui et en extirpa un lecteur vidéo portatif. Sheridan ne connaissait pas ce modèle et il n'en avait jamais vu d'aussi compact. Même le dernier Sony n'était pas aussi fin et léger.
« C'est un lecteur laser ? s'étonna-t-il à voix haute, presque honteux de s'émerveiller comme un gosse.
— Technologie vidéodisque miniaturisée. Mais regardez plutôt ce message de votre ami. »
Le Nip' affable se saisit de l'appareil et l'ouvrit comme s'il s'agissait d'un livre. Un écran couleur à cristaux liquides presque aussi fin que le Time s'éveilla sur un logo que Vince connaissait bien : Yukimori Industries. Le symbole laissa la place à un film qui présentait Jim Marlow, un de ses clients réguliers. Sa voix sortit d'un haut-parleur intégré mais pourtant indécelable à la surface du boîtier électronique.
« Salut Vince. Je comprends que tu puisses être étonné de me voir aujourd'hui en compagnie de mes anciens concurrents. Mais que veux-tu, les affaires sont les affaires, et toi et moi savons qu'il faut parfois se tourner vers le plus offrant.
Juste au cas où tu mettrais en doute l'authenticité de cet enregistrement, voici le numéro de ce matin du Wallstreet journal... »
Jim Marlow tendit la première page du journal en direction de l'objectif qui le filmait et pointa du doigt la date. Au même moment, le Muet sortit un exemplaire identique et le présenta à Vince. Mercredi 13 février 1985. Personne n'aurait pu falsifier la voix et le visage de Jim en moins de dix-sept heures, même avec les super-calculateurs de la Nasa et des logiciels de pointe. Une semaine entière n'y aurait pas suffit.
« Te voilà rassuré, Vince ? lui demanda Marlow. »
L'espace d'une seconde, Vince se demanda si Jim pouvait le voir en direct par l'intermédiaire de l'engin. Même si l'idée était stupide, l'impression lui procura un certain malaise.
« Tu peux parler en toute sécurité devant mes deux nouveaux collègues. Lors de notre dernière rencontre en octobre, lorsque tu m'as présenté ton compte rendu après ta petite aventure à Macao, je n'ai pas tout de suite compris l'importance de ce tout petit détail qui t'avait intrigué : les containers marqués du sigle DRAGON. Des boîtes emballées sous cellophane à bord de ce cargo taïwanais. Figure-toi, que le nom de Dragon est revenu plusieurs fois sur le tapis au cours des dernières semaines. Une de nos taupes chez Texas Instruments a intercepté un document interne où ce nom apparaissait. Puis un autre chez Olivetti et enfin un dernier chez Saint-Gobain il y a deux semaines. Avec les recoupements, j'ai pu comprendre qu'il s'agissait d'un nouveau produit biotech secret. Très certainement un projet de Recherche et Développement d'un groupe militaire d'Asie qui n'aurait pas abouti, faute de moyens et qui serait aujourd'hui proposé à certaines Corporations pour en assurer la fabrication ou la finalisation.
Or, personne ne semble savoir ce dont il s'agit réellement. Quoi qu'il en soit, les documents qui relataient l'existence de ce nouveau biotech faisaient aussi figurer des montants colossaux. Sur le bordereau français, il était question de cinq milliards de francs. Près de huit-cent trente millions de dollars, Vince ! Aucun biotech n'a jamais atteint une somme pareille sur le marché international.
J'ai tenté de retrouver la trace du cargo pour connaître le contenu et le destinataire des boîtes marquées du sceau du Dragon. Impossible de les retracer. Il n'y avait aucune référence dans les registres portuaires de Rotterdam. M'est avis qu'elles ont été transbordées en pleine mer entre l'Océan Indien et l'Europe du Nord.
Ta mission sera très simple, Vince : tu vas remonter dans ta mémoire pour retrouver toutes les infos possibles quant à ces cartons que tu as vu sur ce cargo. Ensuite, tu nous fais un premier rapport et on t'expédie sur place dès qu'on a retrouvé la trace du laboratoire de provenance. Et là, le plus difficile : tu te débrouilles pour me rapporter un échantillon ou encore mieux, le plan ou la formule, quoi qu'il s'agisse.
Un produit d'une telle valeur sera forcément inviolable une fois sur le marché. Si ça se trouve, il faudra des années pour rattraper sa technologie. Je ne peux pas le permettre.
D'après le travail d'un autre traceur que j'ai engagé, il pourrait s'agir soit d'un brevet pharmaceutique de la filiale hongkongaise de Bayer, soit d'un dispositif militaire du projet Empire Rouge.
Mes deux amis vont te conduire dès maintenant chez Larry pour une séance de rétro-memoring. Accroche-toi bien ! Il y a une petite fortune à la clef : j'ai décidé de tripler ton tarif ordinaire ! »
Le film s'interrompit brutalement et « l'ami de Jim » rabattit d'un claquement sec l'écran du lecteur portatif. Les deux Japonais se levèrent, prêts à vider les lieux.
« Attendez, les gars. Il y a un truc qui ne marche pas dans ce plan. Si j'ai bien compris, vous voulez qu'on aille tout de suite chez Larry ? »
Les deux types acquiescèrent.
« Si on parle bien du même Larry, alors on a un problème. Les fouilles mémorielles ça ne marche que pour des événements récents. Remonter au-delà de trente jours, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Et si on insiste trop avec les scanners mnémoniques, c'est un coup à vous cramer les synapses. Alors trifouiller à cinq mois de distance, c'est carrément du suicide !
— Comme vous l'a dit à l'instant Monsieur Marlow : votre prime sera triplée. Si vous survivez. »
01:03 - 1 févr. 2016
Vince Sheridan, à moitié éméché et bien campé au fond de sa banquette de velours carmin, se délectait des effets de manche du numéro sexy. À dire vrai, il s'amusait lui-même de s'être laissé prendre au jeu. La jolie minette l'avait vite repéré. Du moins c'était ce dont il se persuadait, même si à cette heure si tardive et devant un parterre de yuppies défoncés et de touristes lourdingues, peu avaient encore l'esprit assez clair pour apprécier la prestation. Ce que voulait ces sacs de testostérone, c'était des fesses et des nichons, avec le moins d'emballage possible et aucune subtilité ou chorégraphie trop alambiquée. Vince Sheridan, voulait cette gamine à mesure qu'elle jouait avec sa frustration. La vulgarité de la situation disparaissait peu à peu, à mesure que la musique se faisait plus élégante et enveloppait la danseuse dans une aura de mystères sophistiquée.
Elle le regardait bien. Lui. Et maintenant qu'elle avait capté l'attention du seul quidam capable d'estimer sa danse à sa juste valeur, elle souhaitait en jouer. Et bouger pour lui seul. Vince avala d'un trait le fond de son verre de vodka et se pencha en avant, les coudes fermement appuyés sur les genoux, les phalanges jointes devant sa bouche impassible et le regard plus attentif que jamais. Il voulait lui passer ce message net et concis : « je [Je] suis le seul gus qui comprend la beauté du geste. Danse pour moi. »
Elle lui sourit puis virevolta alors que les beats reprenaient, agressifs, dans une envolée de synthétiseur stridente. La fille enchaîna deux ou trois dernières œillades et passa en un éclair au registre de l'ignorance. Le dédain, aussi feint que frustrant, toucha la cible dans le mile. Vince s'adossa et allongea les deux bras contre le large dossier de la banquette, les jambes écartées, dans une position d'aise et de mépris. Il aimait l'idée de jouer avec elle. Elle perçut le mouvement de son partenaire et improvisa un petite variation de son numéro : elle s'avança un tout petit peu dans sa direction, dépassa d'un rien le rideau de flash et de projections laser et bomba le torse avec un petit pincement des lèvres, un téton impertinent pointé dans sa direction. Elle lui adressa un clin d'œil sans équivoque et fit volte-face alors que le fade-out de sa musique l'entraînait déjà vers les coulisses. L'ombre voilait ses jolies petites fesses rebondies au rythme de ses derniers déhanchements.
Vince applaudit, satisfait en n'en avait rien à carrer de [problème de sens] cette [cet] ébat incongru. Les autres clients abrutis lui jetèrent quelques regards hallucinés : qui applaudissait les strip-teaseuses à la fin de leur passage ? Vince, [virgule inutile] attrapa une Lucky Strike et grilla le bout avec son briquet plasma. Il poussa le vice jusqu'à toiser d'un air mauvais la tablée de jeunes cadres dynamiques juste de l'autre côté de l'allée où il se tenait affalé. Les quelques Corpo Senior japonais qui les accompagnaient soutinrent son regard, impavides.
Vince se leva de son repaire feutré et enjamba la table basse jonchée de verres vides. Il réajusta d'un coup sec les épaulettes rembourrées de sa veste à trois-cent dollars en dépassant la table des Nip' en goguette. Il prit un soin tout particulier à écraser la pointe de la Tod's d'un des petits branleurs à cravate dénouée.
Ces toquards ne savaient même pas être décontractés avec un semblant de naturel.
Vince se dirigea vers Bonnie, sa barmaid attitrée. D'un simple hochement de tête il l'appela alors qu'il n'était même pas encore parvenu jusqu'au bar. La serveuse hautaine, négligea avec une classe folle les plaintes désespérées des gus qui s'impatientaient depuis vingt minutes pour se planter devant lui.
« C'est ta dernière de la soirée : elle est pour moi ! »
Oh merde ! Il savait très bien ce que cela signifiait.
« Excusez-moi, Mademoiselle, mais j'étais là avant ce type. Ça fait une demie heure [demi-heure] que j'essaie de passer commande. Maintenant que t'as enfin bougé ton petit cul jusqu'ici, je vais pas encore me laisser griller la place. Alors ça sera deux Cuba Libre. Et si tu te dépêches, j'oublierai peut-être pas ton pourboire, greluche. »
Bonnie fit éclater une bulle de chewing gum, les deux mains fermement plaquées sur le comptoir, ignorant ostensiblement la grossièreté du yuppie. Elle attendait toujours la réaction de Vince.
« Non, mais on croit rêver. Oh, oh, pétasse ! C'est à toi que je parle ! »
À ces mots, Vince leva un sourcil amusé en direction de l'avorton énervé.
« Alors, là, Bonnie, j'ai hâte de voir la suite ! »
Bonnie, tourna son visage aussi lentement que possible en direction du Corpo, ses yeux trop maquillés grands ouverts. Elle les planta dans ceux du mecton et sans violence ni précipitation, souleva délicatement sa paume du comptoir pour lui dresser sous le nez son majeur pointu et vernis de noir.
« Écoute, moi bien [Écoute-moi bien], connard, annonça-t-elle à son client. Je sers pas les fiottes dans ton genre qui commandent de la boisson de gonzesse. Alors lâche-moi les burnes et va voir au Midway si j'y suis. »
Vince tapa amicalement sur l'épaule du Junior estomaqué. Puis il maintint une poigne ferme et assurée sur la nuque du quidam et le poussa sans ménagement vers la foule qui se massait autour du bar.
« T'es pas sérieuse, Bonnie ? reprit Vince. La soirée vient à peine de commencer !
— Laisse tomber, Vince.
— Dis-moi plutôt, c'est qui la petite nouvelle que je viens de voir à l'instant sur le podium ?
— Même pas en rêve ! C'est une artiste, une vraie. Tu saisis l'idée ?
— Ouais, j'ai bien vu que c'était pas un numéro standard, façon bouge-ton-train.
— Elle est trop jolie et trop bien élevée pour un vicelard comme toi. Et puis change pas de sujet !
— Hey ! Je me renseigne, c'est tout.
— Tiens, voilà ton dernier verre, comme promis. Les types t'attendent à la numéro 15.
— C'est qui ?
— Désolé, Monsieur, je ne suis que la barmaid. Je ne comprends pas ce que vous me demandez. Commande, suivante !
— Bonnie ? Bonnie ! T'es vraiment une sacrée pouffiasse.
— Merci, vous aussi ! À qui le tour ? »
Une vingtaine de mains avides dressèrent des billets de vingt dollars pour attirer l'attention de la serveuse. Elle disparut derrière cette forêt de bras tendus et Vince pesta en se dégageant de la cohue.
Il se dirigea vers la cabine 15, loin au fond de l'établissement, dans le coin discret réservé aux « réservations VIP », là où habituellement les litres de champagne se déversaient sur les seins siliconés des girls les moins farouches, venues partager un peu de coke pour fêter en grandes pompes la conclusions de contrats bien juteux. [phrase trop longue]
Vince, écarta le rideau. Il savait très bien, qu'il n'y avait ni champagne, ni putes qui l'attendaient. À la place il découvrit deux Nip' impeccablement fringués. Marques italiennes, Oyster au poignet, aucun logo de Corpo aux épingles à cravate ni sur le cartable de cuir sagement posé sur le sofa.
Vince ne les reconnut pas. Il n'aimait pas traiter avec des inconnus. Ça signifiait souvent qu'un de ses clients habituels avait lâché son nom parce qu'il devait une faveur à un débiteur. Vince n'aimait pas être la monnaie d'échange ou le pis-aller des crapules pour qui il bossait.
« Monsieur Sheridan, je suppose ? »
Vince maugréa en guise de confirmation et se laissa choir sur un fauteuil en face des deux Japonais. Il n'y avait aucun verre d'alcool sur la table immaculée, ce qui n'augurait rien d'amusant. Il avait souvent eu l'occasion de commencer des négociations avec ce type de porte-serviettes. Loin d'être de simples VRP ou des émissaires de second ordre, il s'agissait au contraire dans presque tous les cas des lieutenants les plus confirmés des gros cabinets ou des plus hauts cadres des services de cohésion interne des Corpo.
« Monsieur Sheridan, nous savons que le nom de « Dragon » vous évoquera sans aucun doute une très récente affaire.
— Comment vous dites ? « Dragon » ? Mmm... Non, je ne vois pas. Désolé.
— Nous admirons votre professionnalisme, c'est la raison principale qui nous a poussé [poussés] à recourir à vos services. »
Le type parlait sans aucun accent, tandis que son collègue demeurait silencieux et [inutile] les yeux rivés sur lui, essayant de décrypter son langage corporel. Le duo classique lors de ses rendez-vous d'affaires.
« Écoutez, les mecs. J'ai rien contre vous, d'ailleurs je vous connais même pas. Mais là, c'est vraiment pas le bon soir. Je reviens d'un voyage d'affaire en... en Californie et je suis rincé. »
Ce qui était en partie vraie. Vince remarqua bien trop tard son hésitation et il crut même qu'il avait ciller en cherchant une fausse provenance. Pour affirmer son refus de collaborer il engloutit son verre de vodka et le posa bruyamment sur la table basse.
« Je suis pas en état, ce soir. Ça peut attendre demain ou la semaine prochaine ? » essaya-t-il, bien qu'il se doutait que ses deux hôtes ne devaient pas être du genre à revenir au bureau bredouille.
« Monsieur Sheridan, s'il vous plaît, veuillez évacuer l'alcool de votre organisme.
— Ah, ça les gars, j'aimerai [aimerais] beaucoup, mais je ne suis pas magicien. »
Ses tentatives étaient de plus en plus pitoyables.
« J'ai du mal à croire que vous ne disposez [disposiez] pas des biotech nécessaires pour vous purger, Monsieur Sheridan. Mais si c'est bien le cas, mon camarade peut vous aider. »
L'asiatique muet fouilla dans la poche intérieure de sa veste et en sortit une fiole sans étiquette contenant un liquide transparent.
Vince soupira et s'empara de la minuscule flasque. Il descella la capsule et but d'une traite le purgatif chimique. Il n'avait aucune raison de se méfier du sirop : si on avait dû le supprimer à cause du Dragon, il serait déjà mort depuis des semaines.
« Je vous écoute, reprit Vince après une vingtaine de secondes, le temps pour lui de sentir le brouillard d'alcoolémie se dissiper.
— Plusieurs de nos sources ont rapporté que vous avez été en contact avec le Dragon lors des derniers mois. Vous confirmez ?
— Je ne confirme ni ne dément rien du tout. Si on vous a adressé à moi, j'ose espérer que vous savez à qui vous avez à faire. Il y a des règles dans mon métier. Les enfreindre c'est se tirer une balle dans le pied et se retrouver au chômage pour le restant de ses jours.
— Bien entendu. Nous n'en attendons pas moins de vous. Laissez-moi vous offrir ce gage de sincérité. »
Le Muet attrapa le cartable près de lui et en extirpa un lecteur vidéo portatif. Sheridan ne connaissait pas ce modèle et il n'en avait jamais vu d'aussi compact. Même le dernier Sony n'était pas aussi fin et léger.
« C'est un lecteur laser ? s'étonna-t-il à voix haute, presque honteux de s'émerveiller comme un gosse.
— Technologie vidéodisque miniaturisée. Mais regardez plutôt ce message de votre ami. »
Le Nip' affable se saisit de l'appareil et l'ouvrit comme s'il s'agissait d'un livre. Un écran couleur à cristaux liquides presque aussi fin que le Time s'éveilla sur un logo que Vince connaissait bien : Yukimori Industries. Le symbole laissa la place à un film qui présentait Jim Marlow, un de ses clients réguliers. Sa voix sortit d'un haut-parleur intégré mais pourtant indécelable à la surface du boîtier électronique.
« Salut [virgule] Vince. Je comprends que tu puisses être étonné de me voir aujourd'hui en compagnie de mes anciens concurrents. Mais que veux-tu, les affaires sont les affaires, et toi et moi savons qu'il faut parfois se tourner vers le plus offrant.
Juste au cas où tu mettrais en doute l'authenticité de cet enregistrement, voici le numéro de ce matin du Wallstreet journal... »
Jim Marlow tendit la première page du journal en direction de l'objectif qui le filmait et pointa du doigt la date. Au même moment, le Muet sortit un exemplaire identique et le présenta à Vince. Mercredi 13 février 1985. Personne n'aurait pu falsifier la voix et le visage de Jim en moins de dix-sept heures, même avec les super-calculateurs de la Nasa [NASA] et des logiciels de pointe. Une semaine entière n'y aurait pas suffit.
« Te voilà rassuré, Vince ? lui demanda Marlow. »
L'espace d'une seconde, Vince se demanda si Jim pouvait le voir en direct par l'intermédiaire de l'engin. Même si l'idée était stupide, l'impression lui procura un certain malaise.
« Tu peux parler en toute sécurité devant mes deux nouveaux collègues. Lors de notre dernière rencontre en octobre, lorsque tu m'as présenté ton compte rendu après ta petite aventure à Macao, je n'ai pas tout de suite compris l'importance de ce tout petit détail qui t'avait intrigué : les containers marqués du sigle DRAGON. Des boîtes emballées sous cellophane à bord de ce cargo taïwanais. Figure-toi, que le nom de Dragon est revenu plusieurs fois sur le tapis au cours des dernières semaines. Une de nos taupes chez Texas Instruments a intercepté un document interne où ce nom apparaissait. Puis un autre chez Olivetti et enfin un dernier chez Saint-Gobain il y a deux semaines. Avec les recoupements, j'ai pu comprendre qu'il s'agissait d'un nouveau produit biotech secret. Très certainement un projet de Recherche et Développement d'un groupe militaire d'Asie qui n'aurait pas abouti, faute de moyens et qui serait aujourd'hui proposé à certaines Corporations pour en assurer la fabrication ou la finalisation.
Or, personne ne semble savoir ce dont il s'agit réellement. Quoi qu'il en soit, les documents qui relataient l'existence de ce nouveau biotech faisaient aussi figurer des montants colossaux. Sur le bordereau français, il était question de cinq milliards de francs. Près de huit-cent trente millions de dollars, Vince ! Aucun biotech n'a jamais atteint une somme pareille sur le marché international.
J'ai tenté de retrouver la trace du cargo pour connaître le contenu et le destinataire des boîtes marquées du sceau du Dragon. Impossible de les retracer. Il n'y avait aucune référence dans les registres portuaires de Rotterdam. M'est avis qu'elles ont été transbordées en pleine mer entre l'Océan Indien et l'Europe du Nord.
Ta mission sera très simple, Vince : tu vas remonter dans ta mémoire pour retrouver toutes les infos possibles quant à ces cartons que tu as vu [vus] sur ce cargo. Ensuite, tu nous fais un premier rapport et on t'expédie sur place dès qu'on a retrouvé la trace du laboratoire de provenance. Et là, le plus difficile : tu te débrouilles pour me rapporter un échantillon ou encore mieux, le plan ou la formule, quoi qu'il s'agisse.
Un produit d'une telle valeur sera forcément inviolable une fois sur le marché. Si ça se trouve, il faudra des années pour rattraper sa technologie. Je ne peux pas le permettre.
D'après le travail d'un autre traceur que j'ai engagé, il pourrait s'agir soit d'un brevet pharmaceutique de la filiale hongkongaise de Bayer, soit d'un dispositif militaire du projet Empire Rouge.
Mes deux amis vont te conduire dès maintenant chez Larry pour une séance de rétro-memoring. Accroche-toi bien ! Il y a une petite fortune à la clef : j'ai décidé de tripler ton tarif ordinaire ! »
Le film s'interrompit brutalement et « l'ami de Jim » rabattit d'un claquement sec l'écran du lecteur portatif. Les deux Japonais se levèrent, prêts à vider les lieux.
« Attendez, les gars. Il y a un truc qui ne marche pas dans ce plan. Si j'ai bien compris, vous voulez qu'on aille tout de suite chez Larry ? »
Les deux types acquiescèrent.
« Si on parle bien du même Larry, alors on a un problème. Les fouilles mémorielles ça ne marche que pour des événements récents. Remonter au-delà de trente jours, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Et si on insiste trop avec les scanners mnémoniques, c'est un coup à vous cramer les synapses. Alors trifouiller à cinq mois de distance, c'est carrément du suicide !
— Comme vous l'a dit à l'instant Monsieur Marlow : votre prime sera triplée. Si vous survivez. »
Par contre, le coup du mec qui s'approche du bar et qui se fait repérer directement par la serveuse assaillie de gueulards ça fait bien cliché. :b
La suite ! la suite !
22:54 - 1 mars 2016
Oui, oui, une suite est prévue.
Une correction et une reprise du premier jet aussi d'ailleurs.
"J'ai une âme solitaire"