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1 sept. 2016 - 11:52

Travaux en cours




Jour 122 :

C’est le réveillon du nouvel an ce soir, et j’ai 59 jours d’abstinence derrière moi. Il y a environ un mois, je suis allé chercher mon porte-clés en récompense pour mes 30 premiers jours, un cadeau des Narcotiques Anonymes en guise d’encouragement. Si tout se passe bien, j’en aurais mérité un autre pour les 60, demain. J’angoisse un peu, mais j’attaque ma soirée avec l’envie ferme de pouvoir aller le chercher l’année prochaine.

Quand j’y pense, les gens qui sont là sont des amis de longue date, en tout cas pour certains d’entre eux. Ils étaient là avec moi dans nos premières consommations, les consommations classiques de lycéens voulant faire la fête. Seulement, eux n’en sont pas arrivés au même point que moi après ces quelques dix années. L’idée qu’ils aient droit de s’amuser sans restriction alors que je ne puisse pas le faire me paraît terriblement injuste. Je ne suis pas vraiment fier de cette pensée, ils n’y sont pour rien. Et moi, ais-je mérité ma maladie ?

Je me demande à quel moment j’ai cessé de consommer comme eux pour consommer comme un dépendant. Un problème vertigineux et impossible à résoudre. Lorsque j’ai su que j’étais dépendant, je savais également que cela faisait longtemps que je l’étais. Plusieurs mois, plusieurs années peut-être. Je me souviens que déjà 5 ans auparavant ma consommation pouvait être problématique, parfois. Des signes avant-coureurs ? Non, ce n’est pas parce qu’on fait un black-out que l’on finit dans l’addiction. Alors quoi ? Je ne sais pas, c’est une réflexion pour un autre jour, là j’ai un autre souci sur les bras.

Mon réveillon est naze. Vraiment. Pas à cause des gens ou de l’ambiance mais de ce que j’ai dans la tête. Je ne vois pas mes amis, je suis focalisé sur les bouteilles. Elles sont là, m’observent, me tentent, me rappellent mon interdiction. Le frigo est une caverne d'Ali-Baba qui m'appelle de tout son cœur. Je suis un prisonnier affamé que l’on torture en lui présentant plein de plats tous plus succulents les uns que les autres sans que jamais il ne puisse en atteindre un seul. Est-ce que l’on peut tenir tout une soirée en obsédant sur sa drogue sans jamais y toucher ? Je ne veux pas y croire.

Après tout, c’est mon premier de l’an, j’ai le droit d’en profiter. Je ne vais pas passer toute ma soirée dans un coin à lutter contre moi-même un jour de fête ! Mais non, je dois juste me changer les idées, me focaliser sur autre chose, ça va passer, je dois tenir encore un peu, et me concentrer sur la soirée.

« Ah ben la Jenlain c’est la vie !
- C’est la gerbe, oui ! Même la Kro ça passe mieux.»

C’est compliqué. Même si je sais qu’en réalité je pourrais me concentrer sur autre chose que mon addiction, je la vois partout où je regarde. Je décide d’aller prendre l’air et une cigarette en même temps. Cette dépendance-là ne me détruit pas encore la vie.

Plus tard, je commence à rentrer dans un jeu de ping-pong mental épuisant : je jongle entre l’idée de continuer mon sevrage et celle de profiter de la soirée. Ma maladie commence à prendre le dessus lorsque je me mets à m’inventer des bonnes mauvaises raisons toutes plus valables les unes que les autres pour consommer. Après tout, c’est un jour bien particulier, non ? Je ne pourrais pas tout simplement faire une petite parenthèse, sans conséquences ?

Quelques temps plus tard, arrive la dernière goutte d’eau qui fait s’effondrer le vase :

« On fait un jeu à boire, tu viens jouer Choup' ? Tu peux jouer avec du coca, on s’en fout !»

Faire un jeu à boire avec du coca ? Oui bien sûr, on peut aussi faire une partouze chacun dans une pièce différente, si vous voulez. Mais je ne veux pas m’auto-exclure de la soirée. Le porte-clés est bien loin dans ma tête, en tout cas bien plus que la bière qui est à présent dans ma main. La satisfaction de sa propre dépendance n’a décidément rien à envier au plus magnifique orgasme. Après plusieurs heures de torture mentale, je peux enfin me détendre.

Quelques heures plus tard, je ne tiens plus debout et suis triste à cause de ma rechute. On me réconforte en me disant que ce n’est pas grave, que c’est juste une fois, que je reprendrai mon sevrage le lendemain et puis voilà. J’ai l’impression d’entendre des conseils de personnes qui ne savent pas de quoi ils parlent. Mais pourquoi pas après tout ? Finalement, une cuite tous les ans, si j’en reste à cela, c’est déjà incroyable.

Les habitudes ont la vie dure et je vais me coucher dans les derniers en finissant de m’achever alors que le reste de mes amis est passé à l’eau pour diminuer le mal de tête du lendemain.

Les jours suivant m’ont vraiment mis en confiance. Malgré une gueule de bois un peu trop durable, j’étais ravi : aucune envie de consommation, je retrouvais mon sevrage comme je l’avais laissé, y compris une fois de retour seul dans mon appartement. Je suis toujours capable de vivre sobre, cet échec n’en était finalement pas un : j’y ai gagné une bonne soirée, et n’ai rien perdu en retour. Enfin, les barreaux de la prison finissaient par céder, car je me rendais compte que je pouvais me soigner et toujours profiter de ma vie comme avant.

J’ai fini par totalement oublier ce fameux porte-clés.

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