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31 mai 2016 - 11:13

Travaux en cours

Notes:
Je ramène ce texte de TA 1.5. J'ai très peu de bébés en section littéraire et, après considération, je voudrais ramener mes deux "tomes longs" (jamais terminés, bien sûr. Ce sont des scénarions longs néanmoins).
Je ne les ai pas relus depuis des années donc ne vous penchez pas de trop sur le style ou la prose. Je me dis que de les reposter ici m'invitera à me relire moi-même et peut-être corriger et repolire ces textes à l'occasion.
Je ne suis pas pressée. Mais ils me manquaient. J'espère qu'ils pourront être acceptés dans les bibliothèques de tomes longs.

Notes sur Gael de Bley:

C'est un univers fictif inspiré de l'époque Napoléonienne en Europe. Le calendrier est fictif.







An 1255.

Après deux mois de bateau et en voiture, tirée par une trentaine de chevaux d'attelage tour à tour, Gael De Bley, fille de Justin Cale de Bley, termine le voyage épuisant de sa terre natale jusqu'aux faubourgs de Cyprith. À 24 ans, elle a voyagé à profusion dans les colonies de l'empire Embrois et elle visite pour la seconde fois les terres Cypriennes conquises en 1250 et depuis complètement annexées par les forces de son oncle, l'empereur Andrew IV.
La route a consisté de nombreux relais agrémentés de postes Embrois organisés comme des forts et puissamment militarisés. De nombreux convois d'autochtones appauvris par la défaite jonchent le passage, se tournant pour épier sa voiture ou détailler les armoiries qui en marquent la porte. Rien de visible pour eux derrière les rideaux de velours bleus et noirs qui la dissimulent, mais elle peut les observer de tout son gré. Justin, son valet noir, ne l'a pas quittée d'une semelle. Il est tantôt debout à l'arrière de la voiture, à surveiller la route et les bagages, tantôt en discussion avec un cocher, un patron d'auberge ou assis aux côtés de sa maîtresse pour bavarder. Leur relation ressemble peu à celle d'une maîtresse et de son valet. Justin et Gael ont grandi ensembles et se ressemblent d'apparence comme de caractère: Justin Cale de Bley, le défunt frère aîné d'Andrew IV était un homme d'une grande élégance, aux traits fins et vifs dissimulés derrière une barbe noire qui le rendait sévère et peu abordable. En réalité, ses distances résultaient d'une grande modestie. Conscient de ses qualités et de ses défauts, intelligent et triste, "Cale" a refusé de régner et préféré une vie à l'écart. D'un commun accord avec ses frères, il a laissé sa place à Andrew, qui le respectait. Justin Cale s'est tué à l'âge de 44 ans, s'étant glissé un matin dans un lac gelé pour y mourir d'hypothermie. Gael avait 14 ans.
Elle a beaucoup hérité de son père: sa vivacité d'esprit, sa beauté, son regard critique. Elle a adopté des manières masculines et indépendantes. Elle n'a pas grandi seule malgré l'absence de son père et de sa mère aisément distraite; son enfance a été habitée d'un servant noir, Justin, élevé en même temps et avec autant d'affection par son père. Une légende de famille raconte que le servant serait le fils bâtard de Cale. Une rumeur jamais confirmée. Gael et Justin s'entendent néanmoins comme des frères et sœurs, inséparables.
Ils sont accueillis en fin d'après-midi par la famille d'Émile d'Ambras, une connaissance de l'empereur et partisan durant la guerre. Leur manoir est intacte contrairement à d'autres, et plus resplendissant que jamais.
Justin s'affaire immédiatement à débarquer les possessions de sa maîtresse en faisant connaissance avec le personnel des lieux. Où qu'il aille, Justin surprend par sa personnalité; bavard et amical, cultivé, poli et sans servilité. Il impressionne les membres de sa caste mais parvient toujours à se faire aimer.
Gael n'a pas autant de succès. Ses habitudes vestimentaires et ses occupations, considérées masculines, ne sont tolérées que par le poids de son nom de famille. Elle est réceptionnée par la famille en bonne et due forme et on l'assaille sous les faux compliments et les politesses exagérées, pour la plupart des demandes informulées ayant pour but de s'attirer les faveurs de son oncle. Gael est sauvée des conformités ennuyeuses et embarrassantes par les claquements de sabots dans la cour. Madame la comtesse d'Ambras s'enquiert à haute-voix de cette arrivée:
- Émile, qui attendons-nous ?
Le comte répond dans sa barbe avec une sorte d'amertume:
- Ce doit être monsieur le Prince. Venessy.
- Si tôt?
- Il a tenu à venir en avance pour aider mademoiselle de Bley à s'installer.
- Charmant garçon.
Gael saisit l'occasion avec reconnaissance, tentant de contenir le soulagement dans sa voix :
- Excellent, ce cher Shaun !
L'empressement de Gael à leur fausser compagnie offusque bruyamment la comtesse. Justin trottait dans leur direction et Gael le joint pour galoper à la rencontre de leur cousin. Le prince Shaun Venessy se remarque par une douceur efféminée. Derrière son élégant chapeau haut de forme il est très allongé, la taille plus large que les épaules, il tourne vers sa cousine un visage arrondi aux traits agréables sous un sourire immédiat et sincère. Le prince s'incline pour saluer une première fois à distance, et encore lorsque leur proximité lui permet de poser un baiser sur sa main. Il dit avec un accent et ses joues rondes pinçant les coins de sa bouche:
- Ma cousine...
Gael rit de bon cœur:
- Oubliez vos belles manières, Shaun! Nous sommes entre nous et je suis ravie de vous revoir!
Sur quoi elle lui attrape chaleureusement la main au creux des siennes et la serre vigoureusement.
Venessy est diplomate d'occupation et le désintérêt de sa cousine pour l'étiquette dérange son sens aigu des formalités et il s'immobilise à moitié, une main emprisonnée par son effervescente affection:
- Je suis touché. Il y a si longtemps que nous ne nous étions pas vus en personne. Mais beaucoup de lettres! Avez-vous fait bon voyage? Avez-vous rencontré nos hôtes?
Il tend la main à Justin, qu'il salue avec cordialité après avoir été libéré et presse le groupe de rentrer :
- Venez, venez. Ne restons pas dehors, nous avons tant à faire avant ce soir!
Ils se dirigent vers leurs quartiers, Gael menant la marche comme un homme et Shaun l'informant du programme de la soirée organisée en son honneur dans un château voisin.



Acte I


Gael sait tout ce qu'elle doit savoir des invités en présence, qui éviter, qui saluer, que dire pour assouvir leur curiosité d'une grappe de mots sans être accaparée. Venessy l'accompagne pour commenter et commérer, une de ses occupations favorites, apparemment. Gael est ainsi introduite à de lointains familiers oubliés et à quelques officiers Embrois résidant sur place comme le capitaine Arthur Handsom, un bel homme à moustache aussi arrogant que pesant et dont ils tâchent, avec difficulté, de se débarrasser. Ils rencontrent ensuite le général Claw à qui n'est attribué pas moins que la défaite Cyprienne. Grand et rigide, le visage placide et sévère sous des cheveux auburn lissés, il contrarie ses apparences en les accueillant avec chaleur et une rafraîchissante absence d'invasion. Il connaît bien sûr Venessy:
- C'est excellent de vous revoir, Shaun. Comment allez-vous ? Travaillez-vous encore avec les psychopathes du bord de frontière ?
- Vous parlez des Iaroslaves ? Eh bien ! Tout le monde aime à les peindre en barbares ! Ce qu'ils ne sont pas, je vous assure.
- Vous êtes gentil.
- C'est bon de vous revoir aussi, James. Puis-je vous introduire à ma cousine Gael de Bley?
James Claw se tourne avec politesse vers Gael et, la voyant vêtue d'une redingote et de pantalons, coiffée comme un homme, décide de lui serrer la main plutôt que d'y poser un baiser:
- Enchanté de faire votre connaissance, miss de Bley.
Son choix dans la manière de la saluer est apprécié et Gael lui rend une poignée de main ferme avec un sourire charmant:
- Le plaisir est pour moi, General.
Comme elle a répondu en Cyprien il passe dans cette langue également et il est apparent qu'il ne s'y ose que rarement:
- Vous parlez avec élégance la langue de notre ennemi, my lady. Quelques hommes nous ont permis de remporter cette guerre, ceux qui parlaient Cyprian et comprenait le Polovish. C'est bien peu d'entre eux!
Disant cela il regarde Shaun avec amusement puis Gael:
- En parlant de Cypriens, les connaissez-vous un peu, miss de Bley? Votre père les aimait tant.
Elle sourit humblement, évasive:
- J'ai appris leur langue en même temps que leur histoire.
- They do have an intriguing history, don't they? Ces dernières vingt années m'ont fasciné.
Une pensée accapare Claw et il dit en pointant sa coupe de champagne derrière eux:
- Voyez, cet homme près des escaliers... Il vit confortablement dans le quartier. (Gael et Shaun se retournent) Tu ne le connais pas, Shaun. Cet homme s'appelle Lorbaud. (Gael note un effort intéressant sur la prononciation.) Je pense que vous seriez intrigués d'apprendre quelles sont ses connexions. C'est un ami de Bastelica depuis quelques années, qui habite lui aussi dans les parages.
Gael se tourne pour observer le dénommé, intriguée:
- de Bastelica? Vous parlez bien de l'homme de confiance d'Estebo? Il vit vraiment d'ici?
Claw répond avec amusement, intéressé par son propre sujet:
- C'est bien l'homme dont je parle. Les limites de sa propriété avoisinent celle de monsieur d'Ambras...
Émile l'a connu lui-même alors que ce n’était qu'un enfant! Et son ministre, Dannavoi, le diable en personne, possède une propriété à quinze lieues d'ici à peine. En fait, tous les démons infectes que nous avons combattus ces dernières années résident dans le voisinage.
Shaun l'interrompt tendrement dans son trip:
- Mais Monsieur d'Annevoie ne vit pas dans le quartier, il est en Iaroslavia fort loin d'ici. Remember?
- Il est exilé, c'est juste. Il possède encore pas moins de trente propriétés dans le pays, trente ! Ça ne me donne pas le sentiment qu'il soit parti.
- Mais aucun d'entre eux n'est permis de se voir ou de communiquer et Bastelica est suivi constamment.
- Oh, je le sais bien. Deux de mes hommes ont les yeux rivés sur lui où qu'il se rende. Personnellement, je n'ai rien contre lui, c'est un honnête soldat. Celui qui m’inquiète c'est le milliardaire en vacances de l'autre cote de la frontière.
Gael écoute ses interlocuteurs d'une oreille attentive, les yeux sur Lorbaud et ses invisibles connections. Cet homme au visage plissé par l'âge, aux longs cheveux mal coiffés et encore parsemés de noir lui tombant jusqu'aux épaules, à l'air comme d'un étrange gangster. Elle l'observe déposant son verre de champagne vide sur une table, accosté par un gentleman propret transportant des exemplaires imprimés qu'ils s'échangent en engageant la conversation. Elle voit Lorbaud plier délicatement le papier qu'il vient de recevoir de ses longues mains brunes et fripées et note que les deux hommes feignent de s'apprécier.
Prince Venessy conclue paisiblement à l'égard de Claw:
- Vous vous faites des idées.
- Et vous devriez savoir de quoi je parle, Prince... Mais je m'égare. Mademoiselle de Bley... J'ai été ravi de faire votre connaissance.
James Claw s'incline profondément vers Gael et prend congé de la soirée.



Acte II


À l'heure du souper, l'ensemble des invités se réunit dans une pièce luxueuse et aérée qui leur sert de salle à manger. Shaun accompagne sa cousine à table et lorsqu'ils entrent dans la pièce coude à coude, une bonne partie de l'assemblée les suit du regard avec intérêt et servilité. Gael est invitée à s'asseoir en bout de table près de ses hôtes, un baron Embrois à qui la demeure appartient et son ami le vieux Loris Michanle âgé de 63 ans. Le vieillard l'invite à s'asseoir avec déférence et l'enthousiasme enfantin des vieux machins à la vue de très jeunes et voluptueuses petites choses. Gael rencontre Michanle sporadiquement et, comme un meuble d'Antiquaire, il fait partie de son enfance sans qu'elle n'en comprenne encore la valeur ou l'importance. Michanle vit, de plus, à Cyprith et ne se rend jamais en Embroisie, ne s'étant déplacé exceptionnellement que pour enterrer Justin Cale. Un événement.
Un nombre d'officiers sont présents: Arthur et George Handsom, Cecil Heath que Venessy lui présente bientôt et quelques grands de Bley que Gael connaît bien. Ceux-ci font autant d'impression sur les invités que si le Pape les avait bénis de Sa Présence: le charismatique Chance Abraham de Bley avec sa femme Rowanda et trois de leurs filles, Abigail, Bethney et la très belle Lily accompagnée de son jeune mari Daniel Stinssens, la baronne Eloise Michanle, née de Bley et la sœur de Chance, est assise dignement à côté de son mari raboté. Gael remarque à table l'absence de son cousin « Jay » au côté de ses deux frères Syler et Erwin Michanle. Juliet, sa femme, est pourtant présente. Gael s'empare de l'attention de cette dernière et communique par signes, demandant sous forme de grimaces humoristiques: « Où est Jay? » Pour toute réponse Juliet lève les yeux en l'air avec exaspération. Les deux jeunes femmes rient en silence, complices.
D'autres lords locaux sont assis à l'extrémité opposée de la table, bavardant entre eux bruyamment dans leur langue en se souciant moyennement de l'aspect cérémonieux de cette réunion. James Claw se fait remarquer par son absence ainsi que l'homme à barbe fine qui était venu échanger des papiers avec Lorbaud. Ce dernier, assis non loin du baron Embrois et donc relativement près de Gael, cherche quelque chose à faire de ses grandes mains lentes et trouve un verre de vin propre et scintillant à remplir.
Gael prend le temps d'écouter les discours et toasts énoncés en son honneur. Ce n'est pas comme si elle avait le choix : L'assemblée entière et tous ses inconnus tournés vers elle ne la troublent pas, après tout, elle a grandi parmi les de Bley. Chance anime l'assemblée. Il est habituellement le centre de l'attention de part son intellect et sa pertinence troublante qu'il dilue avec habileté de son rire d'artiste suave. Sa beauté sereine hypnotise les foules avant même qu'il ne parle. Il n'a pas fait de prose concernant Gael mais cela ne surprend personne. Si Gael reçoit l'approbation et le support d'Andrew depuis l'enfance, Chance ne l'a jamais gratifiée que d'une neutralité froide.
Le vieux Kelly de Bley, assis non loin, les observe avec discrétion du haut de son buste distingué. Il est un de ces patriarches qui veillent sur la famille depuis une éternité a la façon muette d'immobiles portraits à l'huile que la vieillesse n'impressionne pas. Ce dernier offre au moins un sourire aimable à Gael.
Enfin Chance se lève et le silence se fait avec une révérence qui n'est pas sans évoquer l'audience d'un théâtre. Il observe sa portion familiale des invités quelques secondes avant de tourner son visage séduisant à l'ensemble et parle d'une voix d'orateur assurée et plaisante:
- Je vous surprends d'adoxographier autour de ce cirque dépourvu d’intérêt... (Son tranchant fait sursauter Eloise, qui aime beaucoup sa nièce.) Adorable néanmoins, notre chère et jeune Gael, l’aventurière en pantalons, l'exploratrice de champs brumeux et de pages censurées, celle que vous ne trouverez pas sous une robe de mousseline - si tel était, bien sûr, votre terrain de recherche.
Il soupire et sourit à Gael avec ambiguïté avant de continuer, rapidement :
- Une bien banale réunion s'il ne nous était présenté quelques-uns des invités mythiques nous honorant de leur présence ce soir. Assis discrètement parmi nous est un homme de légende - rien de moins- dont il me tarde d'entendre la voix. On l'a nommé jadis « l'Ombre du Roi Sombre », the Bad King's Shadow mais ceux qui le connaissent l'appellent l'Ange des Basteliques.
Et s'adressant à un des lords Cypriens en bout de table :
- Vous êtes assurément le bienvenu à notre table, comme l’êtes vos amis noblemen. Dois-je vous présenter vos hôtes de ce soir?
Quelques mèches blanches rayonnent autour du visage de Batelica masqué dans l'ombre de sourcils noirs et épais. Quelques secondes surréalistes passent durant lesquelles il est très silencieux puis sa voix plus grave aussi habile et souple que celle de Chance articule:
- Présentez, je vous en prie.
Toute l'attention s'est tournée vers lui. Kelly l'observe avec intensité et même une sorte de sympathie. Lorbaud lui sourit avec gaîté. Shaun a la bouche inconsciemment entrouverte et Chance reprend, sociable:
- Avec plaisir.
Commençant par les anciens localisés à proximité du bout de table Cyprien, il décrit:
- à votre gauche, mon oncle et ma tante Imogen et Theodora de Bley. Imogen est le frère du défunt Andrew II. Camise Rebbon avec qui, je pense, vous avez juste fait connaissance... Ici, Gordon Callahan Rebbon, notre architecte de renom. C'est une chance qu'il soit venu ce soir car c'est un oiseau élusif et rare, un phénix que l'on croit mourir un soir et qui, à la déception de tous, renaît année après année. Bref ! Kelly de Bley, une espèce d’huître datant de l’Antiquité- ne cherchez pas, il n'y a pas de perle... (Ses propos créent quelques réactions voisines et un hochement de tête stoïque de Kelly.) White et Clever, les fils de Martin de Bley, qui n'est pas venu. Notre apprenti Syler Michanle... Gael de Bley, fille unique du grand Cale qui nous manque à tous. Prince Shaun Venessy, habituellement à l'étranger, il a bien voulu venir nous voir malgré l'ennui que lui causent ces réunions de vieilles créatures, je le comprends !
L’entièreté de l’assemblée passe au four et lorsqu'il en a ait le tour, Bastelica, ayant écouté patiemment, se lève à son tour. Bourru et sans fioriture, il commence par la femme placide sur sa droite :
- Madame de Vaultan. Emile de Lorbaud. Monsieur de Dolmorenti. Patrice Fair, Constant Paul Carlaud et la douce Adeline d'Annevoie.
Cette dernière, mariée au très infâme Stéphane d'Annevoie, affiche un sourire coquin et provoquant. Son mari, industriel notable dans l'armement et ministre de guerre durant le règne d'Estebo, est absent. Il a en effet été banni après la défaite et contraint de rembourser le gouvernement cyprien en millions, et demeure malgré tout l'un des plus opulents propriétaires terriens du monde.
En minorité au milieu des de Bley cependant, Bastelica se rassied sobrement. Chance le remercie pour sa politesse et offre quelques mots de gratitude aux invités avant que le repas ne commence. Les conversations reprennent alors avec une énergie décuplée. L'aspect froid et indifférent de Bastelica, ses réponses concises aux mots bien choisis et sa voix, qu'il a très belle, impressionnent les curieux. Peu de personne osent lui adresser la parole mais l’assemblée regorge de questions à propos d'épisodes mystérieux de sa carrière auprès du tyran. Même Gordon, transportant avec lui un éternel et profond ennui au visage, interrompt des conversations auxiliaires pour lancer, taquin :
- Tout le monde se demande quelle relation vous aviez avec sa Majesté mais soyons clairs, vous étiez son écuyer !
- J’étais son maître d'armes, répond Bastelica humblement. Et j'ai dressé ses chevaux.
- Montait-il si mal?
- Exécrablement.
Comme l'ambiance est à l'humour, Chance demande :
- Cela va vous paraître étrange. Pardonnez-moi de prononcer le nom d'Estebo, certains y sont sensibles mais... Depuis la mort de votre ami, avez-vous préservé le pouvoir d’apparaître à sa place comme la légende le prétend?
Le visage de Bastelica compose une platitude de ciment froid à sa question et pause un instant en fermant les yeux, sourcils froncés. Les rouvrant il regarde autour de lui comme s'il espérait voir un décor différent et conclue, charismatique:
-Non. J'ai bien peur que le charme soit rompu !
Quelques personnes s'amusent de la blague inattendue. Gael applaudit, accaparée à son insu par le suspens de la réponse à cette étrange question. Elle et Shaun se mettent a rire avec Syler, son cousin du même âge que Gael et côtoyé souvent étant enfants et dont les yeux bleus distraits flottent au-dessus des bavardages incessants. Ils ne remarquent pas le regard que Chance et Bastelica s'échangent au couvert des rires et des commentaires, d'une intensité qui interpelle tour à tour Kelly et Gordon. Quelques temps après cet épisode inaperçu, la tablée se défait et Bastelica s'éloigne des indiscrets.



Acte III



Gael ne peut le blâmer pour rechercher la solitude. Elle a pris le temps d'observer tous les convives et cet Ange des Basteliques les intriguent au plus haut point. Elle-même est curieuse de découvrir l'homme derrière la "légende", celui qui était encore il y a cinq ans le serviteur, le confident et le conseiller du dictateur tristement célèbre pour avoir massacré son Parlement au complet, le 17 Janvier 1244. Cet acte, d'allure démentielle, avait foudroyé le peuple Embrois presque plus ardemment que le peuple Cyprien, directement concerné, et la guerre avait brutalement éclatée. Gael revoit son oncle récitant sa colère et son indignation devant les haut murs blancs du château à King. Les mots avaient fait leurs effets.
Gael et Shaun, qui la suit maintenant par habitude, sont bientôt interceptés par Syler Michanle. Gael remarque très vite les progrès des goûts vestimentaires de son cousin, autrefois catastrophiques ; une redingote grise élégamment finie à l'intérieur bleu foncé et un col noir en velours qui pâlit sa peau déjà claire et ses cheveux châtains ébouriffés. Son visage, qu'elle connaissait mieux lorsqu'ils étaient enfants et qu'elle a revu à l'occasion de quelques réunions de famille, a beaucoup changé ces dernières années. Il est plus anguleux et ses yeux déjà très grands sont exorbités sous les sourcils froncés d'un esprit qu'il a tortueux et même paranoïaque.
Il leur barre la route avec maladresse et leur sourit à sa façon, mal à l'aise et intéressé. Il a probablement attendu toute la soirée avant d'oser leur adresser la parole:
- Bonsoir, Gael.
Elle lui offre un sourire tranquille et sûr d'elle:
- Bonsoir, Syler ! Belle redingote, tu as changé de tailleur ?
Il ignore ostensiblement le sujet de sa tenue, ce qui rend la conversation inconfortable mais pas plus qu' à l'habitude :
- Il y a fort longtemps que l'on s'est vus. Vous m'avez beaucoup manquée, Gael.
- Syler, depuis le temps que je t'autorises à me tutoyer... Tu peux me tutoyer !
Il serre la main à Shaun avec distance et Gael le soupçonne d’être jaloux de sa proximité, pourtant inexistante, avec elle. Et Shaun, pour répondre à sa froideur, le salue en Polovake (sa langue natale, le seul ici) comme si c'était un étranger. Gael prend les choses en main :
- Et comment va Jonathan ? Je ne l'ai pas vu au dîner, alors qu'il était invité pour moi.
Elle ajoute, avec sarcasme puisqu'elle adore « Jay » :
- C'est très impoli de sa part.
Syler est confus et agité par ce reproche étrangement adressé à lui, qui était pourtant bien présent:
- Il a dit qu'il viendrait, hm. Je ne sais pas, peut-être qu'il est en retard.
Shaun l'excuse :
- On ne peut pas le lui reprocher, je passerais le dîner aussi si j'avais su que tous les Chances et les Gordons viendraient, haha ! Mon Dieu.
Syler ne comprend pas et il doit lui expliquer :
- L'ambiance de réunion de famille pesante et les discours étouffants ? (geste)
- Right... (Syler change de sujet prudemment) J’espère que Jay se pointe. Je ne l'ai pas vu non plus de puis des quatorze mois.
- Comment se fait-il ? C'est ton frère pourtant.
- Il logeait au Kirkenes pendant un temps et puis il s'est installé à Leffa avec Juliet. Et moi j'etais en haut à Cross tout l'an passée et puis à Rosses pour rencontrer Kelly et puis à Queen pendant deux semaines pour mes études. Je suis arrivée ici il y a sept jours pour voir maman (Syler a des difficultés pour se connecter avec son père et ne le cite pas, tristement, pense Gael.) Mais nous sommes restées en contact, Jay m’écrit des lettres.
Il les a informés de ce détail avec une sorte de fierté. Gael sait combien Syler admire son frère aîné, le révère même, malgré ses défauts qu'il a en quantité. Elle commente, touchée :
- C'est aimable de sa part.
Et Shaun l'interrompt :
- Oh, c'est vrai, j'ai vu Kelly à Queen également ! Il donnait une lecture sur 'The Raw Composing '. Mais je ne t'ai pas vu, Syler.
- Non, je siégeais à une lecture privée. J'ai vu Chance aussi, il donne de nombreuses lectures à Queen.
Gael se sent exclue, n'ayant jamais reçu d'invitation pour ces intrigantes lectures et apprend qu'elle n'est pas forcement la seule puisque Shaun dit, avec une sorte de dépit :
- Ah, well. Chance est trop cher pour moi.
Syler rit à ce détail. Il s'y rend sans doute gratuitement pour une raison obscure. Gael lève les yeux au ciel et se replie, désireuse de retrouver Justin où qu'il soit:
- Eh bien, je vous verrai tous les deux plus tard. Bonsoir !
Elle ne trouve pas son comparse comme elle le voudrait et le suppose en train de faire le tour des rumeurs et du flot d'informations que l'on entend pas à table mais qui circule entre les serviteurs. Elle a se désaltérer au bar avant d’errer en quête de silence et découvre, dans un salon moins peuplé, l'Anges des Basteliques entouré de son comité de locaux et de quelques Embrois infiltrés (les hommes de Claw, fort probablement). Elle en profite pour le détailler. Bastelica est assis au milieu de sa compagnie mais en semble à l'écart, penché sur une feuille de papier et, indifférent aux conversations auxquelles il ne prend pas la peine de participer, il écrit quelques lignes et lève les yeux sans les poser sur personne, enfui dans ses pensées. à quelques mètres de lui, soulignée par un éphémère tunnel de solitude, se trouve Gael. Il la regarde avec la même indifférence lasse et une sorte de distance contrôlée, comme s'il la repoussait des yeux et elle se demande pourquoi.
Ange porte mal son nom, ayant été proche d'un tyran dont la violence a marqué les esprits mais d'aspect, aussi, il fait l'impression d'un bandit, comme Lorbaud. Mal coiffé, une barbe de deux jours et des cicatrices sur le menton, une redingote en cuir et il porte autour du cou un foulard bleu pour signifier son patriotisme. Ses paupières lourdes voilent des yeux d'un gris délavé. Son maître et ses compagnons de crime lui manquent-il ?
Gael est interrompue dans ses spéculations lorsque le visage silencieusement expressif de Bastelica lui informe d'un mouvement derrière elle. Avant d'avoir vu l'intrus, Gael sait que celui-ci a éveillé dans les yeux morts de Bastelica un petit feu vif, bleu et perçant. Elle s'en détourne pour découvrir le nouveau venu, le tant attendu Loris J. Michanle. Gael se jette sur lui :
- Jay ! Tu es venu !
La fine couche de froid qui le recouvre entièrement indique la fraîcheur de son arrivée. Il n'a pas pris la peine non plus de retirer ses gants noirs de voyage. Gael est reçue d'une embrasse chaleureuse :
- Ma cousine !
- Eh bien ! J'ai cru que tu ne viendrais pas, j’étais si déçue !
- Pardonne-moi, je ne voulais pas te faire de peine. Une urgence de dernière minute.
Loris a beaucoup vieilli. Ses trente ans en paraissent dix de plus. Ses joues qui n'ont jamais été très rondes sont plus creuses que jamais et la fine moustache noire sur sa lèvre n'aide en rien. Son affection envers Gael et sa délicatesse efféminée n'ont cependant pas changés.
- Tu sembles avoir maigri encore, tu te portes bien ?
- Je vais bien.
- J'ai vu Juliet au dîner. Tu es si vache de l'avoir abandonnée aux taches familiales, c’était ton devoir, pas le sien ! Eloise te cherche aussi.
- Aah je sais. Elle s'en sort tellement mieux que moi, la petite.
Gaelle éprouve un pincement au cœur à chaque fois que Loris appelle Juliet « la petite », comme s'ils n’étaient pas mari et femme. Juliet et Gael aiment Loris éperdument, la première avec fidélité et la seconde comme sa sœur. Toutes les deux savent, sans jamais oser se le dire, que Loris n'aime pas Juliet.
Pour se débarrasser de cette pensée, Gael jette distraitement un regard vers Bastelica, intriguée malgré elle par la réaction qu'il a eue en voyant débarquer son cousin. Ce dernier la serre encore une fois avec toute l'affection que les codes publiques permettent :
- On ne s'est pas vu depuis si longtemps ! C'est moi ou tes cheveux sont encore plus courts ? J'aime beaucoup, tu es charmante.
Il jette un regard derrière lui en quête du reste de la famille et des invités, commentant :
- Je vois que tu ne tiens pas plus compagnie aux dames. Tu as vu Syler et les autres ?
Un couple d’invités s'approche et saluent Loris J. avec révérence. Ils s’éloignent rapidement, chassés par le faible minimum d'attention que Loris et Gael leur accordent. Elle est sincèrement émue de revoir son cousin favori et le bonheur semble réciproque. Malgré la maigreur qui renfonce ses yeux, qu'il a d'un bleu cristallin comme ceux de sa mère et soulignés des mêmes cils longs et noirs, ses traits coupés sont tout éclairés de gaîté. Il était si beau il y a quelques années, doux et séduisant. Le contraste entre le Loris de ses souvenirs et ce qu'il est devenu est d'autant plus remarquable lorsque son sourire, tout d'un coup, s'efface entièrement. Gael sursaute intérieurement en voyant son regard, flottant un instant plus tôt sur la foule lointaine, perdre tout éclat et elle réalise que Loris vient d'apercevoir Bastelica.
Muette d'effroi, elle voit son cousin pâlir, trembler et perdre toute contenance, les yeux rivés sur l'Ange démoniaque qui les observe en retour d'une condescendante indifférence. La métamorphose de Loris est impressionnante. Ses épaules durcissent, immobiles comme celles d'une statue, il serre les dents et sa nuque s'affaisse comme sous l'effet de la douleur. Il est incapable de décoller ses mâchoires lorsque Gael lui demande avec inquiétude:
-Loris? Qu'est-ce que tu as ?
Sur son bras raidi elle pose une main légère comme un souffle en répétant doucement sa question. Enfin il se débloque et tourne vers elle un regard étourdi et triste en contraste complet avec le rire nerveux qui s’échappe de sa gorge. Sa voix s'est affaiblie et il dit, sans parvenir à masquer une expression de peine :
- Tu as vu Elohim ? (Il claque des doigts pour se reprendre, le regard absent.) Je veux dire... Chance, tu as vu Chance ? Je dois lui parler.
Il évite soigneusement de se tourner à nouveau vers Bastelica et glisse vers la pièce d’à côté en s'excusant:
- Pardonne-moi, Gael. Je te retrouverai plus tard.
- Jay...?
Bastelica ne fait visiblement pas l'unanimité auprès de sa famille. Gael a la discrétion de ne pas insister pour suivre Loris et reste donc esseulée et perdue dans la foule. Elle constate, coite, le sourire satisfait au coin des lèvres de Bastelica visiblement conscient de son effet. Ce dernier se retire rapidement après cet épisode et quitte la demeure avec le reste de ses troupes.


Dans ton dos avec un beanie, un hamburger et un fusil.
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