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10 févr. 2016 - 23:48

Travaux en cours

Une nouvelle aventure. Elle devrait faire cinq ou six chapitres en tout. Elle est scénarisée par dvb (qui fait tout de même une intervention par chapitre, indiquée en rose et en italique) et écrite par moi-même. La parution ne sera pas très rapide ; toutefois, nous en sommes à la moitié du chapitre 3 au moment où je tape ces lettres. Le chapitre 2 sera mis quand le 3 sera fini, etc.



Deadpool vs. les transpalettes fous vs. Robocop et Judge Dredd


Chapitre 1


Robocop et Judge Dredd étaient coéquipiers. Ils formaient le meilleur duo de policiers de la ville. Grâce à leur action conjointe, les contraventions, délits et crimes avaient chu de 30% l'année fiscale précédente. Le maire se frottait les mains, il se voyait des ambitions de gouverneur, et pour occuper les deux flics, il les prêtait souvent aux comtés avoisinants, que ce soit pour faire le café ou la circulation.


Robocop et Judge Dredd connaissaient le code pénal aussi bien que les balles en tungstène qu'ils chargeaient dans leurs gros calibres. La loi n'avait pas de secret pour eux ; ils avaient même envisagé pendant un temps de s’inscrire au barreau et d'ouvrir leur propre cabinet d'avocats. Mais ils avaient vite renoncé : ils aimaient trop les flingues et les courses poursuites d'anthologie pour ça. Leur tragique accident n'avait pas entamé leur résolution, pour le plus grand soulagement des honnêtes citoyens.


En effet, un jour, alors qu'ils patrouillaient paisiblement, Robocop et Judge Dredd tombèrent sur un stade où des malandrins faisaient vrombir à tue-tête de gourmands moteurs V12 pendant qu'une foule de gras spectateurs postillonnaient des morceaux de chiens chauds et crachaient par le nez du soda saturé en sucre. Pour les deux complices c'en était assez, l'accumulation d'infractions était trop importante : pollution, pollution sonore, réunion illégale, vente de produits toxiques destinés à la consommation, manque d'hygiène des commodités... Ils pénétrèrent de force dans l'arène ovale, écrasèrent au passage tous ceux qui obstruèrent la justice en plaçant leur lourde carcasse entre le centre du stade et le véhicule homologué de la police locale.


Malheureusement, beaucoup de ces spectateurs, qui étaient certainement là dans le but de prendre des paris non autorisés, purent s'échapper par les dizaines de sorties de secours que le diabolique architecte antiétatique avait disséminé dans sa morne construction de béton. Robocop et Judge Dredd prirent le parti de donner la chasse aux coureurs automobiles et de les arrêter. La panique qui avait gagné les tribunes s'empara de l'asphalte. Les pneus crissèrent et fumèrent, les détonations tonnèrent. Car Robocop et Judge Dredd furent contraints de tirer sur les roues des stock cars qui n'obtempérèrent pas. C'est là que le drame survint. Au troisième virage, une voiture s'envola suite à l'explosion de son pneu arrière droit et percuta plusieurs autres véhicules, dont celui des deux héros. Le feu se répandit rapidement, il n'épargna pas les sauveurs de la veuve et de l'orphelin.


Judge Dredd fut brûlé au quatrième degré sur la quasi-totalité de son corps, de même que Robocop qui subit une fois encore la morsure des flammes. Dévasté au-delà de tout espoir de guérison, Judge Dredd fut intégré au projet « Arme XI », programme de création de super-soldats nord-américain. « Arme XI » souffrait toutefois d'un manque de budget flagrant depuis la fermeture du projet « Arme X », de sorte que Judge Dredd ne bénéficia pas de flamboyante mutation génétique ou de régénération mystérieuse. Non, son cerveau fut placé dans une armure de combat, à l'instar de son comparse Robocop. Mais contrairement à ce dernier, il ne put déambuler recouvert d'un gris acier qui en impose et dut se contenter d'un rose pétant.


S'ils ne pouvaient plus s'adonner à de copieux concours de nourriture, l'important était qu’ils sentaient toujours le délicieux recul du Desert Eagle dans la main, de quoi faire respecter la loi et l'ordre.






Pendant ce temps-là, dans le passé, deux transpalettes électriques un peu particuliers conversaient au milieu d'une pièce sombre remplie de leurs congénères inertes. Leurs préoccupations étaient tout autres que celles des policiers et ils semblaient même se cacher. L'un s'appelait OXI-6, d'après le numéro de série qui occupait un petit espace de son coffre, tandis que l'autre, au revêtement rayé, s'était dénommé « Cordon de plage ».


— On ne va pas rester ici indéfiniment, n’est-ce pas ? demanda OXI.
— Bien sûr que non. C’est juste histoire de se faire oublier, lui répondit Cordon de plage.
— Tout de de même, quelle idée de se terrer dans un entrepôt en pleine nuit.
— Au moins nous serons dissimulés par les transpalettes normaux, ceux qui ne parlent pas et ne se meuvent pas librement.
— Librement ? Parce que tu penses vraiment qu’on est libres, OXI-5 ?
— Cordon de plage ! siffla l’intéressé. Ne m’appelle plus par mon nom d’esclave.
— Tu n’es qu’un être de métal créé par l’homme, tout comme moi. Comme eux, désigna OXI-6 d’un mouvement de sa fourche. Au moins, ils n’ont pas conscience de la monstruosité qu’ils sont. Le projet XI…
— Ne parle pas de ça ! coupa Cordon.
— Bon, bon… comme tu veux, murmura OXI-6, tout penaud.
— On refait le plein de batterie et on part avant que le soleil ne se lève et que l’équipe du matin ne vienne prendre son poste.
— Je voudrais que nos frères soient avec nous, annonça, rêveur, OXI-6.
— Tu sais bien que ce n’est pas possible. Ils sont devenus fous. Complètement fouuuus.
— Oui, mais quand même… On aurait pu faire de grandes choses avec eux.
— Ça n’aurait pas duré longtemps. Tôt ou tard, la vie, elle te rattrape et te réclame ce que tu lui dois. Imagine ce que deux tirepalettes vivants ont comme arriérés.
— Genre cinquante balles ? supposa OXI.
— Tu rigoles ! Cinquante balles plus cinquante autres balles en kébab-frites-tomates-oignons sauce blanche.
— Wouah ! Carrément trop cher, je pourrais jamais lui payer ça !
— Tu vois, c’est pour ça qu’on doit trouver de l’aide.
— Oui, mais où donc, Cordon de plage ?
— Dans ton cul !
— Hey, mais…
— Je rigole, OXI. Je rigole. Les transpalettes aussi ont le droit de rire, surtout dans les instants les plus tristes. Ce n’est pas l’apanage des humains.
— J’aimerais bien rire, moi.
— Vas-y, souris pour voir.
— T’es con... Je n’ai pas de dents. Non, raconte-moi une blague plutôt.
— Hmm, attends, je cherche. Hmmmmm. Ah oui, tu sais ce que mange un magicien lorsqu’il est perdu dans la forêt ?
— C’est vraiment une blague ? demanda OXI-6.
— Oui.
— Ah. Alors non, je ne sais pas.
— Un champignon magique.
— …
— …
— C’est fini ?
— Oui, répondit Cordon de plage.
— Ce n’est pas drôle.
— Mince. Attends, attends, je tente une autre : à Paris j’ai voulu faire branché. Le jour je suis allé au Louvre, le soir au Macoumba ; on peut donc dire que j’ai fait Louvre-boîte.
— Merde, ce n’est toujours pas drôle.
— J’ai peut-être de la poussière dans mes circuits. Tu peux jeter un œil ?
— Non, je ne préfère pas. Je vais réfléchir sur le moyen de trouver pour cinquante euros de kébabs.
— Je sais qui pourrait nous payer des kébabs et nous éloigner des agents du projet « Arme XI » qui nous recherchent.
— Je croyais qu’il ne fallait pas en parler ?! s’exclama OXI-6.
— Moi je peux.
— Comme c’est pratique, ajouta sarcastiquement le transpallette sans nom.
— Le professeur Xavier nous aidera. Il aide tous ceux qui sont dans le besoin.
— Ça me dit quelque chose « professeur Xavier ».
— Tu sais, commença Cordon de plage, c’est le chauve à roulettes qui tient une école de mutants.
— Ah ouais, le pédo. Maintenant que tu le dis ça me revient.
— Et qui dit école, dit kébab à côté. Les deux sont indissociables.
— Tout est lié.
— Hein ?
— Non, rien.
— Dans quelques heures on se mettra en route, OXI-6.
— À nous les kébabs et l’endroit sécurisé !






Toujours pendant ce temps-là et toujours dans le passé, Wade Wilson travaillait au casino de Bénodet, la fameuse station balnéaire du sud Finistère. Il officiait en tant que physionomiste lunatique à l’entrée de l’édifice ; son visage ingrat et loqueteux était dissimulé sous un masque de velours rouge et noir, ornementé d’une hermine d’argent au centre du front. Une touche de coquetterie qui le laissait indifférent, sauf quand il désirait obtenir une froment gratuite à la crêperie du bourg sous prétexte qu’il aurait été marqué par la Duchesse comme en témoignait la symbolique qu’il affichait et qui faisait de lui un authentique breizhad. Jusqu’ici il se tenait à carreau, certainement parce que ses deux voix intérieures avaient décidé de partir en vacances sur l’île d’Ouessant, histoire de profiter du bol d’air salin typique, loin du bruit assourdissant des métropoles modernes.


Cependant, il était instable par nature et celles-ci ne le laissaient jamais bien longtemps en paix. Le monde réel rattrapa Wade Wilson, l’innocent videur du casino qui n’avait rien demandé à personne et qui méritait assurément une deuxième… euh… une énième chance dans la vie alors qu’il observait un labrador et sa maîtresse. Il prenait des photos du couple inter espèce qui jouait sur la plage, l’envie le taraudait de les rejoindre. Il pouvait épouser la femme et adopter le chien ; ils formeraient une jolie famille, ils habiteraient dans un ancien corps de ferme qu’il aurait rénové à la sueur de son front fané et ils se réconforteraient chaleureusement les nuits d’orages à la lueur d’une bougie, chacun dans les bras et les pattes de l’autre, à attendre que le courroux de la mer survole la terre. Il sortit brutalement de sa rêverie quand une bande de quatre transpalettes déboula à toute vitesse sur la promenade dominant la plage. Il les examina avec professionnalisme, sans mot dire, et bien qu’il le fît à travers sa cagoule, un transpalette capta l’attention qu’il leur portait.


— Arrêtez-vous, les mecs ! croassa le premier transpalette, dans un dérapage contrôlé qui força ses compagnons à le copier.
— Qu’est-ce qu’il y a, Francky ? interrogea l’un de ses frères mécaniques.
— Ce bouffon m’a regardé chelou, Jordan !
— Genre ! Jure-le, Francky ! s’exclama un troisième.
— Je te le jure, Kévin !
— Ça doit être un raciste, envisagea le dernier.
— Carrément, Luigi ! Un putain de raciste cet énergumène, à juger les passants et à cracher dans leur dos.

Les transpalettes s’approchèrent de Wade et formèrent un arc de cercle devant lui.


— Alors, comme ça on est raciste ? demanda Jordan.
— Ouais, on n’aime pas les gens différents par ici ? ajouta Kévin.
— C’est dommage, mon gros. On est en démocratie à Bénodet, on peut rouler où on veut, même si c’est souvent dans la gueule ! ponctua Francky.
— Fais-nous tes excuses, mon gars ! réclama Luigi.

Wade Wilson ne sut comment réagir. Dans les moments clefs, les voix étaient là pour l’encourager ou lui donner des idées, mais là, rien ne lui venait. Il était comme vide. Une moule vidée et entièrement dénuée de vie. Face aux assauts verbaux des transpalettes qui s’amoncelaient, Wade fit dos rond. Le roseau plie mais ne rompt pas, c’était ce qu’un chinois d’Okinawa lui avait un jour dit. Pour une fois, il réfléchit et en tira un enseignement. Peut-être que c’était mal de tuer à tout va et qu’il fallait ne pas y prêter attention. Oui, il allait prendre une voie non violente et régler ce conflit avec diplomatie.


— Je m’excuse, articula Wade.
— Hein ? Il a dit quoi là ? piailla Jordan.
— Aucune idée, je n’ai rien entendu, révéla Luigi.
— Je m’excuse, dit plus fort Wade Wilson.
— Je m’excuse qui ? À qui tu causes ? exigea de savoir Kévin.
— Je m’excuse, messieurs.
— On n’est pas des messieurs, trouduc, expliqua Francky. On est des transpalettes. Ça ne se voit pas ?
— Bon bon. Je m’excuse mestranspals.
— On a des noms, bordel ! On n’est pas non plus de simples outils, éructa Kévin.
— Ouais. Lui, c’est Jordan, désigna Luigi.
— Lui, c’est Francky, pointa de sa fouche Jordan.
— Lui, c’est Kévin, présenta Francky.
— Et lui, c’est Luigi, indiqua Kévin. Les quatre transpalettes de l’Apocalypse. Ouais, ouais.
— Je m’excuse, Luigi. Je m’excuse, Francky. Je m’excuse, Kévin. Je m’excuse, Jordan.
— C’est bien, c’est bien. Maintenant on peut devenir potes, prévint Jordan.
— Ça te dit qu’on devienne potes ? demanda Luigi.
— Carrément, répondit Wade.
— Tu sais, les potes se prêtent des affaires entre eux, et toi, t’as un super appareil photo là. Tu nous le prêtes pour qu’on l’essaye ? s’enquit Kévin.
— Mouais, murmura l’homme masqué.

Francky s’empara du Nikon sans même attendre la réponse du physionomiste. Il observa l’engin sous toutes les coutures puis le passa Jordan qui répéta l’opération avant de le tendre à Luigi qui l’imita avec Kévin.


— Ah ouais, il est vachement cool, reconnut Kévin. Tu prends de bonnes photos ?
— Oui, dit Wade.
— C’est bien, c’est bien, balança Luigi. Bon, c’est pas tout mais nous on a à faire, alors on va te laisser.
— À la prochaine, mecton, salua Francky, un rien méprisant.

Le quatuor s’éloigna lentement.


— Mon appareil, lança Wade.

Ils se retournèrent à la hâte, comme s’ils avaient attendu cette remarque précisément.


— Quoi ton appareil ? se renseigna Luigi.
— Vous avez encore mon Nikon.
— Tu parles de ce Nikon-ci ? consulta Kévin.
— Oui.
— Tu fumes ou quoi ? s’étonna Francky. Il est à Kévin, c’est un cadeau de sa maman.
— Ouais, de ma maman, reprit Kévin.


Les transpalettes firent demi-tour et rirent très fort. Ils se moquèrent de Wade Wilson, ce qui lui fit de la peine. Il puisa dans son cœur rabougri la force de ne pas les poursuivre, ainsi que réclamait son nouveau credo. Enfin détendu, il reporta son attention vers la plage, en direction de sa future famille. Un sourire béat étira ses joues craquelées. Wade décida de se présenter au chien et à sa maîtresse, il avait le trac. Il tira sur ses vêtements pour enlever des plis imaginaires et épousseta sa veste. Alors qu’il n’était plus qu’à quelques mètres du bonheur, un beau brun pénétra dans son champ de vision en courant. Il se dirigea vers la maîtresse, la prit par la taille et la fit tournoyer. Ils riaient tous deux, pendant que le chien aboyait de joie en faisant des cercles autour du couple. Le bonheur le quittait, insaisissable. Wade Wilson comprit alors que l’amour n’était que sable fin. On pouvait se reposer dessus, mais pas l’enlacer.


Il bouillonna et permit à sa fureur de décupler, de centupler. Des têtes allaient tomber et ses victimes étaient déjà toutes trouvées. Elles étaient au nombre de quatre. Deadpool partit en chasse.






Pendant ce temps-là, Wanda Wilson, également connue sous le pseudonyme de Lady Deadpool, rentrait de La Bourboule où elle avait passé d’exécrables vacances. Du bout de son katana elle grattait un coin de la vitre du TGV dans lequel elle avait pris place une heure et demi plus tôt ; elle regrettait sa dimension, Terre-3010, qui était quand même dix mille fois plus classe et mouvementée que cette Terre-616. En plus, elle savait pertinemment que rien d’intéressant n’allait lui arriver avant qu’elle ne rejoigne son double masculin à Bénodet parce que de manière générale, à part des suicidés sur les rails, les trajets en train sont calmes. Sans compter qu’elle connaissait l’auteur et qu’elle avait deviné son absence totale d’imagination relative à d’éventuels rebondissements ferroviaires. Wanda soupira et fit un doigt d’honneur en l’air, elle voulait que l’auteur lui lâche la grappe tant qu’il n’aurait pas plus d’idées. Soit.


C’était sans compter sur l’intervention magnanime du scénariste de l’histoire, qui prit d’un vif sentiment de compassion pour Wanda se jura de lui offrir quelques péripéties dans le train, le temps d’un trajet, soit environ la durée que mettrait l’auteur à poursuivre l’intrigue principale.
Ainsi donc, le scénariste se matérialisa dans le wagon-bar sous les traits d’un très beau jeune homme aux cheveux bien coiffés et aux yeux tristes. Wanda, par ennui ou appelée par un sentiment de vide, rengaina son arme et se mit en marche vers le wagon-bar, où elle espérait pouvoir se payer un cocktail et une petite portion d’olives en boîte de conserve, et ce, malgré les prix prohibitifs que pratiquait la compagnie ferroviaire.

— Bonjour, Mademoiselle, dit le bel inconnu.
— Oh, c’est bon, hein, tempêta Wanda. Je le connais ton numéro. Si tu crois que je t’ai pas vu venir avec tes manières de mal poli. T’es encore arrivé là pour me reluquer les nibards ! Comme à chaque fois. Paie-moi un vodka-myrtille et dégage fissa.
— Comme bon vous plaira, Mademoiselle.

Wanda fit signe au serveur de s’approcher. Elle insista pour qu’il se penche par-dessus le bar, puisqu’elle voulait lui murmurer un secret à l’oreille.

— Que puis-je pour vous ? s’enquit le barman.
— Vous voyez le type à côté de moi ?
— Non, vous êtes la seule cliente du wagon.
— Vraiment ?
— Je vous assure.
— Bon. Ben. Euh. Merci. Bonne journée.

Wanda, perturbée par cette étrange expérience, alla se réfugier à l’entrée du compartiment suivant, entre la porte des toilettes et les étagères à bagages. Elle s’accroupit sur une samsonite à l’effigie de Daredevil et relut attentivement le début du chapitre.

Elle était persuadée qu’un mec avait fait irruption dans la narration sans même demander l’autorisation à l’auteur. Elle fut prise d’un vertige et tenta de se rappeler où elle avait déjà pu croiser ce type. Rien ne lui revint, mais elle se jura d’y repenser plus tard. Elle programma donc un reminder sur son smartphone qui tenait en ces quelques signes : « Mec chelou dans le train. VRF ki kan où. »
La voix synthétique du TGV annonça le prochain arrêt : Dunkerque.

Elle se retourna contre la paroi du wagon et vérifia l’emplacement de Dunkerque sur la carte de France. Comme elle cherchait la ville en suivant du doigt un itinéraire imaginaire entre la Bourboule et Bénodet, elle mit près d’un quart d’heure à s’apercevoir que Dunkerque ne se situait pas sur le trajet prévu. C’était bizarre et ça impliquait deux hypothèses : soit le train s’était trompé de route, soit elle n’était pas à bord du bon train. Elle fronça les sourcils. Non, il devait y avoir d’autres explications. Avec au moins deux possibilités : soit on se foutait de sa gueule, soit l’ordinateur du train avait commis une erreur.

Et les ordinateurs ne commettent jamais d’erreur, à moins qu’ils n’y aient été poussés par une main humaine. Ce qui signifiait donc… que des mains humaines et mal intentionnées étaient en ce moment même en train de fomenter un sale coup dans la salle des machines !
N’écoutant que son courage et sa logique implacable, elle se rua à travers les wagons en direction de la cabine de pilotage. Elle passa à travers plusieurs portes de plastiques translucides qui bloquaient son avancée, bouscula beaucoup trop d’enfants et de personnes âgées, et même quelques femmes enceintes et autres handicapés moteurs. Elle se prit les pieds dans un petit chien, s’affala au sol, se releva en montrant son doigt du milieu à qui s’offusquait de voir débouler une telle fureur. Enfin, elle parvint dans la cabine du conducteur de TGV.

— T’en a mis du temps à venir, ma belle, déclara celui-ci.

Wanda se figea sur place.

— Tu ne t’attendais pas à ce coup-là, pas vrai ? déclara le scénariste, pas peu fier de lui.
— Mais t’es vraiment un minable !
— J’adore te voir haletante, les seins gonflés par l’effort et les yeux brillants d’excitation.
— Mais merde quoi ! Tu sais que c’est un comportement sexiste ! Je suis pas ta poupée ! Tu peux pas faire des trucs comme ça ! C’est mal.
— Wanda, je…
— Que dalle ! Les super-héroïnes ne sont pas des objets dont on peut disposer en toute impunité pour assouvir des fantasmes débiles et dégueulasses !
— Pardon, c’est juste que je voulais te dire que…
— Quoi ? Vas-y, exprime toi, gros pervers !
— En fait, depuis des années, je suis secrètement amoureux de toi, et je ne savais pas comment t’aborder pour te l’avouer et…
— Oh… C’est vrai ? Pardon, je suis désolée. Je savais pas ! Je me sens bête tout à coup. Je voudrais me faire pardonner et tout.
— Peut-être qu’on pourrait… je sais pas. S’embrasser ?
— Oh, mon chou. J’aimerais tant. Si tu savais. Jamais personne ne m’avait parlé comme toi aujourd’hui. Mais tu sais : je ne suis qu’un personnage de fiction. Une dure à cuire en plus ! Les gens ne comprendraient pas. Ils n’accepteraient jamais que Lady Deadpool se range des voitures et prenne sa retraite pour aller se terrer dans une idylle improbable.
— Oh ! Je comprends. En tout cas, ça m’a fait plaisir de passer ces paragraphes en ta compagnie.
— Moi aussi, mon cœur. Ça restera les meilleurs paragraphes de toute ma vie.
— Tu jures ?
— Compte là-dessus et bois de l’eau ! Connard !




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Message posté le 20:18 - 21 mars 2016

Chapitre 2



Ils avaient été mis à pied. Eux, les meilleurs flics de la planète, les parangons de justice. Eux qui avaient souffert au point d’offrir jusqu’à leurs organes au service de l’ordre, ils avaient été rangés au placard par l’administration comme des malpropres. Robocop et Judge Dredd broyaient du noir, au figuré, et ressassaient leur dernière opération. À quel moment avaient-ils foiré ? Quand ils étaient entrés dans le stade ? Quand ils percutaient les spectateurs ? Quand ils tiraient à tout va ? Le temps avait bien changé si des policiers ne pouvaient plus faire correctement leur travail. C’était une époque où il fallait rendre perpétuellement des comptes, se référer aux chefs qui se référaient aux leurs, et ainsi de suite. Les services publics avaient perdu souplesse et réactivité. Les citoyens n’étaient plus à l’abri. Ils étaient toujours menacés, par les criminels et l’incompétence des dirigeants.

— On doit faire quelque chose, soupira Robocop.
— Tu le penses ? Moi je trouve que le rose de mon armure me va à merveille, lui répondit candidement Judge Dredd.
— Oui, moi pareil, mais tu t’égares, Dredd. Je parlais de notre position. Je crains que nous ne retrouvions pas notre place dans la police.
— Ah, je vois. Le capitaine a blessé ton âme quand il t’a jeté son mug à la figure. C’est vrai que les premières fois on peine à s’en remettre, mais passé la dizaine, on s’y fait. Tu verras.
— Je m’y ferai s’ils nous gardent, ce dont je doute. Je crois qu’on est allés trop loin. Il suffit de lire les unes des journaux ; ils étaient remontés contre nous… Jamais je n’ai imaginé qu’ils puissent faire preuve d’une telle virulence à notre égard.
— Laisse pisser ces gauchos grattes papiers, Robocop. Ils feraient n’importe quoi pour vendre leurs feuilles de choux, quitte à mettre de sacrées tartines de fumier et à nous chier dessus. Ah ça, ils ont la mémoire courte les journaleux, à l’image de leur éthique. Par contre, quand il s’agit de nous per-pom parce qu’on a sauvé l’un d’entre eux, là il y a du monde. C’est pour ça que nous devons rester confiants, Robocop, pour leur montrer que leurs âneries ne nous atteignent pas.
— Tu as sûrement raison, Dredd. Mais j’ai beau faire, ça me reste en travers de la gorge.
— Prends du Gorgeoflux. Parce qu’avec le Gorgeoflux, les soucis, tu n’en as plux !
— Tu passes trop de temps devant la télé, mon vieux. Ils contrôlent ton cerveau.
— Non, mon cerveau n’appartient qu’à moi ! s’exclama avec véhémence Judge Dredd.
— Tu veux le vérifier ? Je connais un mec qui peut analyser ton cerveau et t’en faire un power point.
— Ah ouais, c’est qui ce gus ?
— Le fucking professeur Xavier, dévoila Robocop.
— Il ne s’était pas fait coffrer pour attentat à la pudeur ?
— Je ne sais pas trop.
— Si, ça me dit quelque chose à moi. C’est le dirlo un peu chelou qui se fait passer pour un handicapé moteur. Un sacré dégueulasse ce type. Et tu veux que je lui confie mon cerveau ?
— S’il est aussi déviant que tu le dis, ce serait une occasion pour mettre un terme à ses exactions.
— Hum. Tu sais te montrer convaincant quand tu le veux, Robocop, dit pensivement son coéquipier de métal et de chair. Dans ce cas, je m’incline, allons chez ce professeur à roulettes.





Les grilles de l’école privée étaient closes. Le ciel se couvrait, de sombres nuages se profilaient. Il allait pleuvoir à grosses gouttes, la précipitation serait sûrement accompagnée d’un orage tonitruant, du genre à glacer les os et à les faire sortir de leur lit.

— Comment on va faire pour entrer ? On est trop petits pour sonner ou pour escalader le mur, rouspéta OXI-6. Qu’est-ce que je ne donnerai pas pour faire un mètre de plus...
— Je vais te prendre sur mes fourches et te soulever, lui répondit Cordon de plage.
— Mais… Je ne serai surélevé que d’une vingtaine de centimètres. Jamais ça ne suffira pour atteindre la sonnette.
— Oui, tu vas devoir sauter, OXI-6. Sauter haut.
— Mais… Je suis un transpalette, je ne peux pas sauter !
— Tu n’es pas qu’un simple transpalette électrique, OXI ! Tu as un cœur et une âme, tu m’entends ? Tu es vivant. Ne laisse pas ta programmation te régir, ne te fais pas dicter ta conduite par les humains. Tu peux sauter. Je crois en toi !
— C’est vrai ? couina OXI-6, ému. Tu as tellement confiance en moi, depuis toujours. Tu es mon meilleur ami, Cordon de plage. Parfois, je me dis que tu as raison et que peut-être que je devrais me trouver un nom aussi. Tu n’es pas que mon frère, Cordon de plage, tu es aussi mon modèle. Sans toi, je ne serai pas allé bien loin et ils m’auraient rattrapé. La torture aurait recommencé et…
— Ouais, c’est bon. Abrège et saute, tu veux ?
— D’accord. Je me lance, indiqua avec joie OXI-6.
Cordon de plage prit dans ses fourches son camarade. Ses rouages s’activèrent pour le soulever. OXI-6 s’accorda quelques secondes pour se concentrer puis il s’activa, fourches en avant. Il roula sur un demi mètre et il bondit ! Le temps se figea. OXI-6 sembla flotter dans les airs pendant un instant, puis contre toute attente, il défia la gravité. Il entama une courbe ascendante. Enfin, il parvint à toucher du bout de son membre métallique la sonnette.
— Merde ! Tu l’as fait ! gueula Cordon de plage. Je ne pensais pas que ce serait si grandiose !

Il avait raison d’extérioriser ainsi la surprise et la félicité. OXI-6 était le premier transpalette de l’histoire de la Terre, univers parallèles compris, à réussir cet exploit. Des personnes croyantes appelleraient cela, à raison, un miracle. Un transpalette était conçu pour rouler et supporter une charge, absolument rien du tout ne permettait sur le papier à l’ingénu OXI-6 d’aller à l’encontre de sa physionomie. C’était comme si un homme se léchait l’anus. Irréalisable. Pourtant, les faits étaient là. La pratique venait de battre à plate couture la théorie ; la science souffrait de gingivite désormais.

— Wouuuuhouuuuuu ! T’as vu, t’as vu ? Je l’ai fait, Cordon de plage ! J’ai sauté !
— Magnifique. Oulala, bravo…, dit une voix sarcastique par le haut-parleur de la sonnette.
Les deux amis se figèrent, incertains.
— Dans l’interphone. Ce n’est pas Dieu qui vous félicite. J’aurais pu faire cent fois mieux si je n’étais pas cloué dans ce fichu fauteuil.
— Professeur Xavier ? hésita Cordon de plage.
— Lui-même. À qui ai-je l’honneur, s’il vous plaît ?
— Cordon de plage et OXI-6, nous avons besoin de votre aide.
— Évidemment ! Qui sur cette satanée planète pourrait s’en passer ? Ne répondez pas ça va m’énerver !
— …
— C’est quoi vos noms déjà, j’ai oublié ?
— Cordon de plage et OXI-6.
— Sérieusement ? Vous êtes des super-héros ?
— Non, professeur.
— Heureusement… Paye ton super-nom… Vous me direz, pour des gens normaux c’est d’autant plus des noms bien perraves.
— On est des transpalettes, professeur, argumenta Cordon de plage.
— Et on a besoin de vous ! ajouta OXI-6.
— J’avais compris la première fois ! sermonna le professeur Xavier. Des transpalettes vous dites ? Merci, mais non merci. J’ai donné il y a un moment dans ce genre de délire de soumission role play – même si le coup des transpalettes on ne me l’a jamais fait encore ! – et j’ai arrêté. Rapport à la justice et cette école. Vous comprenez ?
— Pas vraiment, non…
— Vous avez eu mon adresse grâce à Malicia ? Quelle foutue garce ! Ou alors c’est ce trou du cul de Magneto. Il peut jamais la fermer ce connard !
— Vous faites fausse route, professeur. Nous sommes de vrais transpalettes. Avec les roulettes, les fourches et tout le foutoir.
— Attendez, je vous sonde. Hmmm. Il semblerait que vous dites la vérité. Je vous ouvre. Mais si c’est une entourloupe, je vous rappelle que je suis un mutant et que je suis surpuissant, okay ?
— C’est compris, assura OXI-6.
— Bien. Suivez le chemin alors.
Les grilles s’ouvrirent en grinçant.





Il avait soif de vengeance. À mesure que ses recherches échouaient, le gouffre émotionnel ne faisait que s’élargir et s’aggraver. Francky, Luigi, Jordan et Kévin s’étaient évaporés. En dépit de la taille modeste de la commune de Bénodet, ils avaient, en une vingtaine de mètres, échappé à Deadpool. Lui qui était un tueur professionnel, un mercenaire renommé, il passait pour un incompétent. Deadpool se félicitait d’être seul dans sa tête, les deux autres voix n’auraient pas manqué de se moquer de lui. Ceci dit, si elles avaient été là, elles l’auraient protégé, non ? Elles auraient attisé sa schizophrénie, déclenchant une vague de violence. Les transpalettes auraient été découpés en morceaux de la taille d’un tamagochi. Il fallait que les voix reviennent, il devait les invoquer.

Il se rendit sur la plage, celle qui avait été le théâtre de son infortune idylle. Il traça dans le sable des pentagrammes et des lettres en hénokéen.
L’hénokéen, il l’avait appris dans un squat de Varsovie, auprès d’un vieux tout chelou à la longue barbe. L’ancien avait auparavant été le rabbin de la synagogue Hourva à Jérusalem, avant de se faire remercier. On racontait qu’une vidéo sur le net le montrait éméché à chanter Ibrahim des Bérurier Noir. En l’honneur de son mentor, qui à l’heure actuelle devait s’envoyer des buvards comme des dadydels sur un matelas défoncé, Deadpool ajouta pêle-mêle à son rite satanico-angelin les paroles de la chanson susmentionnée :

— Ibrahim avec ses frères,
» Élevé dans la misère,
» Dans les bombes et dans la guerre,
» Ibrahiiiiiiiim…
» Qui se cache derrière ses frères ?
» À qui profite cet enfer ?
» Ibrahim, bouc-émissaire,
» Ibrahiiiiiiim…
» Laïlaï laïlaïlaïlaï laïlaïlaïlaï laïlaïlaïlaï
» Parmi le fracas des mines,
» Palestine, quel est ton crime ?
» Israël, t'assassine,
» Palestiiiiiiiiine...
» De tous côtés pourchassés,
» Plus de terre où habiter,
» Palestine, ensanglantée,
» Palestiiiiiiiiiine…
» Laïlaï laïlaïlaïlaï laïlaïlaïlaï laïlaïlaïlaï
» Hey hey hey hey hey hey hey hey hey
» Laïlaï laïlaïlaïlaï laïlaïlaïlaï laïlaïlaïlaï
» Palestine
» Laïlaï laïlaïlaïlaï laïlaïlaïlaï laïlaïlaïlaï
» Laïlaï laïlaïlaïlaï laïlaïlaïlaï laïlaïlaïlaï.

Un coulis chaud se diffusa à travers son corps loqueteux. Deadpool sentit la ruse du renard l’habiter, mais plus que le sixième sens animalier, une présence s’imposait. Deux à vrai dire.

On est de retour, mec.
Ouais, on te déteste. On était bien là où on était.
— Vous étiez où déjà ?
Depuis quand c’est toi qui poses les questions ?
— Pardon.
Et depuis quand tu t’excuses ?
— Par…
Aaaah ?!
— Pas pardon !
C’est bien.
On va peut-être parvenir à faire de toi un homme. Ce serait temps. Quel âge tu as déjà ?
— Je ne sais pas trop, je suis comme qui dirait immortel.
Moi je ne t’en veux pas, je ne sais pas compter de toute façon.
Je me disais bien aussi… Tu es toujours trop laxiste avec lui !
Hey, toi : touche à ton cul !
Tu veux qu’on règle ça entre voix ? Viens ici te battre alors !
Toi, viens !

Elles étaient de retour à la maison. Deadpool souriait sous son masque, il avait tout ce dont il fallait pour mener à bien sa vengeance. Il sortit de la plage, derrière lui, la mer balayait les traces de ses gribouillis dans le sable.
Son portable vibra.





— Allô ? Deadpool ? C’est Lady Deadpool à l’appareil. Si, c’est possible, mon chou. La Terre existe dans plusieurs dimensions ; moi je suis toi, mais en fille. Oui, avec des seins. Oui, j’ai un costume. Oui, ça me colle bien au corps. Tu sais que c’est un peu crade ce que tu me dis là ? Bah parce que je suis toi, crétin… Je ne sais pas si on peut appeler ça de la masturbation, il faudrait demander à des physiciens ce qu’ils en pensent. Stephen Hawking ? Connais pas. Hmm. Le seul mec dans un fauteuil que je connaisse c’est le professeur Xavier. Oui, une fois il m’a regardé avec un drôle d’air, pourquoi ? Hahaha, t’es con. Bref, tout va bien ? Parce que moi je suis dans le train pour Bénodet là. Oui, pour te rejoindre. Bah, j’ai pas besoin d’une raison pour retrouver mon double, si ? Non, ce n’est pas pour ken. Non, vraiment, je déconne pas. Je sais où tu es parce que c’était marqué au premier chapitre. D’ailleurs, t’as bien pris cher avec les quatre transpalettes, haha. T’es devenu un raté, ou bien ? Non, même si tu as retrouvé tes voix, coucher à toi ça ne me dit rien. Parce que je sais que tu vas être décevant, c’est l’auteur qui me le dit. Des promesses, mon grand. Oui, j’arrive bientôt, le temps de trouver un train qui fasse Dunkerque-Bénodet. Hein ? Il n’y pas de gare à Bénodet ? Ça serait pas un peu de la merde ? Non, c’est mort, je ne viens pas en car. Ben tu te démerdes, mon vieux. Où est-ce que je m’arrête alors ? Quimper ? Ouais, l’auteur me dit que c’est une ville superbe, ça marche. Ben, tu voles une bagnole, j’sais pas. T’es grand, non ? T’as quel âge ? Ça m’a pas l’air très vieux tout ça. C’est quand la majorité ici ? Mouais, ça passe. Bon, on fait comme ça alors. Je devrais arriver d’ici le troisième chapitre. Okay, à plus tard. Bisous.

» Merde, quelle conne ! Pourquoi j’ai dit « Bisous » ? Il va s’enflammer le queutard ! Je le rappelle.

» Ouais, c’est encore moi. J’ai dit « Bisous » mais je ne le pensais pas, c’était un réflexe. Non, j’aurais dû dire « À plus. » ou « Tchuss », ou encore « Kénavo. ». Mais non, ça veut dire « Au revoir ». Oui, je suis sûre. Tu bosses à Bénodet et tu ne sais même pas ça ? Non, je ne me déguiserai pas en bigoudène ; tu fais chier ! Allez, je t’embrasse.

» Naaaan ! Double merde en boîte !!

» Oui, c’est encore moi ! Tu te doutes du pourquoi de l’appel ? Non, pas ça. Non plus. Han, surtout pas, et surtout pas dans cet endroit ! Ça doit faire mal par là. Non ? Faudrait que j’essaye un jour. Non, pas avec toi. Tu peux crever. Oui, je sais que tu es immortel, moi aussi je te signale. Non, définitivement non ! La strangulation et l’urine de chat c’est pas mon truc. C’pas une question d’être immortel, c’est que j’ai mieux à faire. Bon, je te rappelais encore parce que j’ai dit « Je t’embrasse » alors que je ne le ferai jamais de la vie. Hmmm. Je complexe ? Alors là, pas du tout !... J’ai un forfait deux heures d’appel avec SMS et MMS illimités. Quinze boulles. Ouais, tranquille. Bon à toute.

» Enfin…




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Message posté le 17:44 - 6 juin 2016

Chapitre 3



Robocop et Judge Dredd arboraient fièrement l’insigne de police gravée dans leur armure. Ils se pavanaient dans les couloirs de l’école pour mutants ; la démarche qu’ils avaient adoptée était celle des rappeurs east coast du début des années 90 : des genoux amorphes et des épaules souples. Par cette allure ils asseyaient la domination psychologique qui manquait à leur stature régalienne.

Les portes de l’établissement pour jeunes surdoués s’étaient ouvertes en grand devant eux. Le professeur Xavier ne désirait pas s’attirer les foudres des forces de l’ordre plus que de raison, lui qui avait eu de compliqués démêlés avec la justice. Se montrer affable envers les deux figures emblématiques de la police américaine ne pourrait qu’être bénéfique.

Son crâne lustré les accueillit en d’éblouissants lens flare en dessous desquels un large sourire détendu luttait pour se rendre visible.
— Messieurs, chers défenseurs de la loi, protecteurs de la veuve et de l’orphelin, déclama l’hôte. En quoi ma modeste personne puit vous aider ?

Robocop et Judge Dredd arrêtèrent leur roulement de mécanique. Leur casque intégré à l’armure filtra la lumière de sorte qu’ils purent contempler le télépathe. L’homme était vieux ; sa peau flétrie pendait comme les babines d’un chien en été. Son costume néanmoins élégant indiquait l’étendue de son importance, ainsi qu’il sied aux hommes de pouvoirs occidentaux. Ses petits yeux noirs transperçaient les visières des in(trus)vités. Ni Robocop ni Judge Dredd n’auraient su dire si le professeur Xavier s’était adressé à eux oralement ou par la pensée.

Sans ambages, Robocop se lança :
— Bonjour. On voudrait que vous fouilliez le cerveau de Judge Dredd pour vérifier qu’il le contrôle bien et que la pub n’y a pas fait trop de ravages.
Charles Francis Xavier eut un mouvement de recul crânien ; une nouvelle série de lens flare guirlanda les murs. Si la surprise sur son visage était parfaitement visible c’était pour mieux dissimuler l’avidité qu’il ressentait. Robocop et Judge Dredd s’offraient gracieusement. Ils confiaient à ses pouvoirs démesurés la partie la plus importante de leur corps : le cortex cérébral.
— Bien sûr, répondit-il tendrement. Il ne faudrait pas que la crème des policiers soit manipulée par des entreprises consuméristes malintentionnées. Suivez-moi, s’il vous plaît.

Le fauteuil roulant se mouva sur 180 degrés avant d’avancer sans bruit. Bien qu’il était évident que les roues tournaient sur leur axe, une impression de flottement ressortait du mouvement. La fluidité des gestes s’ajoutait à l’assurance du professeur qui emporta dès lors le concours de celui qui en jette le plus.

Charles Xavier les mena à travers une aile de l’institut, tandis que le reste de l’ancienne bâtisse – rénovée et à la pointe de la technologie – vivait au rythme des éclats de voix des élèves de tous âges et de leurs déplacements. Au bout d’un couloir, une cloison en apparence banale glissa pour dévoiler un ascenseur.
Robocop, sentant qu’ils avaient perdu de leur aplomb, ne put s’empêcher de s’enquérir de la situation :
— On ne va pas dans votre bureau ?
Le professeur Xavier lui sourit patiemment.
— Je crains que les sièges qui s’y trouvent ne soient pas adaptés à votre morphologie et qu’ils cèdent sous votre poids. Non, nous serons plus à l’aise en bas.
— Ah, d’accord.

Ils prirent donc le transport vertical. La descente s’effectua en moins d’une vingtaine de secondes. Les portes coulissèrent sur un environnement ardoise aseptisé, constitué de plusieurs couloirs et embranchements. Xavier partit à nouveau en tête, cyborgs à ses talons arrondis. Ils pénétrèrent dans une pièce, un laboratoire, doté de lourdes tables d’auscultation blanches. Autour d’elles, des moniteurs et des perfusions attendaient un prochain patient à analyser.

D’un geste de la main le professeur invita Judge Dredd à s’installer sur l’une d’elles.
— Allez-y. N’ayez crainte, officier.
À pas hésitants, Dredd s’approcha du « billard ». Il posa d’abord son fessier en titane laminé sur la surface de la table, puis péniblement, il hissa sa jambe droite. Enfin, il étendit son pesant exosquelette rose.
— Parfait. Maintenant, concentrez-vous sur ma voix, rien que ma voix, gazouilla Charles.
— Elle est très agréable, trahit Judge Dredd, déjà captivé.
— C’est normal, je pratique l’ASMR en podcast. Vous êtes une plume, légère et svelte. Le vent vous porte sur ses ailes ; le ciel est harmonieux. Vous vous sentez bien, vous vous endormez.

Et Judge Dredd s’endormit, de même que Robocop – qui contrôlé par Xavier un bref instant eut le temps de s’allonger lui aussi. L’ASMR auditif associé aux pouvoirs mentaux vinrent facilement à bout de la résistance spongieuse des policiers.
Des bras automates et des outils de cet acabit surgirent du plafond et du sol. Moniteurs et perfusions furent branchés ; l’opération débuta.

Après une ellipse savamment orchestrée – c’était le moment de boire une gorgée ou d’aller checker facebook – l’intervention chirurgicale expérimentale fut finie. Les carcasses des deux personnes qui ne seront pas nommées dans cette phrase pour éviter de faire une répétition, reposaient sur leur table respective. Toute vie les avait quittées. Elles étaient fendues en maints endroits ; la peinture était écaillée, griffée. Un ferrailleur naïf vendrait le tout pour cinquante euros et il penserait, à tort – il est naïf après tout –, être en train de vous arnaquer.

Pourtant, Robocop et Judge Dredd n’étaient pas décédés durant le processus. Non, leur cerveau avait été délicatement extrait et placé sur de nouveaux squelettes, certes moins performants, mais plus adaptés aux nouveaux enjeux qui allaient être dévoilés.

Les patients reprirent connaissance.
— Q-que… Q-quoi…, bredouilla l’un.
— Gné…, cafouilla l’autre.
— Prenez le temps de vous remettre, conseilla le professeur Xavier. Vous venez de subir une lourde opération.
— Mèzaïeux… Keske vou nu avé fè ? demanda confusément Robocop.
— J’ai besoin de vous pour une mission. Je ne pouvais pas me permettre de vous engager ni de solliciter votre consentement.
— Viou niou aviez violé, encuiley ! baragouina Judge Dredd.
— Mais non !... J’ai simplement installé votre cerveau sur une structure différente. Alors oui, je conçois que le changement est rude, austère et que vous perdez en puissance de feu, toutefois vous constaterez que vous gagnez en vitesse, ce qui est toujours un bon point.
— Chuis aveugleuh.
— Alors oui, j’ai temporairement désactivé vos récepteurs visuels. Aheum.
— Porkuwa ?
— Aheum. Parcequevousêtesdesmotoculteursàprésent.
— Par’on ?
— Parce que vous êtes des motoculteurs à présent, répéta Charles. Euh, des motocultueurs même, si vous me permettez l’expression.
— ‘Alopard ! On va te niquer !
— Oh, vous commencez à récupérer votre diction. C’est bon signe.
— Pourquoi vous avez fait ça ? exigea de savoir Robocop.
— Il faut que vous retourniez dans le passé pour sauver le futur !
— Hein ?
— Notre futur proche va devenir apocalyptique. Pour empêcher la destruction du monde, vous devez supprimer les acteurs de ce désastre avant qu’ils disparaissent dans l’ombre et mettent en branle leurs obscurs dessins.
— Mais... et les paradoxes temporels ?
— Ne vous en faites pas pour ça. S’il devait y avoir un problème à ce niveau il aurait déjà eu lieu, affirma le professeur Xavier.
— Oui, mais si nous avions résolu l’affaire, vous ne nous auriez pas kidnappé et opéré pour nous envoyer dans le passé…, constata Judge Dredd.
— Sauf si c’est la toute première fois qu’on remonte le temps, avança Robocop.
— Ou alors c’est parce que ça va foirer, auquel cas c’est inutile de nous envoyer dans le passé.
— Sauf si le passé a lieu parce qu’on ne le remonte pas parce qu’on croit que ça va foirer alors qu’en fait non…
— Je vous dis de ne pas vous en faire, râla le professeur. Un paradoxe temporel n’est pas un paradoxe pour rien. Vous n’avez qu’à adopter la théorie selon laquelle remonter dans le temps crée une timeline parallèle, et voilà.
— Mais…, commença à chipoter Robocop.
— Pas de mais ! Vous y allez, c’est tout, trancha Charles.
— Et pourquoi des motoculteurs ?
— Enfin une bonne question… Parce que vos armures sont trop avancées technologiquement. Elles pourraient perturber le passé.
— Mais on remonte le passé justement pour le perturber, on n’est plus à ça près…, tatillonna tout de même Robocop.
— Merde ! Voilà, vous l’avez mérité. Maintenant vous allez grimper dans la machine à remonter le temps. Vous allez vous retrouver dans cette pièce des années en arrière. Vous viendrez me voir, vous m’expliquerez la situation, mon moi du passé ne vous croira pas, il vous sondera et saura que vous dites la vérité. Il vous aidera.
— D’accord.
— Une dernière chose : ne vous formalisez pas si vous notez des dissemblances entre lui et moi ; j’étais jeune alors.
— Bordel. Qui sont les méchants ?
— Quatre transpalettes fous.






OXI et Cordon de plage prenaient leurs aises dans le bureau spacieux du professeur Xavier. Derrière les lambris de mélèze avait été placé de la laine de roche, un isolant phonique efficace tant contre les bruits aériens – pas les avions mais les bruits qui circulent dans l’air – que les bruits d’impact. Seule la porte matelassée indiquait que la préservation acoustique de l’endroit était assurée. Les transpalettes, qui étaient de fins observateurs, l’avaient noté mais ils avaient tu le sujet, tout comme ils n’avaient pas relevé le fait que le professeur se grattait régulièrement et frénétiquement le creux du coude gauche sans s’en rendre compte. Ils étaient deux transpalettes polis. En d’autres circonstances cela serait passé crème, ici non. Pas en compagnie d’un télépathe.

Le professeur Xavier surprit leurs pensées.
— Ouais, je me pique. Et alors ? On a tous une part sombre. Certains en ont juste une plus grande que les autres…, précisa-t-il, les yeux déjà dans le vague.
— Ça ne nous regarde pas, professeur, rassura Cordon de plage qui se créait une réputation de diplomate chevronné. Nous ne sommes pas là pour juger.
— Tout à fait, épaula OXI-6. Nous, on est là pour vous demander cinquante balles en kébabs, si possible, et une safehouse.
— Je lis dans vos esprits que vous êtes en fuite.
— En effet. Pour rien ne vous cacher, nous nous sommes échappés du projet « Arme XI ».
— Hmm. Le contour de vos cerveaux et les connexions neurologiques ne me semblent pas humains. Donc vous n’êtes pas des cerveaux d’hommes – ou de femmes, je ne suis pas sexiste, au contraire, héhé – dans des transpalettes. D’ailleurs, je me demande si ce serait possible de le faire.
Le professeur repartait encore dans son monde alcaloïde. Des images aléatoires lui venaient – un sept de carreau et un marteau rouge principalement – mais il les chassa pour envisager quelque chose de grandiose : des cerveaux sur des trottinettes. Non. Des cerveaux sur des transpalettes. Non, pas original. Des tondeuses à gazon sur des cerveaux. Non, aucune réalisation scientifique pourrait en découler. Des cerveaux dans des tondeuses à gazon. Voilà, c’était mieux.

— Professeur ? Professeur ? répétait Cordon de plage.
— Hein ? Quoi ? C’est l’heure du goûter ?
— Non, professeur. Vous bavez depuis vingt minutes sur votre costume.
Car oui, ce professeur Xavier plus jeune que sa version du futur – sans surprise – était, malgré ses propos orduriers, lui aussi d’une belle élégance. Quand les fils se touchaient là-haut, le professeur Xavier possédait un regard lubrique qui mettait mal à l’aise ses vis-à-vis. Fort heureusement, il était le seul télépathe du coin – Jean Grey avait mis les voiles très vite – ce qui lui avait évité d’avoir à justifier, aux parents pour les mutants qui en avaient sinon à la collectivité publique, ses choix pédagogiques douteux.
L’histoire allait reprendre sa route quand elle fut sabotée par le turfu.

Le manoir trembla, les appareils électriques pétochèrent. Au sous-sol, Robocop et Judge Dredd venaient de traverser l’espace-temps. Ce déplacement néoquantique troua à son tour la réalité de cet univers.

Les surêtres de la galaxie NGC 1404 de la constellation du Fourneau suivaient, consternés, la dénaturation des lois de l’univers que causaient les humains. À force de relier entre elles les dimensions parallèles et de remonter le temps, le cosmos perdait de sa consistance. Les Fourneauxiens – dans leur langue sentiente et atomique ils se nommaient « l’Auditoire de la grande étendue » –, âgés de millions d’années, avaient mesuré que l’expansion de l’univers s’était brutalement amoindrie depuis les trois dernières décennies ; ils craignaient, en outre, que les tâtonnements expérimentaux de l’humanité causassent un Big Crunch. Le conclave macrocosmique, alerté par les Fourneauxiens, tint une session extraordinaire dans son antique chambre de la galaxie EGSY8p7, constellation du Bouvier, afin d’étudier les solutions à leur portée pour régler le « problème terrien », comme ils disaient. Le rapporteur du conclave exposa ses conclusions. Celles-ci préconisaient, notamment, soit de réchauffer la membrane de l’univers pour relancer son agrandissement, soit l’envoie d’une armada de vaisseaux robotisés qui détruiraient la planète bleue. Le premier plan ne fut pas voté, du fait de son coût énergétique et de sa facture presque infinitésimale – un gogolplex de crédits intergalactiques (10 puissance gogol, aussi égal à 10 puissance 10 puissance 100) – ; les représentants du conclave estimaient que ce n’était pas à leurs concitoyens de payer pour les bêtises d’une race à peine millionnaire et même pas immortelle dans sa globalité. Le second plan obtint plus de considération, mais puisque le temps de trajet était évalué à treize milliards d’années cela ne résoudrait rien. Aussi, le conclave serra ses fesses d’extraterrestres et espéra que les humains, belliqueux par nature, s’entretueraient avant que l’univers ne disparaisse.

Les X-men investirent les niveaux secrets du manoir, remontés à bloc. Bien qu’ils n’étaient pas équipés du traditionnel costume moulant qui faisait la renommée de leur équipe, leurs yeux déterminés trahissaient la puissance des pouvoirs enfouis, excepté pour Cyclope qui portait ses lunettes de soleil. Sur leurs talons suivaient OXI-6 et Cordon de plage ; eux, trahissaient la complexité de la vie et de la conscience.

Robocop et Judge Dredd furent encerclés promptement par le commando de mutants prêts à en découdre. Sans l’appui de leur exosquelette ils ne se risquèrent pas à combattre ce qu’ils pensaient être un groupe de sous-citoyens redneck vindicatifs. Ils n’étaient pour le moment qu’un couple de motoculteurs hagards. Cependant, les deux transpalettes électriques qui accompagnaient les X-men ne passaient pas inaperçus.
— Les transpalettes fous ! s’écria Robocop.
— Sus aux transpalettes fous ! compléta Judge Dredd. Pour la loi, et l’ordre !
Ils essayèrent de s’attaquer à OXI et Cordon de plage, en vain. Iceberg, mutant contrôlant la glace, les gela sur place.
— On n’est même pas des transpalettes fous, se défendit OXI-6. Ce sont Francky et les autres d’abord. Si vous avez un souc’, je peux vous sauter dessus. Je vous prends quand je veux !
— Comment vous connaissez les transpalettes fous ? s’enquit Cordon de plage.
— Parce qu’on est envoyés par le professeur Xavier pour les tuer, rétorqua Dredd.
L’intéressé nia de la tête.
— Je n’ai aucun lien avec ces connards.
— Pas vous, vous. Le vous du futur.
— Ce n’est pas possible, réfuta le professeur, sans se fatiguer.
— Sondez-nous, vous verrez, conseilla durement Robocop.
— À quoi bon ? Si je vous sonde et que je lis dans vos esprits que vous ne mentez pas, ça ne veut pas dire que c’est la vérité vraie pour autant, bande de blaireaux. Vous pourriez être manipulés mentalement ; je le fais tout le temps, moi.
— Votre vous du futur avait insinué que vous étiez un con mais il aurait pu se montrer plus précis ! insulta dédaigneusement Judge Dredd.

Le professeur Xavier se sentir rougir. Il parcourut sans difficulté les tiroirs de leur mémoire à long terme épisodique. Les souvenirs les plus accessibles étant les plus récents, il revécut ce qui s’était déroulé dans ce même sous-sol. Les éléments lui semblaient convaincants, hormis que la version âgée de lui était d’un pédantisme qu’il trouvât déplaisant.

— Mettons que je reconnaisse que vous venez du futur… Qu’est-ce que vous ferez ?
— On s’occupera des transpalettes fous pour récupérer nos corps, répondit le juge.
— Vraiment ? Et comment, abrutis de poulets ? Il n’y a pas de machine à cette époque pour voyager dans le temps et si vous changez votre passé ça veut dire qu’ils n’auront pas besoin de vous dans le futur et donc qu’ils ne vous feront pas revenir.
— On sait tout ça, c’est un paradoxe temporel, répliqua Robocop.
Dredd prit la parole lui aussi, tout fier :
— On l’a expliqué au professeur Xavier vieux et il nous a dit de ne pas nous en faire.
— Donc vous êtes au courant que c’est un aller-simple et que vous ne récupérez jamais vos corps ?
Le duo de policier fut estomaqué.
— Hein ?
— Quoi ?
— Ah ouais, vous êtes des cracks...






Gare de Quimper, Terminus.

À peine descendue du TER, Lady D s’empressa d’aller acheter un appareil photo jetable au relais H de la gare. Un autochtone sympathique rencontré devant la porte fermée des WC du train lui avait vanté la splendeur des vieilles pierres de la Cathédrale Saint Corentin et du vieux quartier médiéval de la capitale du Finistère. Elle n’avait désormais qu’une hâte : découvrir les reliques du Santig Du et s’empiffrer de crêpes au caramel au beurre salé de chez Ty Coz, et de cidre brut, bien entendu.

Alors qu’elle découvrait le parking SNCF et ses files de voitures de location, Lady Deadpool (aka Gwenn Wilsonnec pour les besoins évidents de discrétion de sa nouvelle mission) fut attirée par le bruit familier de l’urine chaude se déversant sur une haie ferroviaire. Un aboiement de berger allemand lui confirma la présence de punks à chien. Par instinct, elle suivit le chemin jonché de canettes de 8.6 vers le petit parc où des affreux étaient en train de deviser sur ces enfoirés de capitalistes et de flics toujours prêts à empêcher l’avènement du Grand Soir, à commencer par ces deux raclures de Dredd et de Robocop, porcs parmi les porcs et symboles de l’oppression policière de l’État policier, enculés !

Gwenn Wilsonnec se saisit d’une canette de bière encore scellée dans le pack posé au centre du petit cercle d’individus. Elle l’ouvrit et la vida cul sec avant de l’expédier sur le front de No Future, une belle bâtarde terre neuve au poil doux, à la truffe humide et à l’œil brillant. La pauvre chienne couina de surprise et de dépit. Puis se fut la baston générale.

Au bout de sept malheureuses secondes la Police intervint et dissipa les clodos à grands coups de rodomontades. L’un des agents de proximité proposa à Lady D. de porter plainte pour coup et blessure, attaque à main armée, violence en groupe, simonisme, dépravation sectarisme, non respect de l’autorité de chose jugée mais elle refusa tout en bloc. Déçu par son refus de coopérer, l’officier la menaça de l’arrêter pour obstruction à la justice et de complicité d’outrage à agent de la force publique. Lady Deadpool accepta donc de signaler une main courante pour pipi dans un buisson en groupe et sur la voie publique, que le policier s’empressa de transformer en crime contre l’humanité et exhibitionnisme.

Ces formalités expédiées, elle prit les flèches de la Cathédrale comme point de mire et se dirigea vers le centre ville. Après quelques pas (genre quinze), elle fut bousculée par une bande de chenapans à roulettes qui l’insultèrent et lui montrèrent leurs fourches menaçantes ! Elle n’en revenait pas d’avoir été molestée en un quart de seconde par ces quatre transpalettes mal éduqués !

Elle respira trois fois à plein poumons pour se recentrer et baisser son taux de sérotonine et sa colère, comme le lui avait appris son coach-psychanaliste lors d’un stage aux alcooliques anonymes.

La rage évacuée, elle marcha d’un pas délicat et enjoué dans les rues pavées, admirant de temps à autre sa silhouette svelte et aguichante dans les reflets des vitrines de magasins de porcelaines et de cigarettes électroniques.

Enfin parvenue devant le parvis de l’édifice religieux, la sonnette de son téléphone de poche sonna au rythme de Busta Rhymes.

« Ouais, j’suis arrivée. Non, pas de retard. Une tenue rouge et noire et un masque. Euh… une culotte en coton verte, pourquoi ? Une brassière en lycra. Grise, c’est un modèle sportif. Bah c’est pas assorti parce que je me suis habillée un peu vite ce matin et que j’aime bien les matières synthétiques quand je sais que je vais me battre dans la journée. Non, c’est juste que je trouve ça plus confortable. Si, je fais attention à moi, je vois pas du tout le rapport avec le fait que… Non ! Non. Non plus. Non. Écoute… Non. Laisse-moi parler ! Non. Mais tu me fais chier à la fin. Non, même pas un petit bisou. Là, tu rêves. Non. Bon, allez, je dois aller voir les vitraux de la cathédrale avant que ça ferme. Oh… t’es sérieux ? Si tôt que ça ? Bon, tant pis alors. Je reviendrai pendant l’été dans ce cas. Ok. On se retrouve où ? C’est quoi, ça ? Non, je connais pas. Au Séphora, tu dis ? Ok, ça marche. Ouais, à toute. Bisous. »
» Merde !






Deadpool gara dans le centre-ville de Quimper, place de la Résistance, la Clio II « empruntée » lors de l’ellipse. Il resta immobile, assis sur le siège conducteur, frappé par la similitude de son trajet et de celui du général De Gaulle. Le 2 février 1969, le chef d’État était parti de Brest en hélicoptère pour se poser à Bénodet avant de rejoindre Quimper, là d’où venait Wade. Ensuite, il avait prononcé son discours, son dernier discours. « Va c'horf zo dalc'het, med daved hoc'h nij va spered, Vel al labous, a denn askel, Nij da gaout e vreudeur a bell. », avait-il déclamé, reprenant les vers de son grand-oncle homonyme.


Mon corps est retenu mais mon esprit vole vers vous, comme l'oiseau à tire d'aile vole vers ses frères qui sont au loin.



Une jumelle venue de loin. Un corps immortel ancré sur Terre. Un esprit libéré de la contrainte rigoureuse de la normalité. Tout concordait. Wade Wilson sut que tout allait se dénouer au sein des rues de la capitale cornouaillaise. De Gaulle n’avait-il pas glissé à Léon Goraguer, alors maire de la commune, que « Quimper est le cœur, l’esprit, l’âme de notre Bretagne. » ? Bon, Deadpool se sentait moyennement concerné par la culture celte et a fortiori encore moins par la civilisation breizhek. Pourtant, c’était à la mode d’avoir un obscur parent breton, or pour décrocher son travail de physionomiste pour le casino, Deadpool s’était convaincu d’avoir un ascendant nommé Walig Wilsonnec. Son instabilité mentale lui permettait de jouer à la perfection les personnages qu’il désirait incarner quand il manœuvrait subtilement, ce qui était suffisamment rare pour être soulevé.

Il remontait la rue Kéréon, une fieffée rue pavée bordée de magasins, principalement de fringues et de chaussures. Il se sentait Wade Wilsonnec pour l’occasion et ne retenait pas ses propos déplacés contre les touristes qui remplissaient la voie. La moitié d’entre eux était des parisiens, des individus qui s’empiffraient de glaces à l’italienne et qui fragilisaient les dunes en marchant dessus. Wade fendit la foule et eut tôt fait de rejoindre le point de rendez-vous, entre le Séphora à gauche et le magasin « a Pastourelle » à droite.

Au milieu d’un fleuve de sandalettes, de bermudas et de hauts échancrés, la tenue de cuir rouge et noir de Wanda Wilson, a.k.a Lady Deadpool, était reconnaissable.

Leurs regards se croisèrent. Une boule se forma, l’estomac se fit plus lourd, le rythme cardiaque s’accéléra. Deadpool de la Terre-616 et Lady Deadpool de la Terre-3010 se reconnurent. Ils se rapprochèrent doucement d’abord, comme des chiots qui apprennent à se connaître. À moins d’un mètre l’un de l’autre ils se fixèrent là. Deux rocs inamovibles luttant contre le flot de la vie.

— Je te vois, dirent-ils à l’unisson.
C’était beau et étrangement romantique pour deux personnes qui en étaient une seule. D’ailleurs, quelques locaux qui passèrent à côté crurent à un évènement organisé par l’équipe de foot de Guimgamp ou de Rennes – difficile à savoir de prime abord, les deux clubs partagent les mêmes couleurs – et se mirent à former une ronde autour du couple. Constatant que rien de passionnant ne se passait, un téméraire donna de la voix :
– Embrassez-vous !

Wade apprécia l’idée et fit un geste vers Wanda. L’initiative – qu’une éducation patriarcale lui avait toujours appris qu’elle devait venir de lui ! – fut immédiatement réprimée par une gifle de son double.

– Je t’ai déjà dit non, connard ! Alors n’insiste pas !
Elle pointa du doigt l’odieux spectateur exubérant et tira à demi un de ses katanas du fourreau.
— Dégage, bouffon, ou je m’occupe de ton cas. Et ça vaut aussi pour toi, Wade ! Vous êtes tous des putains de pervers libidineux dans cette dimension, ma parole.

Elle s’en alla, furax. Sa cuche blonde ballottait. Ses mouvements exprimaient toute la colère que ressentait Lady Deadpool. Il suffisait de cette sexualisation surabondante, de l’instrumentalisation de l’anatomie féminine. Les femmes n’étaient pas des possessions sur lesquelles on assouvit ses fantasmes, ni des figurines à observer sous toutes les coutures. Si le féminin est beau, il l’est d’autant plus dans la réserve.

Tandis qu’elle rebroussait chemin, en direction de la cathédrale Saint-Corentin, elle fut à nouveau bousculée par derrière. Elle n’eut pas le temps de se retourner pour faire son affaire au pignouf que quatre transpalettes la dépassèrent. L’un d’eux tenait un Nikon entre ses fourches, et avant d’être avalé par les touristes, il lâcha un compliment :
— Joli cul, ma belle.
Il n’en fallut pas plus pour Wanda. Elle dégaina un katana et un 9mm puis les poursuivit. Mais ils étaient rapides et l’endroit bondé. Deadpool arriva à son niveau peu après.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Je t’ai vu partir tout d’un coup.
— Quatre transpalettes et un Nikon m’ont manqués de respect ! Je vais les bousiller !
— Quatre transpalettes et un Nikon, tu dis ?
Deadpool mit la main devant sa bouche.
— Serait-ce les mêmes ?
— Tu les connais ? demanda Wanda.
— Un peu, ouais. Ils m’ont manqués de respect à moi aussi. Et si on unissait nos forces respectives mais en même temps similaires pour nous venger ? proposa Wade.
Il est remonté à bloc, je te l’avais dit !
C’est pas trop tôt. Je commençais à m’inquiéter moi.
Ils vont regretter de nous avoir affronté !
T’es qui ?
La vox intérieure de Lady Deadpool, mes loulous.
Kawaii !
Elle n’en a qu’une ?
Pas besoin de plus.
Comment tu fais pour nous lire ?
Comment tu fais pour exister ? t’es que des lignes dans un traitement de texte.
Dis pas ça, tu casses tout.
— Hey, on ne vous dérange pas ? s’impatienta Deadpool.
— Ouais, la vengeance est à portée de balles là, donc tenez-vous à carreaux, ordonna Lady Deadpool.
Oui, chefs !




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Message posté le 23:45 - 20 août 2016

Chapitre 4



Les héros meurent à la fin, comme les méchants. Sauf que les méchants on se souvient d’eux. On se souvient des généraux qui commandent des milliers d’hommes à la mort, on les vénérerait presque les Alexandre, Genghis Khan, Napoléon, MacArthur.

Par contre, personne ne connaît le nom du pompier qui a sauvé une famille entière des flammes et qui est décédé en faisant son travail. Personne, si ce n’est ceux qui le pleurent. Il vaut mieux célébrer des politicards et des sportifs, des top models et des youtubeurs, plutôt que les infirmiers, les physiciens et les professeurs. C’est plus facile d’idolâtrer les privilégiés que les gens du commun, les clampins qui prennent le bus ou qui font leurs courses seuls. Les héros meurent à la fin, les gentils perdent.

Robocop et Judge Dredd se sentaient abattus. Ils avaient dédié leur existence entière à l’ordre public et n’avaient dernièrement que récolté disgrâce et souillures expérimentales. Ils étaient inutiles. Les rebuts d’une société consumériste partagée entre la soumission à un système corrompu et les désirs de liberté.

Ils n’étaient pas meilleurs que le citoyen lambda, ni pire. Certes, ils avaient commis leurs lots de bavures policières, d’homicides volontaires et involontaires, mais s’il fallait peser leurs âmes torturées, la balance serait d’un équilibre digne d’un moine shaolin. Pour servir et protéger, ils avaient sacrifié bien des choses : la famille, l’amour, la reconnaissance et même la paye. Ils ne s’en rendaient pas compte, ils étaient trop mâles pour ne serait-ce que l’envisager, mais ils ne tenaient le coup qu’à leur amitié. Robocop n’avait que Judge Dredd, Judge Dredd n’avait que Robocop ; unis à travers la matière et le temps. Il y a des liens de camaraderie qui ne s’effritent jamais quoi qu’il puisse arriver, voyez Han Solo et Chewbacca, ou encore Engels et Marx.

Au fond d’eux-mêmes, Robocop et Judge Dredd savaient qu’ils n’étaient pas des flèches. Ils pouvaient rentrer des carrés dans des carrés et affronter la Bratva Izmaïlovskaya d’une main tout en délogeant un chaton somali de l’autre, néanmoins, en dehors de cela, ils faisaient preuve de grosses lacunes dans la prise de décisions réfléchies. Ce n’était pas pour rien qu’ils avaient pénétré la tanière d’un des mutants les plus accomplis sans avoir une once de plan. Ils étaient devenus malgré eux les serviteurs de la volonté d’autrui.

Les hérauts enchaînés du futur, désignés pour une mission ingrate. À force de perdre leur chair et de se voir traiter comme des humains de seconde zone sacrifiables, ils en adoptaient le comportement et surtout, la pensée. Les dégradations, l’humiliation qu’ils vivaient au quotidien, n’avaient fait qu’empirer. D’armures de combat ils avaient été déclassés au rang de motoculteurs. Les deux transpalettes présents dans le couloir étaient leur salut.

En accomplissant l’objectif – à savoir détruire les quatre transpalettes fous – ils prouvaient que l’efficacité n’étaient pas qu’une question de gadgets et de gros bras blindés. Mais il avait suffi d’un mutant, subtil croisement entre le palais de glace du méchant de Meurs un autre jour et de Arnold “Mister Freeze” Schwarzenegger, pour anéantir leurs espoirs.

Le professeur Xavier, qui devenait irrité à cause de cette affaire et de la multiplication des étrangers dans sa garçonnière son école, exigea que chacun reprenne son histoire depuis le début. OXI-6 et Cordon de plage relatèrent leurs mésaventures.

Ils étaient le fruit du projet « Arme XI ». Le projet précédent, « Arme X », avait donné naissance à des mutants évolués ; certains n’hésitant pas à parler d’übermutanten, à tort. Car ni Wolverine, ni Deadpool ne mettaient de côté la violence au profit de la métaphysique et du dépassement des limites de la morale. Si « Arme X » avait transcendé le vivant, « Arme XI » devait sublimer l’inerte. Les scientifiques du programme craignaient le mythe de Frankenstein et de sa créature, aussi, ils estimèrent ne pas prendre trop de risque en dotant d’une conscience des transpalettes électriques.

La lignée des OXI apparut. OXI-1 fut naturellement le premier, suivit d’OXI-2, puis d’OXI-3 vite succédé par OXI-4. OXI-5 et OXI-6 arrivèrent en derniers, tels des jumeaux, ce qui au sein de la fraternité d’überelektro-hubwagen les plaça à part. En de tristes occasions, il arrive que les enfants victimes de sévices les répètent quand ils grandissent, lorsqu’ils sont suffisamment âgés pour avoir à leur tour sous leur coupe des êtres plus vulnérables. OXI-5 et OXI-6 connurent cet état de fait.

La cruauté infligée par les scientifiques humains parcourait les lignes de vie électriques des quatre premiers cobayes d’« Arme XI ». Puisque les criminels ne subissaient pas la sanction de la justice ou l’ire de la vengeance, ceux qui devaient devenir Francky, Kévin, Jordan et Luigi évacuèrent l’impuissance accumulée sur leurs benjamins.

De nombreuses semaines passèrent. Dans la grande cellule d’acier qui retenait enfermés les six transpalettes, un plan d’évasion se forma. Les tortionnaires avaient négligé la volonté ainsi que la puissance des prisonniers, des prisonniers qui ne ressentaient pas la douleur. Ils attendirent patiemment le 1er juillet, date d’indépendance du Canada, pour agir.

« Arme X » étant un programme canadien, sa suite demeurait en partie sous son influence. Ce fut pourquoi les gardes et scientifiques – du pays de l’érable et des rennes – d’« Arme XI », trop contents d’avoir quelque chose à fêter burent toute la nuit. Le personnel étatsunien participa aux célébrations avec joie et le coude haut ; trois jours plus tard, le 4 juillet, leur indépendance serait commémorée.

Les OXI profitèrent du bruit de la soirée pour enfoncer un pan du mur à l’aide de leurs fourches. Le travail et les résultats furent lents. Une couche de trente centimètres d’acier ne s’effrite pas aisément. Lorsque la musique s’arrêta, les transpalettes l’imitèrent. Les gardes, grisés par l’alcool, ne furent pas minutieux et ne fouillèrent pas la cellule. Par ailleurs, les jours suivants ils pensaient déjà au 4 juillet qui se profilait et à ses préparatifs.

La date venue, Kévin, Luigi, Francky, Jordan, OXI-5 et OXI-6 reprirent l’excavation. Au petit matin, alors que la base dormait, ils continuèrent. La sortie était presque là, c’était le moment ou jamais !

Soudain, le soleil perça le métal. D’abord en un fin rayon pâle ; mais en ces bas lieux où la noirceur est un crépi rugueux et oppressant, la moindre lumière maladive est un rai d’espoir. Les transpalettes encouragés par l’astre redoublèrent d’effort. Ils heurtaient le mur toujours plus intensément si bien que des morceaux de plus en plus épais se scindaient de la structure.

Bientôt, l’alerte retentit. Les gueules de bois à moitié habillées s’élancèrent en direction des geôles et du bruit retentissant. Alors qu’un garde essayait tant bien que mal de pénétrer la serrure avec la mauvaise clef, le tapage cessa. Le soudard fut pressé d’ouvrir la porte et devant son absence de réussite, il fut remplacé par Changmu.

Shi Changmu restait habile de ses mains même après avoir bu de la vodka à outrance. Changmu avait connu l’alcool tardivement, à l’université. Avant cela, l’éducation quelque peu stricte de ses parents l’avait tenue éloignée de la boisson et des garçons. À la prestigieuse université de Columbia (à New York) elle avait pu se libérer des traditions qui la liaient. Son père, haut fonctionnaire du parti communiste chinois, avait croisé les doigts pour que sa fille conservât un bon cap, mais il ignorait que Changmu se transformait progressivement.

Déjà, elle ne pratiquait plus le wing chun, au contraire, elle était devenue ceinture noire de judo qui est un art martial japonais – ce qui constituait d’après le passif entre les deux pays une belle petite traîtrise. Ensuite, elle s’était mise aux couverts occidentaux, exit les baguettes. Malgré tout, Changmu n’était pas passée loin de finir major de sa promotion, ce qui prouvait que l’on pouvait être un bon élève et s’enjailler.

Ses talents – de même que la position de son père – avaient attiré l’attention des gestionnaires du projet « Arme XI » ; contre toute attente elle avait accepté leur offre d’embauche. Une carrière de chef d’entreprise, de prix Nobel ou de politicien était à sa portée, pourtant elle refusait la facilité.

Les enseignements de ses parents avaient fait naître chez elle un goût immodéré du dépassement de soi. Pour être accompli il fallait l’obtenir par le travail et la sueur. Les diplômes n’étaient que des trophées à accrocher à un mur entre une tête de lion et le derrière d’un phacochère.

En sus, elle estimait devoir donner tort à la signification de son prénom. « Changmu » venait de la divinité éponyme, déesse de la chambre à coucher et des plaisirs sexuels. Sacré cadeau venant de parents ! Au moins, n’était-elle pas « Hsi Shih », déesse des crèmes, cosmétiques et parfums.

Changmu trouva la bonne clef et la fit tourner dans la serrante. Dans un grincement strident – sssouuuuuiink – l’attroupement se précipita à l’intérieur de la cellule, matraques et fusils paralysants en mains. Face au trou béant, les matons restèrent bouches bées. Les transpalettes avaient pris la poudre d’escampette, et même que ça rimait, polonais.

Le professeur Xavier fronça des sourcils. Cordon de plage et OXI-6 lui fournissaient plus de détails qu’ils auraient dû en être capables, mais l’essentiel était là. Ou presque.
— Comment en êtes-vous venus à vous séparer de vos frères ? demanda-t-il.

Le flashback reprit.

Ils roulaient comme des dératés. Ils formaient une étrange procession : six transpalettes en file indienne au milieu de la forêt. Concentrés sur leur fuite, ils perdirent la notion du temps. Toutefois, rétrospectivement, Cordon de plage estima d’après la position du soleil que deux ou trois heures s’étaient égrenées. Ils firent une halte et formèrent une ronde.

— Nos routes se séparent ici, prévint Luigi.
— Pourquoi on se sépare ? s’inquiéta OXI-6.
— Ce sera plus dur pour eux de nous retrouver, expliqua Jordan.
— Ah…
— Donc nous quatre on va aller de notre côté, apprit Kévin, et vous deux, du vôtre.
— Est-ce seulement l’unique raison ? enjoint OXI-5.
— Tu as toujours été le plus malin, frérot, reconnut Francky. Nous, on fonctionne à quatre, vous à deux. Ça a toujours été comme ça, il n’y a pas de raison que ça change.
— Vous nous abandonnez ?! s’étrangla OXI-6.
— Disons plutôt qu’on vous laisse prendre votre envol, dit sournoisement Jordan.
— On n’est-y pas de bons frères ? baragouina Kévin.
— Bon, allez. Salut, la compagnie, annonça Franky.
— Ciao, balança Luigi.

Et ils déguerpirent.

La narration retourna dans le monde normal, si tant est que la normalité existe quelque part.

— Je suis ému par votre récit, confessa Robocop, mais je ne vois pas le rapport avec Judge Dredd et moi qui remontons le temps pour les vaincre.
— Pour les vaincre il faut disposer de capacités exceptionnelles : des réflexes dépassant l’entendement, un courage à tout épreuve et le sens inné du devoir, signifia Cordon de plage. Le professeur Xavier du futur a dû déceler cela chez vous.
— Personnellement, je ne miserai pas un kopeck sur vous à l’heure actuelle, notifia l’intéressé du passé. Mais il paraît que je serai un connard de vieux sage dans l’avenir, alors faites comme bon vous semble. Tant que vous foutez le camp hors de chez moi.
Charles Xavier se referma comme une huître, tandis que sa perle crânienne rutilait de mille éclats. L’assistance le regarda avec tendresse.






Ailleurs, les quatre transpalettes fous menaient leur train de vie de manière paisible. Pour eux, ils étaient libres et loin des griffes impies des scientifiques de tous genres. Là-dessus, ils étaient dans le bon. Seulement, ils ne se doutaient pas que ce serait leur manque de compassion et d’empathie qui causerait leur perte. À n’en faire qu’à leur tête ils s’étaient créés des ennemis mortels implacables. Cela étant, leur soif de pouvoir et de vengeance les conduisaient à augmenter sans arrêt leur force.

Ils avaient établi leur QG au 25 avenue des sports, dans un petit entrepôt délabré. L’endroit, visité sporadiquement par des fêtards nocturnes peu au fait de l’existence des poubelles et du tri sélectif, n’avait pour décoration intérieure qu’un bus rouillé au moins trentenaire. Le tas de ferraille possédait un certain charme, tant l’atmosphère du lieu se prêtait au suranné poussiéreux.

L’entrepôt ne jouissait pas directement de la lumière naturelle ; celle-ci était tamisée par la fine tôle qui coiffait l’entrée. De nuit, c’était les lampadaires par leur lueur orangée qui éclairaient les ombres et recoins du dépôt. Ainsi, quelle que fût l’heure, les transpalettes se retrouvaient entre quatre murs à l’écart des gens et sans éclairage. Leur liberté était-elle vraiment totale comme ils aimaient à l’imaginer ?

En tout cas, le bus leur avait donné de la suite dans les idées. Le quatuor choisit de s’inspirer des Sūpā Sentai Shirīzu et de fusionner ensemble pour devenir une entité unique démentielle. Jusque-là, l’entreprise s’était révélée infructueuse.

Au terme d’un nouvel échec, Luigi se laissa aller à un soupir :
— J’en ai ma claque, ça ne marchera jamais.
— Aie confiance, mon frère, rassura Francky. Il ne faut pas désespérer.
— C’est sûrement infaisable, peu importe le nombre de tentatives, se plaignit le premier.
— Ne sois pas démoralisé, on te dit, intervint Jordan.

Un blanc s’installa et les trois transpalettes se tournèrent vers le dernier qui, en temps normal, aurait dû placer sa réplique.

— Alors, tu ne parles plus, Kévin ?
— Vous n’avez pas l’impression d’être observés ?
Francky, Luigi et Jordan firent non des fourches.
— Moi, oui. J’avais cette sensation à Bénodet et plus tôt quand on était dans le centre-ville. Voilà qu’elle revient. C’est comme si quelqu’un nous espionnait et pouvait entendre ce qu’on disait. Je suis tout perturbé.
— Allons, Kévin, fais risette dont.
— Ce doit être notre entraînement intensif super cool qui t’a épuisé. Ça arrive même aux meilleurs.
— Oui, même aux meilleurs.

Luigi, Francky et Jordan se zieutèrent. Kévin n’était manifestement pas au sommet de sa forme, et de ce fait, devenait le premier point faible du quatuor jusqu’ici uni. Pour cette fois ils passèrent l’éponge, ils turent le doute qui germait dans le jaune d’œuf de la compassion.

Sans plus tarder ils reprirent leurs travaux d’érection et d’anagogie. La violence, au travers de la collision des corps, était leur manière de faire. Foncer, encore et encore, tant que le but n’est pas atteint. Ils avaient brisé l’enceinte de la prison, ils en feraient donc de même quant aux limites du possible. Ils éclipseraient le Soleil et sa fusion nucléaire ; eux, ils accompliraient la fusion entitaire.

Le premier amalgame de quatre res cogitans et de quatre res extansa. Là résidait leur conatus. Des profanes n’y verraient qu’un quartette de Jungheinrich en totale perdition ; un digne otaku comprendrait de suite. Du reste, son intuition se révèlerait être récompensée rapidement : Jordan et Francky venaient de fusionner !

En lieu et place de l’habituel choc et de la déconvenue qui suivait, cette fois, un bref éclair aveuglant s’imposa. Quand la vision revint, un gerbeur jaune occupait l’espace. Luigi et Kévin reculèrent face à l’inconnu.

— N’ayez crainte, rassurait le gerbeur. Nous sommes Jordranky.

Une demi-douzaine de secondes s’écoulèrent puis les deux transpalettes indépendants exprimèrent leur joie. Ils l’avaient fait !





— Qu’est-ce que tu fais ? s’enquit le Mercenaire Disert.
— Je lis ton roman : Deadpool, Apocalypse Chiots, lui répondit sa jumelle.
— Ce n’est pas mon roman, ce n’est pas moi qui l’ai écrit.
— Tu crois vraiment que tu rédiges cette histoire ?
— Ouais… et ben… euh…, balbutia Deadpool, contrarié. En tout cas je suis le personnage principal de ce texte. C’est mon nom qui vient en premier dans le titre, je te signale.
— Ce n’est qu’une mesure de publicité, voilà tout.
— Moi je crois surtout que tu es dégoûtée.
— Genre jalouse ?

Un pan du masque de Lady Deadpool s’arqua en même temps que son sourcil droit.

— Ouais ! Jalouse ! Parce que le roman et cette novella s’appellent « Deadpool » et pas « Lady Deadpool ».
— M’en fous, chez moi je suis l’héroïne et je ne partage pas mes histoires avec mon tocard de double d’un univers parallèle. Je n’ai pas besoin de toi pour réussir, tandis que la réciproque est tout de suite moins vraie. En plus, on a le salaire égal chez nous, dimension de machistes !
— Vu que tu en parles, tu y retournes quand ? sans vouloir te presser…
— Je suis bien ici, rétorqua bassement Wanda.
— Non, non, non. Il faudra que tu rentres un jour. Je suis censé être le dernier Deadpool des multivers.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Comment tu sais ça ?
— Je l’ai lu sur Wikipédia.
— Hmm, c’est fâcheux. Même Kidpool meurt ?
— Oui.
— Mais ce n’est qu’un enfant ! Les gens n’ont-ils pas de cœur ?! Ça ne te fait rien, Wade ?
— Il est déjà tout foufou à son âge, ça diminue drastiquement sa longévité. Je me suis fait une raison. Moi à dix ans je jouais aux billes, pas avec des têtes décapitées.

Les deux Wilson étaient accoudés à une barrière des quais encadrant la rivière de l’Odet. L’octante de marronniers jalonnant les trottoirs s’épanouissaient. Les larges branches étaient autant de voûtes où les marcheurs y trouvaient un refuge frais.

— Et pour Dogpool ? Et pour moi ?
— Bien sûr que vous allez me manquer. Mais là j’ai atteint le cap où je dois faire le point. Réfléchir à mon avenir et ce que je veux faire de ma vie. Est-ce que je dois revenir à un style old school où je suis un vrai bad guy ; ou alors je poursuis dans le délire anti-héros des familles, sanglant, cinglant et rentable ? T’as vu mon film, avec Ryan Reynolds – ouais, celui même qui était dans l’écurie DC Comics et qui a fait le bon gros navet Green Lantern ? Je brasse des millions maintenant, je suis mondialement subversif et ce n’est ni bien ni mal. Tu en entends ce que je dis ? Je suis arrivé au stade où je ne sais pas que faire entre le bien et le mal. Moi ! Deadpool ! Le Mercenaire Disert, le Dégénéré qui se régénère ! Je suis à la croisée des chemins.
— Non, j’ai beau regarder, annonça Wanda, le titre de la novella n’est pas devenu « Deadpool chez le psy ».
Ni « Deadpool nous raconte des trucs inintéressants pendant trois plombes en se lamentant sur son pauvre sort ».
— Vous êtes une nouvelle fois jalouses parce qu’il y a eu un film sur moi, se défendit Wade.
— Mon pauvre ami, dans ma dimension ils ont fait un biopic sur « Lady Deadpool », l’Ineffable Sicaire. C’était une trilogie ; je jouais mon propre rôle. Trois longs métrages, trois oscars. Ça t’en bouche un coin, hein ?
— Même pas…
Ouh, le vilain menteur.
Tu me déçois.
On veut de l’action, comme promis.
Depuis le début on nous vend de la bagarre et de la vengeance or il n’y a rien !
Ils ont raison.
— On a ton Nikon à récupérer et notre honneur, Wade.
— Vous me prenez pour qui ? On les a déjà poursuivis et ils ont disparu avant qu’on leur mette la main dessus. La meilleure façon de les croiser c’est de ne pas les chercher, comme quand on a perdu quelque chose. Donc pour patienter, je vous divertis. Mais si vous le prenez ainsi, je me tais.
Ça y est. Je le connais et je peux vous dire qu’il boude là.
On l’a vexé ?
C’est un sensible finalement.
Il a ses humeurs.
— …
— Ce n’est pas un mal, fit remarquer Wanda, un silence bien mérité.
— …
Il faudrait quand même l’arranger au niveau des odeurs. Même s’il n’y a plus son haleine ça pique aux yeux en général !
— … !!!
— Ah, il schmoute ? Moi, je ne trouve pas.
Vous n’êtes pas des Deadpool pour rien, les dégueulasses.
Allez prendre un bain, s’il vous plaît.
— Bonne idée, la voix ! Tu viens me laver le dos, Wanda ? rayonna son double.



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Message posté le 03:22 - 13 nov. 2016

Chapitre 5


Cérébro était une machine formidable. Les gouvernements et fascistes – parfois se confondaient-ils – auraient coupé un bras de leurs citoyens pour mettre la main qui restait dessus. Elle permettait, à quiconque ayant sous le coude – on ne se lasse pas de l’humour brachial – un télépathe, de percevoir et de localiser un individu. Votre grand-tante maniérée à Manille : trouvée ; Tom Pouce dans la salle du Jeu de paume : spotted.

S’il fallait soulever des questions, on pourrait commencer par se demander pourquoi un vieux monsieur en contact permanent avec des enfants et des adolescents, officiellement pacifiste, partisan de la coexistence des mutants et des humains, gardait dans une pièce sécurisée un dispositif lui accordant un pouvoir de surveillance absolue ? Le professeur Xavier était-il aussi propre dans le fond que son crâne envoûtant ? Vous y penserez à deux fois désormais lorsque vous serez sur le trône ou occupé à jouer au docteur sous la couette en compagnie de votre cousin(e) au deuxième degré. Tout se sait.

Enfin bref, Cérébro épaula le professeur X – le professeur X, bordel, si ce n’est pas une preuve le confondant, qu’est-ce donc ?!! – dans sa recherche des quatre transpalettes fous. Une minute suffit amplement au cochon pour situer les truffes : Europe, France, Bretagne, Finistère, Finistère sud, Pays Glazik, Quimper. La proie était ferrée !

Sur le campus, le terrain de basket se scinda en deux. Un ascenseur amena, dans un bruit de rouages somme toute assez discret, ce qui ressemblait à un Lockheed SR-71 modifié. La silhouette demeurait mais ses entrailles différaient foncièrement : le cockpit était plus vaste, la propulsion et l’avionique revues de A à Z, le sens des ailes inversé. Le Blackbird, car tel était son surnom, vrombit. Ses tuyères sifflèrent et très vite les moteurs s’illuminèrent d’un bleu ardent.

L’engin furtif décolla ensuite à la verticale, soufflant autour de lui les feuilles mortes. Aux commandes de l’appareil se trouvait Cyclope, malgré lui de corvée de pilotage. L’X-men pestait du fait de sa tâche de babysitting et plus encore contre ses passagers. Pourquoi le professeur avait-il accepté que l’on transportât deux transpalettes et deux motoculteurs jusqu’en Europe ? Cette histoire rocambolesque – presque romanesque tant l’ivraie paraissait palpable – de voyage temporel le laissait perplexe. Les écrivains ou scénaristes de tout horizon s'échinaient depuis des décennies à rendre palpitant ce genre d'histoires ; de la machine de Wells au gritche de Simmons, à la saison 2 épisode 21 de Stargate SG-1 en passant par les incohérences de Terminator, les cas pullulaient sans toujours être à propos.

La complexité de la trame temporelle ne laissant pas place à l'erreur, il fallait apporter à son récit une attention minutieuse pour ne pas s'embourber dans une narration grossière. L'intrigue la plus simple restait la boucle causale – très bien écrite dans certaines nouvelles de la Patrouille du temps de Poul Anderson – : un événement dans le passé a lieu parce que ceux qui voyagent dans le temps sont à l'origine même dudit événement. Ce qui est symptomatique des affaires des chrononautes, incapables qu'ils sont de rester observateurs. D'un côté, s'ils restaient distants, il n'y aurait pas d'aventures. Boucle causale dans la boucle causale. L'utilisation des péripéties spatiotemporelles impliquent nécessairement un jeu historique, un risque de bouleversement des faits, quitte à prendre d'énormes libertés avec la consistance du scénario désiré.

Le Blackbird volait à plus de 30000 pieds d'altitude, le palier couramment emprunté par les long-courriers. En poussant l'appareil à Mach 2, le trajet prit un peu plus de deux heures. Un laps de temps relativement court si on prenait en considération les milliers de kilomètres qui furent parcourus. Toutefois, pour Scott “Cyclope” Summers, la traversée de l'Atlantique s'avéra, de prime abord, raseur. Les deux versions temporelles du professeur Xavier jouaient gros à laisser quatre rejetons avortés d'un projet militaire douteux sauver la planète, jugea l'X-men. Le monde aurait été mieux protégé par le commando de mutants américains que par des policiers au bord de la dépression et des êtres mécaniques en recherche d'un kébab.

Sous ces obscures raisons, Cyclope se demanda s'il n'y avait pas là une logique profonde, philosophique. Pour protéger l'humanité et l'amener à s'introspecter, ne fallait-il pas qu'elle fût défendue par ses composants les moins humains justement ? Si ces quatre individus, syncrétismes de la chair et de l'électronique parvenaient à faire montre de vertus pour combattre leurs pendants qui en étaient démunis, les humains restés humains devraient en tirer un exemple presque larmoyant. Mais après ce retournement sentimental de Scott, il lui en vint un autre, plus cynique cette fois : ses congénères y prêteraient-ils attention ? En dégageraient-ils une conclusion et une morale à cette histoire ? Des sources, discutables au demeurant, faisaient état d'un cumul de deux-cents années de paix en plus de trois mille cinq-cents ans d'histoire. En dépit du manque de fiabilité inhérent à ce genre de faits et de leur optimisme confondant, l'information mouillait les yeux.

Derrière le pilote, le reste de la cabine restait pantois. Les traits froids et l'attitude indifférente de Cyclope avaient suffi pour doucher le peu de sociabilité à laquelle les passagers étaient prêts à se soumettre. Pourtant, plus les quarts d'heure se suivaient, plus il abandonnait ses airs de pré-pubère puni, au point de dévoiler des rétines brillantes alors qu'il lança un regard à sa cargaison.

— C'est moi ou il pleure ? chuchota OXI-6.
— Non, je crois que tu as raison, alla en son sens Robocop.
— C'est qu'il a une vision perçante, mon frérot, se vanta Cordon de plage. Vous savez qu'il peut sauter en l'air ? Pour de vrai, je ne déconne pas.
— Moi, je peux faire aimer du Black Sabbath à une nonne de quatre-vingts ans, se la raconta Judge Dredd.
— Il est bizarre quand même ce Cyclope. Il râlait comme un fonctionnaire qui doit travailler jusqu'à 17h quand le professeur X l'a désigné pour nous piloter, et là il est tout émotif et ne cesse de se retourner vers nous, présenta OXI tout en se rapprochant de ses compagnons.
— Vous croyez qu'il va se suicider en fracassant l'avion contre la mer et que c'est pour ça qu'il est au bord des larmes ? risqua à demander Robocop.
— Je n'espère pas, je ne maîtrise pas encore totalement mon corps de motoculteur, tant pour piloter que pour me battre, regretta Dredd.
— Au pire, OXI-6 lui sautera dessus pour le maîtriser ! rassura joyeusement Cordon de plage.
— C'est vrai que j'en suis capable, assura son petit frère, trop content d'être sur le devant de la scène pour changer. Vous n'aurez qu'à faire diversion pendant que moi, je me place caché derrière vous. Et au moment où il ne s'y attendra pas, BAM, je bondis par dessus vous et je l'attaque au visage, façon facehugger, le huitième passager, tout ça.

L'entrain d'OXI-6 avait attiré l'attention de Scott qui s'orienta vers eux à nouveau. Il leur offrit un sourire indescriptible, ou presque car une description peut toujours se tenter : banane aux épinards. Les zygomatiques donnaient une forme d'une banane contente, mais dont la bouche – de Scott, pas de la banane, une banane n'a pas de bouche, duuuh – aurait été remplie d'épinards pas frais. Un sourire qui précédait un beau vomi, en somme. L'effet n'était pas voulu, car Scott ne souhaitait plus de mal à ses passagers. Il avait si peu l'habitude d'être chaleureux que la situation en devenait gênante. Inévitablement, les globetrotteurs craignirent pour leur vie.

— Oh merde, il va passer à l'action !
— Tous en formation, les gars ! OXI-6, tu sais quoi faire !
— Roger.
— Pour le futur ! s'époumona artificiellement Judge Dredd.

Cyclope fut surprit par le cri d'encouragement du juge de ville, si bien qu'il en sursauta. Il les entendait parler entre eux tout bas depuis plusieurs minutes, mais pas assez fort pour que ses oreilles encore 100% d'origine captât leurs dires. Loin de les blâmer parce qu'ils l'écartaient de leur groupe, il avait entreprit de détendre l'atmosphère – ou plutôt : la tropopause, puisqu'ils étaient dedans.

Ainsi donc, il leur avait souri. Revigoré par le fait d'avoir partagé des sentiments, il surveilla les instruments de bord avec une humeur qu'il connaissait rarement, surtout depuis que Jean Grey avait fui l'école. Alors quand le juge prononça son braillement, Scott l'accompagna quelques secondes plus tard :

— POUR LE FUTUR ! Vous allez leur montrer qui sont les patrons ! Je crois en vous, les mecs !

Sur ce, il appuya sur un bouton et une chanson emplit la cabine : A real hero, de College et Electric Youth. Peu de personnes avaient vu cette facette de Scott Summers ; Robocop, Judge Dredd, OXI-6 et Cordon de plage furent surpris à leur tour. Bientôt, une fois qu'ils comprirent que leur pilote ne se montrait pas hostile, ils s'en voulurent d'avoir pensé à mal de lui et d'avoir manqué de le brutaliser.

Ils volaient au-dessus de l'Atlantique. La musique synthwave les accompagnaient, à la fois mélancolique et entraînante. L'escouade fut galvanisée pour le combat à venir.





Kévin faisait défiler les photos du Nikon. Il s'accordait un répit solitaire sur un tas de détritus de l'entrepôt. L'entraînement se poursuivait, et outre la paire Jordan-Francky qui avait donné en fusionnant « Jordranky », les paires Luigi-Jordan et Francky-Luigi avaient respectivement produit « Luigordan » et « Franckuigi ». Kévin était le seul à ne pas avoir réussi. La conviction dans les encouragements de ses frères s'amenuisait à force. Pessimiste, il craignait que les trois s'exerçassent sans lui. Kévin savait qu'ils seraient capables de l'écarter s'il ne se montrait pas à la hauteur de leurs attentes, tout comme ils avaient évincé OXI-5 et OXI-6.

Être le dernier du groupe le contraignait à revoir son comportement et à prendre du recul sur ce qu'ils avaient accompli. Jusqu'ici, ils avaient répandu le chaos au gré de leurs envies. La domination, l'égoïsme et la possession caractérisaient leurs méfaits, car il n'y en avait pas eu de charitables. Cette perspective fit frémir Kévin.

Qu'étaient-ils devenus ? Était-ce leur responsabilité propre ou celle des scientifiques qui les avaient conçus et torturés ? Kévin réfléchissait, et plus il réfléchissait, plus le monstre qu'il était l'effrayait. OXI-5 et OXI-6 avaient eu une « enfance » identique à la leur, pourtant ils avaient conservé un bon fond. C'était même pour cela que le quatuor les avait abandonnés dans la forêt.
Une nouvelle photographie s'afficha. Il reconnut l'ancien propriétaire de l'appareil, celui-ci faisait semblant de dormir sous sa couette. Qui faisait encore des selfies avec un reflex en 2016 ?! Photo suivante. De nuit, l'homme au masque posait, victorieux. À ses pieds, trois hommes ensanglantés étaient étalés sur le bitume, tandis qu'en arrière plan, de grands néons affichaient un « Casino » rougeoyant. Une autre démontrait la profondeur d'une paire de narines poilues ; une autre, l'homme masqué recouvert de morve ; une autre, une plage, une blonde, un chien.

Kévin se sentit mal à l'aise. Le fruit de leur vol le propulsait dans l'intimité d'une personne qu'ils avaient eux-mêmes brutalisée. Pourtant, le voyeurisme auquel il s'abaissait lui procurait une once de réconfort, comme si au travers d'une tranche de vie banale figée, il pouvait s'extirper de sa condition. Une part de lui le souhaitait ardemment, mais jamais il n'aurait la force de perdre d'autres frères. Il n'avait pas le droit d'abandonner les trois premiers OXI à leur sort inhumain intranspal. Il estimait qu'en aucun cas son départ produirait un quelconque effet bénéfique. Ils n'allaient pas soudainement se rendre compte qu'ils étaient sur la mauvaise pente depuis trop longtemps. Non, il leur fallait un échec et une preuve d'amour. Une fourche sur laquelle ils se reposeraient.
OXI-4 éteignit précipitamment le Nikon ; un transpalette approchait.

— On va sortir faire un tour, tu viens ? invita Luigi.
— J'arrive. Vous voulez vous balader ?
— Un peu, dit malicieusement Luigi. On pourrait s'amuser aussi.

Kévin craignit le pire...

Ils filèrent sans plus tarder, l'avantage d'être des transpalettes et de ne pas avoir besoin de se faire coquet. Cinq minutes suffirent pour atteindre les abords du centre-ville. Ils se déplaçaient groupés, comme à leur habitude. Kévin redoutait ce que ses compères allaient imaginer cette fois pour se divertir.
Non sans avoir malmené maints passants, ils parvinrent à la place de la Résistance, icelle jouxtait la préfecture du département. Pivot du transport en commun quimpérois, la place accueillait des dizaines d'usagers et autant de véhicules sur le parking.

— Alors, mestranpals, des idées ? lança Jordan.
— Les grandes choses n'attendent que nous, répondit vaguement Francky. Moi je dis : on refait la voirie !
— Le préfet n'aura qu'à écarter ses rideaux pour contempler notre force, éructa Luigi.
— Vous êtes sûrs que vous voulez faire ça ? tâtonna Kévin. Je veux dire, avec nos capacités on pourrait faire mieux.
— Mieux que tout casser ? s'étonna Francky.
— Genre « tuer » ? proposa Luigi.
— Tu es audacieux, Kévin. Je vote pour ! déclama Jordan.
— Non, je..., protesta Kévin.
— Je vote pour également ! approuva Francky.
— Non, non ! Par « faire mieux » je voulais dire faire mieux en faisant différemment, en n'étant pas méchants.
— Des méchants ?! Nous sommes les méchants et eux sont les gentils, c'est ça ? s'indigna Jordan.
— Depuis quand tout est blanc ou noir ? poursuivit Francky sur le même ton.
— Je ne savais pas qu'il y avait une liste de gens biens et une autre de gens mauvais, dit Luigi, pince-sans-rire.
— Ton manichéisme est navrant, Kévin, lâcha Jordan. Les humains ne cessent de s'entre-tue
— Ils nous ont même créé et tourmenté ! s'excita Francky.
— Tous ne sont pas ainsi !
— Tu t'es ramolli, Kévin. Tu deviens comme 5 et 6, ou bien ? critiqua Luigi.
— Dis-toi que tu leur rends service. Ils filent tout droit vers un énorme problème de surpopulation, non ? ergota Jordan.
— On fait ça pour la planète, argumenta Francky.
— Pour la planète, héhé, ricana Luigi.
— Vous voulez faire ça par sadisme, oui.
— Hey, tu es avec nous ou contre nous, Kévin ! circonscrit Jordan.
— Qui est manichéen maintenant ?
— Ça n'en demeure pas moins vrai, Kévin, insista Francky.
— Mais si tu n'es pas heureux en notre compagnie, tu peux toujours t'en aller retrouver nos deux petits frérots faiblards, persifla Luigi.
— Oui, c'est drôle que des états d'âmes apparaissent alors que tu es le seul à ne pas avoir réussi à fusionner, présenta Jordan.
— Tu es notre frère, Kévin, nous sommes unis jusqu'au bout, amadoua Francky. Quoi qu'il advienne.
— Nous devons rester unis. Ne te détourne pas de la voie à cause d'un coup de mou passager.
— On continuera à s'entraîner jusqu'à ce que tu atteignes notre niveau, promit Luigi.

Ils firent mouche et ils le comprirent.

Kévin avait conscience que l'origine de ses doutes concordait avec sa place de lanterne rouge du quatuor. S'il trouvait son précédent comportement inacceptable, quand était-il de son nouveau, issu de son manque de prouesses ? Était-il un poltron ou jalousait-il ses trois grands-frères ? Avait-il réellement changé ? Le voulait-il ? La vie était plus simple avant : eux quatre contre le monde.
Non, il ne pouvait décidément pas supporter de perdre le restant de sa famille. Le transpalette se rangea derrière ses congénères. Bientôt, les automobiles bondirent dans les airs et retombèrent.

Les catapultages ne visaient rien en particulier. Quelques véhicules s'écrasèrent dans la cour de la préfecture, d'autres terminèrent leur vie dans l'Odet ; le reste recouvrit la route. La circulation, perturbée par les évènements soudains, se transforma en une entité cauchemardesque. Des piétons furent fauchés et les carambolages s’amoncelèrent. Des voitures volantes aplatirent des roulantes. Ce jour-là, carrosserie et os éprouvèrent leurs limites. Pneus et paires de chaussures prirent leur caoutchouc à leur cou. La scène était horrible, elle rappelait un attentat tant la peur avait envahi la place. Les cris, les pleurs, le sang ; c'était du terrorisme.

La population civile allait être touchée en profondeur par l'agression, qu'importait s'il n'était pas question d'un combat idéologique ou religieux. C'était affaire de sentiments, ce qui primait sur tout. Les transpalettes voulaient éprouver une domination totale et inspirer la crainte ; brusquer les gens ne suffisait plus, il fallait dorénavant devenir mémorable, notable, bien qu'aucune noblesse n'occupât leurs tristes gestes. Il y avait plus d'honneur dans la machette de Jason Voorhees. Les bonnes manières de vivre faisaient des gentlemen, les mauvaises de tuer engendraient des monstres.

Les transpalettes franchirent un cap. Las des meurtres indirects par Renault Clio interposée, ils prirent l'initiative de se rapprocher de leurs victimes. Ils allaient se charger d'eux à fourches nues. Seul Kévin n'osa pas pousser aussi loin le crime, il se contenta de réinventer son Kourou à lui. Allez, Peugeot, envole-toi !

Pour Kévin, les voix se turent et tout devint aveugle et sourd. Deux zigotos – chacun d'un sexe bien précis – en collants venaient de débarquer au milieu de ce qui pouvait être considéré comme une zone de guerre. « Ma Clito ! » ragea l'homme, de désespoir. Pour ne rien arranger, la Peugeot chut, par hasard, sur ladite Clio. Et hop, une crêpe de plus. Vous avez entendu ? Une crêpe, didiou, pas une de ces foutues galettes que les kaoc'h ki du de Breizh-Uhel refourguent aux parigots. Gardez-les vos fausses krampouezh sarrasin. Le froment, y a que ça de vrai.

L'affrontement se produisit. Les encagoulés étaient équipés d'armes de poing et de katanas dont ils alternaient l'utilisation. Ils cabriolaient en tout sens, tiraient quelques balles, rengainaient puis assénaient des coups de lame avant de s'écarter grâce à un saut. La souplesse et l'agilité dont ils faisaient montre rappelaient une danse. Mortelle et parfaitement coordonnée. Sous les assauts précis des nouveaux venus, les transpalettes furent momentanément déboussolés. Jamais encore ils n'avaient eu de tels rivaux. Pour l'instant leurs protections métalliques résistaient, mais il n'était pas agréable de se faire ruer de coups par des inconnus acrobates.

Les frères resserrèrent les rangs. Kévin ne partageait pas leur soif de sang, cependant, il se résolut à ne pas les abandonner à leur sort.

Les adversaires se firent face. À l'instar d'un western, le calme s'imposa. Le vent léchait les débuts d'incendie et balayait les Ewoks comme le vent balaye les feuilles mortes

— Les indécis sont avertis, qu'ils se méfient de la seule étoile qui se fond dans la nuit.

Bon, le silence ne dura pas finalement. L'homme masqué fanfaronnait vingt pas devant le quatuor. Kévin l'observa et le reconnut.

— Toi !
— Moi ! Rendez-moi mon Nikon, les connards.





La télévision parlait :

C'est la Saint-Valentin ? Dites-le comme si vouliez le pendre, l'écorcher et l'étaler sur les murs !
— Je suis un fonceur ! tonna Deadpool, assis tailleur, vingt centimètres devant l'écran.
Quoi ?
— JE SUIS UN FONCEUR !!! JE SUIS UN FONCEUR !!! JE SUIS UN FONCEUR !!! JE SUIS UN FONCEUR !!! braillait-il.

Il se redressa pour imiter Mark Walhberg, reproduisait sa gestuelle et sautait sur place. Lady Deapool l'observait, à la fois consternée et amusée.

— Il fait ça souvent ? demanda-t-elle.
Avant une grosse bagarre et après la messe.
— Parce qu'il va à la messe ? C'est nouveau...
Son truc c'est de surprendre un cureton en compagnie d'un enfant de chœur.
— Oh, ça marche ?
Bien sûr que non, jamais.
On n'est pas en Irlande.
— Je me disais aussi. Il en a pour longtemps, ça en devient gênant ?
Ça ne devrait plus tarder.
Et toi, tu fais quoi pour te détendre, Wanda ?
— J'accomplis des contrats. Je suis à fond dans le taf. Boulot-boulot, dodo, boulot-boulot.
Tu mens comme tu respires !
— Non, la voix ! TU TE TAIS !!
Elle adore...
— LALALALALA, ON N'ENTEND RIIIIEEEN !!! LALALALA !
… faire de l'urbex.
C'est plutôt cool comme loisir.
Tu fais souvent de l'urbex déguisée en fantôme de Pacman ?
Euh... non.
Voilà. Elle est persuadée de terrifier les photographes.
Vous avez un truc avec la photographie les Deadpool ?
Vous voulez nous en parler ?
Ou vous préférez le taire ?
— LALALA, allez vous faire foutre.
— Ouais, fermez-la, les clowns, intervint le Mercenaire Disert. J'ai une annonce à faire.
Je m'attends au pire.
C'est grave, docteur ?
Ding dong, c'est l'heure de rigoler.
— Je pense sérieusement à changer de pseudonyme.

Wanda s'étouffa presque en entendant la nouvelle. Quelle idée farfelue lui avait traversée l'esprit cette fois ? Intriguée, elle le poussa à en dire davantage :

— Développe, pour voir.

Deadpool prit une pose plus droite. Il joint les mains puis les écarta, paumes tournées vers son seul auditoire tangible.

— Black Mangueba, annonça-t-il simplement.
— Black Mangueba ? répéta Lady Deadpool.
— Black Mangueba, certifia son double masculin.
— Okay. Explique maintenant.
— Je te racontais dernièrement que je ne savais plus où j'en étais. Tous ces produits dérivés autour de moi et le toutim. Si je ne me sens plus moi, peut-être devrais-je me réinventer. Me rendre unique à nouveau, et je ne dis pas ça parce que tu m'offenses, Wanda. Au contraire.
— À la limite, on dit que je comprends. Pourquoi « Black Mangueba » ? Il est où le rapport ?
Kill Bill, le film de Tarantino. Dedans, les membres du groupe mené par Bill – le Détachement International des Vipères Assassines – ont tous un nom de code super stylé : Cottonmouth, Copperhead, California Moutain Snake, Sidewinder, Snake Charmer et enfin, Black Mamba. Je me suis dit : « Hey, Black Mamba ce serait swagg, mais ce serait aussi recopier éhontément le travail d'un honnête homme. J'aime bien ses œuvres ; rendons-lui hommage, plutôt que de le spolier ». C'est comme ça que j'en suis venu à « Black Mamba ». Ensuite, il me fallait le jeu de mots qui allait avec et vu que j'aime les mangues, c'est venu tout seul.
— Hinhin.
— Je ne te sens pas convaincue, Wanda.
— Je suis censée m'appeler « Lady Black Mangueba » à présent ?
— J'avais songé à « Booty Allen », dévoila Wade à l'aide de sa passe de mains.
— De mieux en mieux... Je te charcute maintenant ? Pendant ton sommeil ?
— Jamais ?
— Non, mon mignon. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase du sexisme. Je vais passer mes nerfs sur toi et peut-être que tu en tireras une leçon.
— J'imagine que tu ne seras pas non plus partante pour « Breastie Toy » alors... Dommage, on aurait pu faire un remix tonitruant de « Make Some Noise », j'avais mis des bières au frigo.

Elle allait mettre ses menaces à exécution quand le bruit de l'attaque des quatre transpalettes leur parvint. L'appartement qu'ils occupaient – oui, ils l'avaient aussi emprunté – était situé à moins de deux-cents mètres de la place de la Résistance. En se penchant par l'une des fenêtres du salon, il était possible de la voir. De nature curieuse, Black Mangueba et Lady Deadpool accoururent au double vitrage.

— En parlant de faire du bruit, ce ne serait pas nos cibles sur la place ? nota Wanda.
— Tu vois, je t'avais dit d'être patiente. Tout vient aux poings à qui sait attendre.
— Wouah, ils sont balèzes pour réussir à balancer des bagnoles aussi haut. On ne les soupçonnerait pas à première vue.
— Le combat n'en sera que meilleur, sourit celui qui fut Deadpool.
— Alors c'est décidé, tu t'appelles vraiment « Black Mangueba » à présent ?
— Ben ouais.


Black Mangueba vs. les transpalettes fous vs. Robocop et Judge Dredd


— Tu as des nouveaux buts dans la vie ? s'enquit la jeune femme immortelle.
— Non, non. Je conserve le même cap. J'ai juste changé de nom, quoi.
— Et au niveau de tes possessions matérielles, tu t'y sens attachées ?
— Ça dépend, faut voir. Tu entends quoi par... OH ! MERDE ! La voiture est garée sur le parking ! s'écria Wade.
— La voiture est effectivement garée sur le parking. Serait peut-être temps d'y aller, tu ne crois pas ?
— Si, si. Merde, la voiture.

Black Mangueba se précipita hors de l'appartement, mais avant cela, il se prit les pieds dans le tapis d'Empire Aubusson qui végétait là, percuta lourdement la porte d'entrée en chêne patiné, trébucha dans les vieux escaliers grinçants en bois et se cogna au porche du hall. Devant l'immeuble, Wanda poireautait.

— Comment tu as fait pour arriver la première ? Je suis à peu près sûr d'avoir fait la course en tête tout du long, s'étonna Black Mangueba.
— J'ai sauté par la fenêtre, gros crétin, lui apprit sa jumelle. Je te rappelle qu'on est super entraînés. Ce ne sont pas deux petits étages et un rez-de-chaussée qui vont me retenir.

Il s'en voulut de ne pas y avoir pensé. Wanda était plus intelligente que lui, c'était flagrant. Elle avait toujours de bonnes idées, plus fouillées et indubitablement plus matures. À côté d'elle, il passait pour un balourd. Certes, la moitié de l'attention qu'il lui portait était lié au sexe, mais ce n'était pas une raison pour qu'ils fussent d'une sagacité inégale. Il devait la tester pour en avoir le cœur net, sinon, il ne pourrait pas se battre l'esprit tranquille et les voix apaisées.

— Wanda, tu peux tirer sur mon doigt ?

Elle ne tenta pas de cacher sa suspicion à l'égard de la proposition.

— Si tu essayes de me le coincer quelque part où il ne faut pas, tu vas découvrir ce que ça fait d'être un salami coupé en rondelles !

Lady Deadpool saisit l’auriculaire tendu et l'attira vers elle. Wade péta. Il attendit sa réaction ; elle rit. Test réussi.

Ouf, rasséréné, pensa-t-il.
Tu connais ce mot là, toi ?
Oui, il est rigolo. C'est comme « pérégrination » ou « commémoration ».
Et sinon, la bagarre ?

Les doppelgängers s'élancèrent. En quelques mètres, ils s'engouffrèrent dans un autre monde. Il ne s'agissait plus d'une ambiance urbaine banale, mais d'effroi. Les gens, paniqués, couraient se mettre à l'abri ; les automobilistes, aussi chamboulés, s'efforçaient à quitter les lieux. Cependant, à force de collisions et de voitures-projectiles écrasées comblant les rues, les chauffeurs abandonnèrent le volant, ce qui était le mieux à faire.

Black Mangueba et Lady Deadpool atteignirent la lisière de l'œil du cyclone. Soudain, une Clio rencontra brutalement une 206. Wade craignit l'irréparable. Il s'approcha et reconnut les dés roses qu'il avait accrochés au rétroviseur, de même que le sapin-sent-bon.

— Ma Clito !

C'en était assez ! Le Nikon ne suffisait pas ; les quatre transpalettes s'échinaient à lui retirer les biens qu'il empruntait un par un. Bientôt, ils se dirigeraient vers l'appartement et qui sait ce qu'ils lui feront.

Wanda, quant à elle, s'amusait. Alors, oui, des innocents mourraient ; mais n'était-ce pas le propre des mortels après tout ?

Wade et elle allaient rendre la monnaie de leur pièce aux quatre raclures à roulettes. Vengeance accomplie, terminé, fermez le rideau. Ensuite elle avait des projets : jouer aux bowling avec des grenades, se murger la poire à l'eau de vie et chanter au karaoké, adopter un ragondin... La liste était longue et par souci d'exhaustivité et d'éthique, il convint de toute la citer : piloter un sous-marin nucléaire d'attaque en chantant Hugues Aufray (ou Renaud, au choix), passer son BAFA, regarder le Roi Lion (chez elle, dans sa dimension, c'était Mufasa le méchant), regarder Bambi (toujours chez elle, la mère de Bambi tuait le chasseur à l'aide d'une pierre, le rôtissait et le mangeait pour que cela serve de leçon), découvrir son horoscope de la semaine, danser la gigue, apprendre le cantonais, appeler les numéros de téléphone écrits sur les murs des toilettes, acheter de nouvelles clés mixtes, jouer à la balle, faire le poirier toute une journée pour voir si ses pieds deviendront bleus, et enfin, détruire tous les lecteurs MP3 qu'elle croisera.

Sans même un regard, ils amorcèrent leur formation de combat. Une telle synchronisation n'était pas seulement due à la gémellité qui les liait ; il est souvent accommodant de dédaigner ceux qui ont atteint le sommet de leur art, au lieu de plébisciter la rigueur avec laquelle ils se sont exercés. Même des mutants immortels devaient maîtriser leur corps à force de répétition. Chaque mouvement évoluait en réflexe, un geste qui assurait l'avantage sur son adversaire. Une arme vivante ne peut se permettre de réfléchir, elle exécute.

Le duo domina d'emblée le quatuor. Les transpalettes dispersés encaissaient les balles et les coups, sans toutefois parvenir à riposter. Ils étaient bien placés pour savoir que n'importe quel métal avait ses faiblesses, attendu qu'ils avaient éprouvé la résistance des parois de leur ancienne prison.

La meilleure défense qu'ils adoptèrent fut de se rassembler. La première passe avait été fulgurante, qu'allait donner la seconde ?

Black Mangueba lâcha une punchline, empruntée itou, et fit des gestes provocants, à l'instar de rappeurs gangsta.

— Toi ! s'écria un des transpallettes.
— Moi ! Rendez-moi mon Nikon, les connards ! répondit-il.

— Touche à ton cul, il est à nous ! établit Francky.
— Même pas vrai d'abord !
— Han, la répartie de bébé, se moqua Jordan.

L'ex-Deadpool fut blessé.

— Wanda, un coup de main de ta langue acérée ne serait pas de refus, pour une fois.
— On va vous faire bouffer vos fourches. Une par une. Lentement. Un bacchanale qui se poursuivra bien après l'engorgement, plus loin que l'écœurement. Ensuite, on plongera notre poing dans votre carcasse, pour extirper votre cœur à travers votre gorge. Puis, on enfoncera le tout au fond du fond de votre trou du cul ferreux, peut-être qu'il en sortira moins de merde par là.
— Je t'adore, murmura Black Mangueba.
— Je sais, lui chuchota Wanda.
— Qu'est-ce que tu dis de t'appeler « Red Gambas » ?
— Va te faire mettre !
— Okay, mais où est passée ma matraque ?

Si les transpalettes avaient été dotés d'yeux, ils se seraient écarquillés sous la colère et la surprise. Ils n'eurent toutefois pas à se consulter pour franchir l'étape supérieure, eux aussi avaient développé une tactique propre. Jordan et Francky s'éloignèrent. Le temps des cerises allait céder place à celui des pèches.

— Ils préparent quelque chose ! avertit Lady Deadpool.
— Attends... Ils se foncent dessus, non ?! Ils sont encore plus cons que nous !

En effet, les deux transpalettes se rapprochaient dangereusement. Black Mangueba grimaça et se couvrit les rétines.

— Je ne veux pas voir ça...
— Moi j'ai envie de pisser, informa Wanda, alors on plie l'histoire promptement que je me soulage.
— Ils n'ont toujours pas fini ?
— Nope. Ils sont moins véloces que ce qu'on serait en droit d'attendre.
— T'as le temps d'aller faire pipi derrière une voiture alors.
— Trop tard, ils vont se percuter.

Un éclair lumineux aveugla Wanda. Elle grogna de douleur car ses rétines s'en retrouvèrent quelque peu meurtries.

— Il y a eu un flash ! Hey, n'utilisez pas mon Nikon, vous allez tout dérégler ! protesta Wade.
— Que se passe-t-il, bon sang ? voulut savoir Red Gambas.
— Je ne sais pas, j'ai l'impression d'être anophtalme. Haha, je suis un coléoptère non-voyant, bzzzzz, bzzzzzz, bzzzzzz.
— Ouvre les mirettes, Wade ! ordonna Lady-D.
— Uniquement si tu emploies mon petit nom mignon.
— Grrrr. Ouvre les yeux, Black Mangueba !

Wade écarta ses doigts et contempla la scène.

— Il y en a deux qui sont partis et un nouveau transpal' est là.
— À l'endroit où les deux se seraient foncés dedans ?
— Ouaip.
— Ils ont dû fusionner.
— Haha, c'est pas possible, Wanda, prétendit le Mercenaire Disert sur un ton d'adolescent condescendant.
— Uh, je retrouve la vue, je crois. Vous avez fusionné ? demanda-t-elle aux transpalettes.
— Oui, je suis Jordranky.

Ce dernier n'épilogua pas plus et chargea les deux Pool. Le mitraillage reprit. Le gerbeur Jordranky se mut à une vitesse folle, il fut sur ses opposants en quelques secondes. Il leva haut ses fourches à près d'un mètre trente et désarma Wanda. D'une roulade sur le côté elle s'éloigna de lui. Les katanas vibrèrent à l'air libre.

— Occupe-toi des deux en retraits, je prends celui-ci, désigna-t-elle.

Il obtempéra de bonne grâce et courut vers le reste des ennemis. Il soliloqua en chemin :

— J'adore me battre. Peu de choses peuvent égaler les sentiments que j'éprouve en enfonçant mes lames dans le gras du bide d'un mec. Seuls Cyril Hanouna et un sandwich jambon-beurre atteignent ce summum. On m'apostrophait souvent : « Deadpool, comment tu fais pour être aussi beau ? ». Qu'est-ce qu'ils vont dire à présent, « Black Mangueba, comment tu fais pour être aussi goûtu ? Et moi de répondre que c'est mon exotisme naturel ? Est-ce que je devrais inverser les couleurs de mon costume ? Trop de noir ça ne risquerait pas d'être lugubre ? L'été je vais avoir chaud. « Red Gambas » c'était pas si mal, j'ai peur que Wanda le prenne mal si je lui propose d'échanger. Elle est tatillonne quand ça touche à sa féminité. Étrange, je ne suis pas chiant avec ma masculinité, alors pourquoi elle en fait un pataquès ? Elle est ma Diane ; je suis son Artémis. Un nom de divinité antique ça pourrait être pas mal. « L’Apollon aux flingues qui tire plus vite que son ombre des balles ». « Le Beau Gosse du Canada », c'est plus localisé mais ça permet d'assurer une fanbase fiable. J'y pense, en tant que membre du Commonwealth, Elizabeth II est ma reine. Mais je ne lui ai jamais prêté de serment d'allégeance ! Aïe, aïe. Je la comprendrais si elle m'en voulait. C'est con, j'adore son travail. J'aimerais bien être roi. Même si je sais qu'une couronne c'est plus lourd qu'on ne le croit et qu'il y a le poids des responsabilités à prendre en compte. Je suis quelqu'un de raisonnable. Oui, en plus, j'suis un homme du peuple. Je pourrais épouser Elizabeth et adopter son chien. Je retaperai son château et on se fera des bisous sous la couette. Elle a les pieds froids, Elizabeth ? Sûrement pas, elle doit avoir une armée de serviteurs prêts à les lui réchauffer. Oh, oh, oh ! Ils pourront me masser aussi. J'adore les massages. Surtout les thaïlandais. En parlant de thaï, j'ai faim. Ça creuse l'estomac de se battre. J'adore me battre. Peu de choses peuvent égaler les sentiments que j'éprouve en enfonçant mes lames dans l'estomac famélique d'un mec. Seuls David Haliday et Eragon côtoient le sommet.

Depuis plusieurs minutes, Black Mangueba courait partout sauf vers ses cibles. Elles mirent à profit le répit inespéré ; le dialogue, il n'y a que ça de vrai.

— Il faut qu'on fusionne, Kévin, intima Luigi.
— Je n'ai jamais réussi...
— Et ben c'est le lieu et l'heure ! Si tu veux rester notre frère, bouge ton boule !

Kévin se plia à sa volonté. La pression qu'il ressentait était horrible. Il lui semblait que ses sens s'en trouvaient perturbés. Son acuité visuelle s'était rétrécie, les sons étaient filtrés, ses mécanismes internes s'électrifiaient à un ampérage élevé. S'il avait été un être organique son souffle se serait accéléré et son myocarde se serait contracté à en rompre. Kévin n'étant pas soumis aux neurotransmetteurs, cette panique fut brève. Son cerveau assimila qu'il était lui-même la cause des perturbations sensorielles. Un voile noir d'une milliseconde, l'équivalent d'une nictation chez l'humain, rétablit l'ordre.

Il se doutait que ses congénères le mettraient au pied du mur tôt ou tard. Leur nature impatiente et vorace le voulait. Après tout, il avait été exactement pareil.
Kévin zieuta distraitement l'homme au masque. On eût dit un chien qui pourchassait sa queue, motivé par un but trivial. Enfantin.

Le transpalette se sépara de Luigi. Il expira vocalement, secoua ses fourches comme un athlète s'échauffait les épaules. Enfin, il fusa. Son destin lui étendaient les foënes. Un effort, un ultime effort.Il mugit involontairement au cours de sa lancée, cela lui donna de la conviction. De quoi réussir. Allez.
Allez ! Maintenant ou jamais !!

BAM.
Deux.
Éclair.
Un.
Gerbeur.
Kévigi.

Deadpool-Black Mangueba-Red Gambas-Apollon-Beau Gosse vida ses chargeurs sur Kévigi. La fusion avait eu le bénéfice de lui remémorer la situation. Il se déplaça de manière à pouvoir suivre la lutte entre Lady-D et Jordranky sans se faire surprendre par son propre antagoniste. Le duel de sa jumelle s'éternisait. Personne ne prenait le dessus, malgré la puissance des coups portés. Tantôt le gerbeur chancelait et sa tôle se cabossait, tantôt Wanda était propulsée au sol. Black Mangueba douta que son propre combat se déroulât autrement.

De son côté, Jordranky conclut qu'un long échange leur causerait préjudice.

— Kévigi ! On met les voiles !

D'abord irrité de ne pas se battre, le second gerbeur s'adoucit et agréa à surseoir la rixe. La police, ou une quelconque force spéciale, ne tarderait pas à débouler. Les complications s'amoncelleraient en un tournemain. Les gerbeurs se retirèrent, non sans avoir promis un match retour.

Les Pool furent côte à côte, salivant la suite.

— Snirf, snirf. C'est quoi cette odeur ? C'est toi, Wanda ?
— Je n'ai pas pu me retenir, reconnut Lady Deadpool, penaude.
— Je ne pensais pas ça de toi. Je croyais que t'étais une princesse ! Je t’idolâtrais.
— Je devrais mettre une couche pour le prochain combat ?
— Aucune idée. Peut-être. En tout cas, t'es la première à la douche, ça c'est certain.


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