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  • 49 sujets
  • 11 réponses

2 nov. 2015 - 20:02




Pour lancer un duel :


Moi, XXXX(nom du challenger)
Je défie XXXXX (nom du champion en titre).
Le trophée ZOLA doit me revenir.

Je le défie d'écrire un texte sur le thème XXXX
Il aura pour contrainte : XXXX
Nos textes devront être remis à l'arbitre avant le XX/XX/XXXX
S'il refuse mon défi, je deviendrai détenteur du trophée !!





Pour voter :


Il vous suffit d'indiquer dans votre réponse à quel texte va votre préférence.

Vous pouvez bien entendu développer votre vote et l'accompagner d'un commentaire pour mettre en valeur les qualités et défauts du texte au niveau stylistique, lexique, orthographique ou en fonction de son originalité, son respect des contraintes et du thème demandés.





Jusqu'ici les duels qui ont lieu pour le Trophée Zola ont vu s'opposer :



décembre 2008
Walkman vs Mido

victoire de Walkman


février 2009
Walkman vs Aeris Inalia

victoire de Walkman


juin 2009
Walkman vs Teysa le Sombre

victoire de Walkman


juillet 2009
Walkman vs Mickaël

4ème victoire consécutive de Walkman
Walkman entre au Panthéon



octobre 2009
Walkman vs dvb

victoire de dvb


janvier 2010
dvb vs Teclis

victoire de dvb


juillet 2012
dvb vs Teclis

victoire de dvb


février 2013
dvb vs Mike001

4ème victoire consécutive de dvb
dvb entre au Panthéon avec le Zola



octobre 2014
dvb vs Scarlet Hurricane vs Mike001

victoire de Scarlet Hurricane


septembre 2015
Scarlet Hurricane vs Nicolas

victoire de Nicolas


novembre 2015
Nicolas vs Scarlet Hurricane

victoire de Scarlet Hurricane


avril 2016
Scarlet Hurricane vs dvb vs U-raptor Folâtre

victoire de dvb


Compte utilisé par l'équipe pour poster des annonces et des règlements.
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Message posté le 12:43 - 2 juin 2016



L'impitoyable dvb, en tentant le casse du siècle, a défié la détentrice du trophée Zola : Scarlet Hurricane.
U-raptor Folâtre s'est donc permis de rejoindre l'aventure, désireux lui aussi de concourir sur chaque trophée.


Thème : Et vous, quel a été votre Playground Love ?

Contrainte : Votre texte devra s'inspirer de la citation suivante :
« Aucun miroir ne dit à une ado qu’elle est la plus belle. »

Philippe Azoury – août 2000, les Inrocks, The Virgin suicides – Etoiles mystérieuses

Si tu ne bites rien à ce sujet, essaie avec ça :







Avec 4 voix sur 8, dvb et son texte 1 remportent le trophée.



Kaleidoscope Eyes




Lux a toujours été la plus belle. À mes yeux. Elle avait ces manières délicates et inattendues que seul un regard attentif et épieur pouvait capter. Je passais des heures entières en cours à détailler ses chevilles fines, ses genoux pointus et ses épaules douces courbées au-dessus de ses cahiers. Ma moyenne n'a jamais été aussi basse durant toute ma scolarité, que lors de ces deux années qui marquent la frontière entre le collège et le lycée, puisque mon attention était entièrement tournée vers cette ensorcelante créature. Lux.

Non, ce n'était pas LA plus belle fille de l'établissement, ni même de la classe. Je suppose que d'autres entraient plus facilement dans les canons grossiers de ce que la télé et le cinéma nous apprenaient à considérer comme des beautés classiques.

Lux était un peu trop maigrichonne, ses tâches de rousseur et ses cheveux brun sombre bouclés en anglaises n'en faisaient pas une idole moderne. Pas plus que ses fesses plates, ses hanches encore étroites et sa poitrine menue. Elle avait les traits droits, mais enfantins de l'adolescente qui tarde à tourner la page sur son enfance alors que les autres resplendissaient déjà de la plénitude juvénile et passagère de la puberté.

Pourtant, il y a avait ce je-ne-sais-quoi dans ses yeux aux couleurs indéfinissables, qui transperçait l'apparente surface de la réalité, comme si elle pouvait percevoir à travers la vie elle-même, quelque chose de plus lointain que la vacuité confuse de la jeunesse dans laquelle pataugeaient tous ses camarades. Moi y compris.

Parfois, elle remarquait mes longues contemplations dans sa direction et elle m'observait en silence, sans gêne ni sourire. Nos regards se croisaient et se quittaient dès que je ne pouvais plus soutenir le sien. Je m'empourprais et faisais mine de replonger dans une attention factice à l'égard des monologues de nos professeurs ; mais je sentais toujours ses yeux rivés sur moi. Je m'imaginais alors qu'un espoir pouvait naître, que si Lux daignait m'accorder la moindre marque de sollicitude alors, peut-être...

Je n'osais même pas formuler une pensée rationnelle. Comment, moi, garçon transparent et insignifiant, pouvais-je envisager d'un jour marcher vers elle, pour lui demander de sortir avec moi. Je ne savais même pas ce qu'il se cachait derrière ce verbe si pressant : « sortir avec une fille ». Je supposais que des mains se cherchaient dans l'obscurité d'une salle de cinéma, que des lèvres se trouvaient après de longs moments de tendresse hésitante et que quelque chose d'immortel naissait dans le souffle ténu de promesses insondables.

Lorsque les autres garçons de la classe se vantaient d'être « sortis » avec des filles, dont la plupart nous étaient inconnues d'ailleurs, il était souvent question de salive, de langues et de doigts glissés sous les élastiques de leurs sous-vêtements.

Je me souviens encore du dégoût éprouvé lorsque mon aveuglement borné fût balayé par le cours de science de la vie : les humains ne faisaient pas l'amour ; ils copulaient comme n'importe quel autre mammifère. Le coït me fût brièvement révélé par des planches anatomiques en coupe et des gloussements de collégiens hilares qui singeaient frénétiquement le peu que la pornographie ordinaire avait pu leur apprendre du désir charnel.

Lux, l'œil torve, ne laissait aucune émotion transparaître à la vue de ces apprentissages théoriques et obscènes. Elle griffonnait sur ses pages, comme toujours, l'air absorbé par des rêveries que nul ne saurait déchiffrer.

Pendant des mois, j'avais créé de toute pièce un autel à ma dévotion, sur lequel j'avais déposé l'image sacrée et fantasmée de cette enfant. Durant les vacances d'hiver, j'avais dérobé dans l'armoire à pharmacie d'une tante parisienne, un flacon de parfum que j'entendais offrir à Lux pour la Saint Valentin de ses quinze ans. Bien entendu, la fiole demeura de longs jours dans mon cartable avant d'être fracassée avec une violence inouïe contre le mur d'un immeuble en ruine, sur le chemin de l'école. Je l'avais jetée de toutes mes forces pour la voir se briser en mille morceaux étincelants dans la lumière du soir. J'avais en même temps projeté toute la haine de mon intolérable timidité. Je me serai passé à tabac moi-même si j'avais pu, pour donner libre cours à la colère que je m'infligeais tout seul et qui naissait chaque soir dans le reflet du miroir de ma salle de bain.

Ce soir-là, une heure plus tôt, le dernier cours de la semaine avait été supprimé à cause de l'absence d'une enseignante. Nous avions tous alors une heure à tuer en cette fin d'après-midi printanière. Lux partit lentement vers un muret en face du lycée, non loin de l'arrêt de bus où elle attendait son car chaque soir. Elle avait pris l'habitude d'y fumer ses cigarettes à la menthe, les pieds plantés dans l'herbe racornie d'un square minuscule, le dos tourné à la rue et aux autres ados. Parfois, elle sortait un casque et écoutait de la musique sur son baladeur. Je ne savais même pas quels étaient ses goûts en la matière.

Je ne savais rien d'elle. Excepté que je l'aimais d'une vibrante intensité. Je l'admirais, je la désirais, je l'adulais. Sans jamais m'être posé la question de savoir pourquoi elle.

Je m'étais contenté de l'observer à travers un miroir sans teint, dissimulé par l'épaisseur invisible de ma peur. La trouille de me confronter à la réalité, de me découvrir capable de faire le premier pas, et sans doute, de quitter pour toujours mon enfance.

Ce soir-là, j'avais décidé que ça serait ma dernière occasion. Que si je ne me dirigeais pas vers elle, alors je n'en serais jamais digne, et donc qu'il faudrait renoncer à tous les rêves entêtants qui me hantaient depuis plus d'un an.

Je l'avais suivie, quelques pas derrière elle, depuis la salle de classe jusqu'à son muret. Et pendant les quelques minutes qu'avait duré ce trajet, je passais en revue ces derniers mois où j'avais tenté de m'approcher d'elle, de l'apprivoiser, de la mettre en confiance, pas à pas, mots après mots. Souvent, elle m'avait souri, parfois elle avait même ri à mes plaisanteries ou baissé les yeux lorsque j'osais un infime compliment. Je perdais presque tout le temps contenance lorsque je plongeais dans ses yeux.

Ce soir-là, adossée au muret, elle sortit une de ses cigarettes à la menthe dont je connaissais le parfum par cœur.

Je respirai une dernière fois avant le grand plongeon, essayant de m'accrocher au peu de courage qui me restait. J'enjambai le muret et vint me poster face à elle. Le soleil déclinant en profita pour passer sous la frondaison d'un pin et embrasa ses yeux. La couleur du soir venait d'allumer un incendie dans ses iris. J'avais l'impression de tomber dans les volutes infinies d'une galaxie qui s'étendaient au-delà des quelques centimètres nous séparant.

Des années plus tard, je n'ai gardé d'elle que le souvenir de ces iris.

J'ai depuis oublié les mots que j'avais pu bafouiller pour entamer la conversation ; elle les accueillit avec un sourire triste car elle se doutait des raisons de ma présence ce soir-là, dans ce parc minuscule. Je dus lui demander très maladroitement si elle...

Elle m'avoua avec regret qu'elle n'en pouvait plus de m'attendre. Elle sortait depuis deux semaines avec Trip Fontaine.

De toutes mes craintes, je n'avais pas envisagé la plus évidente. Qu'un autre garçon découvre sa réelle beauté et me la ravisse pour toujours.

Lux n'était pas la plus belle. Elle n'était pas non plus une sorte de déesse inaccessible. Elle était une ado comme les autres et elle disparut à tout jamais ce soir-là dans les bras d'un garçon quelconque. Un garçon qui avait le mérite d'exister et de pouvoir la tenir contre elle.

Ce soir-là, je précipitai un minable flacon de parfum contre la façade défraîchie d'un immeuble en ruine.

Plus tard, je me morfondis des heures face à mon reflet dans la salle de bain.

Je n'étais plus que le miroir fissuré de mes regrets.






U-raptor Folâtre se classe deuxième du fait des 3 voix qu'il a remportées. Il était le texte 3.

TEENAGE KICKS

Are teenage dreams so hard to beat
Everytime she walks down the street
Another girl in the neighbourhood
Wish she was mine, she looks so good

The Undertones, Teenage kicks



Pas sûr qu’elle m’ait vu quand je l’ai suivie dans l’allée de la maison hantée. L’allée de la maison hantée. Un truc de gosse qu’on s’amusait à se dire pour se foutre les jetons. Juste une vieille baraque envahie de ronces et de lierre, planquée derrière un énorme portail en pierre, genre hacienda mexicaine. Pas plus de fantômes que de zombies, comme certains disaient pour faire flipper les petits, ou se faire un peu peur à eux aussi, sans doute. Juste un truc abandonné, un terrain devenu sacrément vague, jonché de papiers de m&m’s, de paquets de chips vides et de canettes de coca ou de bière abandonnées là.


Je ne savais pas trop qui pouvait y jeter toute cette merde. Sans doute des mecs du collège, des troisième, des mecs qui séchaient les cours et venaient là pour traîner, se retrouver entre eux. J’imaginais, juste. Je ne les côtoyais pas au-delà de nos salles de cours. Ils s’appelaient entre eux par leurs noms de famille. Ils faisaient plus grands, plus adultes, plus intéressants aussi, plus mystérieux. Tu parles. Certains avaient même les cheveux longs, comme Kurt Cobain ou Axl Rose. Je me disais qu’ils devaient se taper des vraies filles. Il n’y avaient qu’eux qui baisaient au collège. Et encore.

Nous, on était encore des gamins, ils ne nous adressaient pas la parole. On n’avait même pas tous encore roulé nos premières pelles. Et on n’aurait de toute façon pas osé leur parler. Nous, on écoutait de la musique, c’est tout. Des trucs entendus à la radios, ou des groupes dont on avait pioché les noms dans des magazines. On achetait les CD avec l’argent offert par nos grands-parents pour nos anniversaires et on avait à nous tous quelques albums qu’on copiait et qu’on écoutait en boucle. Des classiques du rock surtout, les Doors, Led Zeppelin, Jimi Hendrix, et des trucs du moment, Nirvana, Pearl Jam, Alice in Chains.

Donc je suivais cette fille. Julie O’Neill. J’aimais bien son nom. Ça sonnait ciel du nord, îles lointaines, rochers et côtes découpées, rock britannique. Ici, on s’appelait tous Dumont ou Martin, en gros. Moi c’est Perrin. Mon pote Rémi, c’est Bardaud. Il y avait quelques noms portugais aussi, Da Costa, Ferreira, quelques Arabes (ma mère me disait de ne pas les fréquenter), et un Italien et sa sœur, qui s’appelaient Battaglia, mais leur mère était française. Voilà pour l’exotisme. Des Irlandais, avec l’accent et tout, c’était carrément un truc de cinéma. Ce qui était le plus dingue, pour moi, c’est qu’ils devaient comprendre immédiatement les paroles des chansons qu’on s’acharnait à essayer de retranscrire avec Rémi. On se passait les cassettes avec le doigt bloqué sur « rewind » pour tenter de reconnaître un mot vu en cours d’anglais, ou une expression entendue ailleurs et déjà validée. Evidemment, on n’arrivait à déchiffrer au mieux que la moitié des trucs, et nos textes étaient bourrés de trous et de suites de lettres qui ne ressemblaient que confusément à ce qu’on entendait.

J’aimais bien la regarder aussi. Je la trouvais belle. Sa rousseur, son teint clair, c’était l’IRA, c’était la révolte d’un peuple, c’était le Bloody Sunday. Je ne savais pas trop ce que ça pouvait représenter, ni trop bien quand tout ça s’était passé. Mais c’était magnifique et insaisissable. Noble et romantique.

Il y en avait qui se moquaient d’elle. A cause de ses cheveux, de ses tâches de rousseur. Débile. Bertrand Touron, et ses subalternes. Un vrai connard celui-là. Mais il rassemblait autour de lui toute une cour de prétendants à la popularité, qui essayaient de grimper dans l’échelle sociale du collège. Nous, on se disait qu’on les méprisait, ces gros cons brutaux et odieux, mais en même temps, on était dans les rangs des faibles. On se tenait prudemment à l’écart, pour s’abriter, pour qu’ils ne remarquent pas nos appareils dentaires disgracieux, ou nos jeans qui n’étaient ni des Levi’s, ni des Chevignon. Et c’était presque admirable de voir comment la méchanceté et la bêtise pouvaient agréger autant de zélés fidèles. Il avait toujours le bon mot pour faire pleurer les filles trop grosses ou à l’acné non traitée (ça passera, disaient leurs parents, c’est rien, c’est l’adolescence) et faire rire sa suite de fervents. Dans ceux-ci, j’en avais eu pour copains, en primaire. Mais là, le collège et son étiquette avaient balayé tout ça, et il était exigé de faire comme si (les choses étant trop ignominieuses) on ne s’en souvenait pas.

Elle, Julie, elle ne savait pas quoi répondre quand ils lançaient leurs meilleures piques, celles qui assureraient leur dominance sur la meute, les plus gratuites et les plus mauvaises. Pas la peine d’énumérer toute la merde débitée. Elle ne disait rien, mais je voyais ses joues devenir rouges et ses mâchoires se contracter. Elle devait ravaler ses larmes. Ses deux copines la prenaient par les épaules et l’entraînaient plus loin, apparemment vers les toilettes. Ces filles, pas les plus cool, il était entendu de faire comme si on ne connaissait pas leurs noms. Tu parles, c’était Sandrine Gourmon, qui était dans ma classe en CE2 et Mathilde Vergnaud, qui était assise à côté de moi pendant tout le CM2. Je les aimais bien, mais au collège, on a intérêt à appliquer toutes les nouvelles lois. Pas besoin d’une quelconque constitution, ou d’un protocole consigné dans le règlement de l’établissement. On les comprend vite ces putains de règles. Ouais.

Bref. Ca m’avait pris comme ça. A la fin du cours de maths, elle s’était penchée pour ranger ses affaires dans son sac, et j’en sais rien, mais un truc dans le mouvement qu’avaient fait ses cheveux, peut-être un rayon de soleil, peut-être, peut-être la couleur un peu rosée de ses mains qui faisaient glisser la fermeture éclair de sa trousse. Enfin bon, ce truc que je ne saurais pas bien expliquer m’avait ému. Je m’étais mis à bander comme un dingue. Ca nous arrivait tout le temps à cette époque. Pour un oui pour un non, on se mettait à bander. Mais là, il y avait quelque chose de plus puissant que d’habitude. Une émotion diffuse et impérieuse à la fois. Un mélange de sentimentalisme béat, de désir adolescent et une envie d’en faire quelque chose de tangible, de physique, de vrai en somme.

A cinq heures, au lieu de partir tout droit pour rentrer chez moi, j’avais tourné à gauche, pour lui emboîter le pas. J’étais à peine quelques mètres derrière elle. Je voyais son sac qui ballottait dans son dos et qui cognait contre ses fesses à chaque pas. Son cul replet d’Irlandaise, moulé dans son jean gris délavé. Je ne voyais que ça, et ses cheveux qui flamboyaient, qui ondulaient au-dessus de son Eastpack. Elle m’entendait marcher, sûrement. Mais elle ne se retournait pas. Sans doute préférait-elle ne pas savoir qui était derrière elle. Si ç’avait été Touron ou un de ses complices… Je sentais qu’elle pressait le pas.

Ca m’a fait drôle de voir que je pouvais lui faire peur. Ca m’a plu. Un truc de puissance, un truc jouissif, un truc qui disait que je possédais au moins son angoisse. Et qu’on partageait cet instant, rien qu’elle et moi. Julie O’Neill et Jean-Baptiste Perrin unis dans cet intervalle d’épouvante et d’excitation. Cœurs battants à l’unisson.

Au bout de dix minutes, on n’était pas loin de la maison hantée. On devinait les contours de la propriété, juste après un virage de la rue. Subitement, je l’ai vue qui s’enfilait dedans, à travers la haie, par un trou du grillage. Elle pensait sans doute qu’à cause du virage, son poursuivant ne saurait pas où elle était passée. Ou alors qu’il aurait la trouille d’entrer dans ce parc.

J’ai trouvé ça bizarre qu’elle connaisse cet truc du trou dans le grillage. Elle n’était pas là depuis longtemps. Et même moi, j’en avais juste entendu parler par Rémi quelques mois auparavant (il avait eu l’information par un mec qui jouait au badminton dans le même club que lui) mais jamais on n’avait eu les couilles d’emprunter ce passage secret. Enfin, secret… Tu parles.

J’ai traversé la haie à mon tour. La maison hantée ne me faisait plus rien du tout. J’étais poussé par cette espèce de fièvre, je sentais ma bite qui gonflait la fermeture de mon pantalon, c’en était presque douloureux. Je m’étais mis à marcher derrière elle dans l’allée. Je me planquais un peu, profitant de l’ombre des arbres, et de la profusion des feuillages. Ca sentait la mousse, l’humidité, une odeur de pluie de printemps et de végétation sauvage. A mesure qu’on avançait, ma tête tournait et mes oreilles bourdonnaient, envahies des cris des oiseaux, du bruissement de l’herbe, et des craquements des branches, qui s’accrochaient à mon blouson en jean.

Je me disait qu’elle ne pouvait pas ne pas m’entendre. Mais apparemment, ce n’était pas le cas, ou elle s’en foutait. Elle avançait droit vers la maison. Ses pas s’enfonçant dans la terre mouillée. A un moment, j’ai même cru l’entendre chantonner.

En m’approchant, j’ai entendu de la musique qui venait du rez-de-chaussée. Un truc pas connu. Pas connu de moi en tout cas. Ca m’a quand même un peu inquiété. Ou contrarié. Je n’avais pas envie que quelqu’un d’autre soit là. Je voulais être seul avec elle, dans ce petit paradis vénéneux, dans cette communion : nous deux, la nature, la terre, ses douces lèvres de rousse irlandaise, nos serments, notre amour. Tu parles. Quelles conneries.

Je l’ai laissée pénétrer dans la maison, par une porte-fenêtre aux vitres brisées. Je voulais rester caché un moment, histoire de calmer mon excitation. Pour lui parler en étant présentable, pas avec cette trique qui me déformait le fut’ et qui l’aurait sûrement offusquée. Je voulais lui dire tout, avec les mots qui sauraient la charmer, la conquérir (et qui sortiraient sans doute comme par magie de ma bouche – quel con…) lui montrer la profondeur de mes sentiments, lui promettre de la protéger contre ses ordures de la bande à Touron, et de la chérir comme une princesse d’Avalon, comme une dryade ruisselante, comme…

Je ne pouvais plus attendre, et j’ai fini par m’introduire à mon tour dans le bâtiment. On entendait toujours la musique, mais je voulais faire comme si ça ne comptait pas, ou comme si c’était juste la BO lancinante de notre future grande scène d’amour. J’ai fait quelques pas dans le vestibule crade, avec des déchets jonchant le sol, et des tags sur les murs. « La vie est une maladie sexuellement mortelle ».

J’ai continué d’avancer et je suis entré dans une grande pièce vide, avec deux matelas tachés par terre, une vieille table de jardin et des chaises dépareillées dans un coin. Une autre pièce s’ouvrait, en enfilade avec la première. C’est de là que provenait la musique. Je n’entendais rien d’autre. Je suis rentré. Le souffle un peu court, le pouls genre à 150, les mains moites.

Julie était là. De dos. A genoux devant un des grands mecs de troisième, affalé sur un canapé éventré, le jean sur les chevilles. Je n’ai pas tout de suite tout compris. Je regardais le lecteur CD qui crachait dans un coin des basses assourdissantes. Et puis le mec s’est adressé à moi : Amène-moi une Kro. Dans le carton, là-bas, dans le coin. Si tu le fais, t’en auras une. On partage tout ici. J’ai regardé dans la direction qu’il m’indiquait, et c’est là que j’ai vu un autre type, qui comatait sur une chaise. Le type m’a fait un clin d’œil. Julie s’est alors tournée vers moi. Elle a souri à moitié et a juste dit : ben quoi, je passerai pas l’année à raser les murs comme toi. File-moi une bière, j’ai soif.






Scarlet Hurricane, précédent détenteur du trophée, termine troisième, avec 1 voix.


Dimanche, dix heures du matin.

Le soleil s'impose graduellement à travers les anciennes persiennes, et Clémentine peut voir les grains de poussière voler en étoiles parmi les rayons. L'air est lourd, presque palpable. Un vrai dimanche de septembre. Avachie sur le dessus-de-lit, elle parcourt un magazine sans y penser. Célébrité. Recette. Recette. Publicité. Célébrité. Rien de très passionnant. La jeune fille tapote machinalement son ventre un peu rebondi. Ses yeux gris sont perdus dans le vide, et ses mèches blondes sont toutes emmêlées. Voilà des mois qu'elle ne fait plus attention à son apparence, elle qui autrefois ne sortait jamais de la maison familiale sans au moins un voile de blush.

Clémentine se retourne pour éviter la lumière. Depuis quelques temps, elle a perdu de sa vivacité. Ses parents ne savent plus quoi faire pour la remettre d'aplomb. Tout a commencé une semaine avant le bal de promo. La jeune fille, plutôt jolie selon les standards des environs, n'avait eu aucun mal à ensorceler tous les galants avant que ceux-ci se dirigent vers les autres étudiantes. De mémoire de lycéen, on n'avait jamais vu ça. Le pallier de sa maison coloniale croulait sous les fleurs, paniers de fruits et autres gourmandises. Clémentine ne pouvait plus faire un pas dans les couloirs sans tomber sur des gamins fous amoureux, se déclarant tous de manière plus grandiloquente les uns que les autres. En bonne reine de la fête, la nymphe adolescente se réjouissait de ces attentions, et choisit d'en profiter le plus longtemps possible. Et puis sa proie favorite manquait à l'appel : Thomas Gordon.

Thomas Gordon n'était ni capitaine de l'équipe de football, ni champion d'échecs, ni président du Conseil des élèves. Mais ses yeux sombres et langoureux, son air mystérieux et sa nouveauté faisaient de lui la cible privilégiée de ces dames. Thomas avait emménagé dans le quartier deux mois plus tôt, et depuis ce jour n'avait pas vraiment adressé la parole à qui que ce soit. Mais les rumeurs sur lui allaient bon train : Il vivait avec ses grand-parents parce que sa mère était morte et son père avait fui. Il jouait de la guitare pour les passants mais refusait toujours la moindre pièce de monnaie en échange. Il mangeait seul tous les midis, assis sur une des tables de pique-nique au fond de la cour où personne n'osait le rejoindre. Il était plus vieux que tout le monde car il avait dû abandonner le lycée pendant quelques années afin de subvenir aux besoins de sa mère à la fin de sa vie. Bref, il était frais, il était différent, et Clémentine n'allait en faire qu'une bouchée.

Deux jours avant la soirée, Clémentine prit une décision. Si Thomas ne venait pas lui demander de l'accompagner, elle le ferait elle-même. C'est pourquoi ce midi-là, elle posa son plateau sur la table de pique-nique au fond de la cour. Thomas y était déjà. Elle lui posa la question, il accepta de passer la prendre le vendredi soir dans son pick-up, et elle retourna à ses amies. L'affaire n'avait duré que quelques minutes.

Le vendredi soir, Thomas était là à 6h tapantes, garé de l'autre côté de la rue. Il avait refusé de sonner à la porte, évitant ainsi le rituel dégradant de la présentation à la famille, et Clémentine n'en avait que faire. Il était pour elle, après tout, et pas pour ses parents. Elle coupa donc court aux plaintes de ses géniteurs et sortit le rejoindre, magnifique dans sa robe de soirée gris argent. Une fois dans la voiture, Thomas l'embrassa. Elle fut intoxiquée. C'était meilleur que tout ce qu'elle avait pu vivre auparavant – ses lèvres, sa langue, son goût, son odeur... Clémentine perdit la tête, et ce qui devait arriver arriva. Après quinze minutes de maladresse et de taffetas volant partout, le couple se dirigea vers la salle des fêtes où Clémentine fut élue Prom Queen. C'était définitivement la meilleure soirée de sa vie.

Le lendemain, elle patienta toute la journée pour le coup de téléphone de Thomas. Le surlendemain également. Elle le chercha au lycée. Elle l'attendit sur la table de pique-nique au fond de la cour. Mais rien. Pas une nouvelle, pas une lettre, rien. Thomas s'était volatilisé.

C'est un mois plus tard que les vrais problèmes apparurent. Clémentine commença à vomir – elle était enceinte. Incapable d'accepter les faits, elle s'enferma dans sa chambre et décida de ne parler à personne. Ni ses parents, qui ne comprendraient pas, ni sa meilleure amie, qui la jugerait et se dépêcherait de prendre sa place en haut de la hiérarchie du lycée, ni sa grande sœur, qui avait quitté le foyer familial deux ans auparavant. Clémentine était seule, avec personne vers qui se tourner.
Elle passa les deux mois d'été cloîtrée ainsi, sans voir qui que ce soit, ne quittant la sécurité de son cocon que pour les repas, cachant son ventre qui commençait à se manifester du mieux qu'elle pouvait.

Et puis... Les cours reprirent. Et de grande prêtresse de la popularité, Clémentine passa du jour au lendemain à grande anonyme. Plus de clique, plus d'admirateurs, plus d'activités. Nul ne connaissait son secret pour l'instant, et elle préférait que cela reste ainsi. Les cachotteries sont plus simples quand personne ne tente de les percer à jour. Mais ça ne pouvait plus durer.


Dimanche matin, dix heures du matin.
Clémentine a pris sa décision. Sortant de sa chambre sur la pointe des pieds, elle se dirige vers l'atelier de sa mère. A cette heure-ci, elle n'y trouvera personne, ses parents préférant traînasser au lit le week-end. Dans le panier à côté du sofa, elle attrape une paire d'aiguilles à tricoter.
Toujours sans faire un bruit, elle entra dans la salle de bain.

Dimanche, dix heures trente du matin.
Hurlements.

Silence.


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