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Witty Roy Jones

Je n'ai choisi ni le titre ni l'histoire

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23 mai 2016 - 13:10

Travaux en cours



Il faisait frais comme un parpaing de Noël ce jeudi matin quand quand Albert Donaldson émergea de son lit. Considérant l’inconfort de rester en tenue de nuit dans de telles conditions, il se dirigea derechef vers la salle de bain attenante à sa chambre.
Au terme d’une douche qui laissa sa peau écarlate, emprunt des senteurs de bitume du savon que sa femme choisissait avec tant de goût, il se dirigea vers la vasque et le miroir la surplombant.

Il fit une pause, hypnotisé par l’acier Sheffield Silver de son rasoir droit. En cet instant, pomponné, au chaud et reposé, il se laissa aller au simple contentement.

Puis, alors qu’il reprenait le cours de ses pensées, ses yeux s’attardèrent sur le rasoir. C’était un fameux rasoir, une de ces vieilleries familiales, que l’on se transmet de père en fils.
L’histoire de ce « Rodgers » remontait, paraît il à 1820, une époque friande de véritables hachoirs de plus d’un pouce de large que l’on appelait les Magnum Bonum : plus c’est gros, plus c’est bon.
L’époque de Sweeney Todd en sorte.

Une fois rasé de près, séché et coiffé, il se dirigea vers la fenêtre pour laisser entrer les plus vivaces des premiers rayons de soleil. Attirée par ceux-ci qui tombaient en pluie molle dans les flaques de la baignoire, une tenue de jour pointa le bout d’une manche inquisitrice par une embrasure de porte, dont profita la tenue de nuit pour s’enfuir, paniquée.

Albert songea à quel point le paysage à travers la vitre était magique. Athènes avait toujours été une ville très magique elle-même, en fait, raison pour laquelle elle a vu naître les plus grands rationalistes.
Pour l’heure, les collines entamaient leur douce houle tectonique afin que le soleil illumine toujours les temples de la bonne façon, et que le thym, les pins, et la lavande soient correctement secoués.
Les collines étaient démocrates (surtout la Pnyx) : elles avaient rapidement compris l’importance du tourisme.
Cela remplissait de joie le cœur de ce brave homme.

Une voiture klaxonna, le rappelant vers la ville, et il discerna une forme évoluant sur le long zig-zag du trottoir en contrebas. À mesure qu’elle s’avançait, il put constater avec agacement qu’il s’agissait de Roy Jones.

Roy était un « reputation broker », un de ces nouveaux jeunes requins qui faisaient dans le trafic légal de popularité. Athènes était un marché juteux pour la réputation, car on y trouvait beaucoup de descendants d’Aristote, reconnu par l’Église, de Platon, reconnu par les scientifiques, et de Diogène, reconnu dans la rue.
Ces gens-là pouvaient vous arracher un « Like » ou un « RT » de valeur pour une bouchée de pain en usant de charme, de duplicité, ou simplement de force brute.

Comme tous ses confrères, Jones était un gorille tiré à quatre épingles. Tout chez lui, en dehors de la géométrie parallélépipédique de son corps, était millimétré, calibré pour le « zéro risque d’image ».
Et ses mains… Des mains parfaites, exquises, aux doigts longilignes prolongés d’ongles parfaitement manucurés.

Par moquerie, on appelait parfois les traiteurs d’intérêts (qui ne pratiquent pas, rappelons le, par convention, le trafic d’influence) les « bichonnés » pour se moquer d’eux, en référence aux mangas pour jeunes demoiselles.
Ou, terme tout aussi moqueur, les Übersexumensch.

Présentement, dans le miroir, Albert n’était qu’un « pomponné » et il se sentit fragile. Il étudia son reflet de pied en cap, usant à cet effet d’une cape de noblesse et d’un Pied du Roy.
Celui-ci était naturellement un bonhomme et aimable, comme un Père Noël de publicité. Des années de « Data Journalisme » l’avaient cependant rendu amer, comme, donc, un Père Noël, mais un Père Noël en cacao couperosé de Brandy.

Et ses mains… Mais quelle honte… Des années à taper dans diverses configurations de claviers inadaptés, comme le KSERTÖ les avaient transformées, à coups de syndromes du canal carpien, méta-carpien, tarsien, meta-tarsien, et panaméen.
Avec le temps, ses doigts étaient devenus pointus, pour mieux s’accrocher aux touches de claviers toujours plus chargés et plus petits.

Donaldson congédia son reflet, qui était, en ce jeudi matin, franchement de mauvais goût. Il était mieux que ça, après tout, il était journaliste ! Data Journaliste !
Un de ses graphiques bien sentis avait même sauvé un bébé mourant !
Mais même le plus héroïque des journalistes, eût-il sauvé un bébé mourant, n’était pas prêt à ce que Roy lui préparait sans doute.
Le soleil, conscient de l’orage à venir, se voila timidement derrière quelques nuages informatiques, et en réponse à la situation, délégua la crise à la pluie, comme tout bon manager. Cela n’augurait rien de bon.

Albert se précipita vers le vestibule d’entrée, et sa main droite fusa vers le crochet qui gardait jalousement ses clefs, signifiant que leur obtention n’était pas ouverte à négociation.
À sa grande surprise, il vit son bras prolongé par le rasoir, qu’il avait machinalement attrapé.
Bouleversé, il le glissa rapidement dans sa poche, avant de s’engager dans l’escalier et vers la sortie de son immeuble.

Alors que la lourde porte cochère claquait derrière lui sur le rythme du boléro, le journaliste pu apercevoir la lueur gourmande dans l’oeil de Roy qui s’approchait

— Écoute, Albert, grogna Roy en le tançant vertement du regard ainsi que le font les vieilles renardes, ce n’est pas que je ne t’aime pas, mais tu dois me fournir ces followers Twitter maintenant. La deadline est passée de 10 jours et tu es déjà à 6317 euros dans le rouge.

L’Übersexumensch secoua ensuite la tête en haussant les épaules.

— C’est mon argent, tu sais, les traités commerciaux internationaux m’autorisent à te le réclamer.

Albert se sentit acculé. Il jeta furtivement un regard en arrière vers la porte cochère, maintenant trop loin car trop effrayée. Il n’y arriverait jamais à temps.
Dans sa poche, ses doigts trouvèrent à nouveau le rasoir. Cela suffit à lui donner un semblant de courage absurde, comme le café aide à croire que la journée sera productive.

Il répondit, froidement :
— Roy, tu me crois vraiment né de la dernière pluie. J’ai personnellement bu une bière avec Maître Eolas un jour, je connais mes droits ! Recule !

Un éclair passant par là jugea suffisamment dramatique d’éclairer parfaitement le rasoir quand il sortit de la poche du journaliste. (*)

Les deux hommes se jaugèrent mutuellement quelques minutes comme deux gentilles et grandes gerbilles papotant sous la pluie battante. Cette fameuse pluie battante d’Athènes qui en avait fait une grande nation militaire d’individus endurcis car roués à chaque averses.
Cette pluie qui battait à l’instant un rythme jazz funéraire endiablé d’Uncle Tom & Uncle James, avec au rôle de la basse les rigoles métalliques.

L’ambiance était Junk/Jazz, emplie d’odeurs de béton mouillé et de rouille en suspension.
Elle avait un goût de laiton, ce laiton classe de speakeasy haut de gamme, pas le laiton administratif qui gardait un goût de tabac bas de gamme.

Le journaliste regarda les mains du requin en face de lui. Absolument superbes, magnifiquement entretenus, tellement… Artificielles !
Ses épaules se relâchèrent alors, et il gloussa un brin, à mi-chemin entre la pintade et le coq de bruyère.

— Mon cher Roy, tu t’arrêtes finalement toujours aux apparences ! Toi qui n’utilises que des moyens artificiels, jetables, tu ne sais pas qu’un tel rasoir peut pomponner un homme.

Puis il prit une grande inspiration, et relâcha ses muscles en même temps que l’air, qui émit un « ouf » de soulagement.

— Je me suis déclaré en banqueroute. Tu sais bien que c’est ce que nous faisons, ici. Tes followers vont être rachetés pour une bouchée de pain par un fond de pension chinois. Je t’encourage à négocier avec eux, mais tu sais bien que tu n’auras jamais ton argent.

Le broker recula d’un pas, choqué. L’éclair fut ultérieurement entendu sur les faits et plaida non coupable.

— N… Non ! Tu ne peux pas avoir fait ça, objecta-t-il, tu mens !
— Non je ne mens pas ! rétorqua Albert, alors maintenant tu prends tes parfaites mains de midinet et tu vas me foutre le camp d’ici avant que je ne trouve un autre usage que ma virile beauté à cette énorme lame !

Roy parut inquiet, et se réfugia derrière ce qui lui paraissait être tout son pouvoir : son portefeuille. Portefeuille dans les yeux d’Albert, à cet instant, comparable à une grande épée de verre.
Mais comme une grande épée de verre ne pouvait pas tenir entièrement dans les yeux d’un data journaliste, celle-ci finit par tomber.

Alors qu’il se frottait les paupières à cause de l’irritation, le sauveur d’enfant (au singulier), entendit effectivement le portefeuille de Roy se briser en 6317 morceaux.
S’ensuivirent les pas du broker finaud telles des claquettes sur le bitume, sur le rythme endiablé d’un Blue Rondo à la Turque effréné mené par l’averse.

Arrivé enfin dans son salon, groggy, Albert se posa dans lourdement dans un fauteuil de passage. Un coussin, étouffé par son poids, se faufila de derrière son dos pour bondir sur le sol, cracha en sa direction, et partit s’affaler sur un divan.

« Au diable la couperose et la goutte, » se dit Albert, « j’ai besoin d’un remontant, et un verre de Brandy ne suffira pas ce soir ».

(*) Si nos protagonistes avaient prêté attention à ce moment-là, le conflit aurait pu être réglé avec profit mutuel.
En effet, un touriste Japonais, Hayagumi Tarou, présent sur la scène, immortalisa l’instant sur Instagram et la photo fut partagée 6317 millions de fois, et des poussières. Une manne qui resta malheureusement inexploitée alors qu’elle aurait pu rendre les trois hommes richissimes.


J'ai énormément d'admiration pour les écrivains qui respectent scrupuleusement leur langue, et autant de mépris pour les poètes qui font de même -
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Message posté le 19:09 - 26 mai 2016

Oui, hein, c'est pas la même chose...

En fait, je n'ai peut être pas assez poussé le délire Pratchett, justement. Sur le disque monde de Pratchett, la houle tectonique ou la lumière mole, c'est "acquis" presque.
Il faudrait mettre plus de magie.

Et ça, ça se tente, j'ai failli le faire. D'autres l'ont fait en fait (l'arc du petit peuple avec Arthur amnésique et punk, dans Hellblazer en est témoin).
Un petit délire genre "les humains peuvent pas voir", et tout devient possible.

L'absence de fantasmagorie, présentement, c'est un choix.
Idéalement, j'aimerais avoir un premier texte d'introduction "poussé" hors de cette section, et ce compromis n'est pas si mal.
L'important, souvent, c'est d'être lu.

Au demeurant, j'aimerais rester dans les limites de ce que j'avais proposé initialement :
- Exercice de style
- Pas de claquage, je débarque :)

Merci de ton retour hyper constructif, j'y réfléchis, ça pourrait s'intégrer en dépit de mes dénégations actuelles.


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