Un discours
Texte proposé pour faire suite à quinze millions de Mike001
Travaux en cours
Elle s'était installée sur l'estrade, nimbée de lumières bleu et vert pâle apaisantes. La salle d'enregistrement holographique ne laissait rien filtrer du fourmillement extérieur des dizaines de techniciens affairés aux préparatifs de la diffusion. Juris Prozumen dominait le plateau avec l'aisance de ceux accoutumés à l'art de la communication et pour le moment son allure indiquait clairement qu'elle réaffirmait sa position de gouverneure planétaire. Le jingle d'ouverture de la transmission se fit entendre et un discret compte à rebours s'enclencha en retrait pour qu'elle le vit. Juris tourna la tête avec grâce vers la focale d'enregistrement en parfaite synchronisation avec le décompte, elle adressa un regard grave et déterminé au peuple qui maintenant n'avait d'yeux que pour elle.
« Chères résidentes et résidents de Melnesis, braves et fiers colons, vous êtes ce que le Wilmar a produit de mieux de toute sa culture. Vous avez la pugnacité et le sens du devoir qui convient à des pionniers tels que vous. La tâche qui vous a été confiée est colossale. Depuis seulement cinq années standard nous travaillons tous ensemble à poursuivre l’œuvre qui nous incombe : donner à l'Humanité un foyer de plus pour assurer sa survie et sa prospérité. Cinq années qui nous auront coûtés beaucoup. En tant que gouverneure, je tiens à remercier chacun d'entre vous pour le don de soi accompli, pour cette énergie que vous insufflez à chaque moment dans cet immense défi qui est le nôtre. En tant que citoyenne, je suis honorée d'être entourée de gens aussi vaillants et forts que vous.
Car cette planète n'est ni paisible ni accueillante. Nous avons dû faire de lourds sacrifices pour nous établir et nous assurer de transformer cette colonie... en foyer. Que ce soient les chaleurs extérieures, le manque de place ou d'air respirable, les difficultés que nous rencontrons chaque jour s'avèrent parfois écrasantes, les obstacles à surmonter sont innombrables et nous avons tous perdu des êtres chers afin que nous puissions vivre ici.
Cette tâche n'est pas achevée et peut-être ne le sera-t-elle pas de notre vivant. Demain, les équipes de forage poursuivront leur œuvre périlleux, demain, les architectes, les constructeurs et les ingénieurs de confort travailleront dur ; demain, les cultivateurs et les éleveurs seront à la besogne ; demain, les missions éducatives formeront les générations à venir ; demain, toute la colonie sera focalisée sur l'ouvrage que nous avons à accomplir. C'est demain notre objectif, le futur, notre avenir ici, sur Melnesis. »
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Les alarmes retentirent dans l'habitacle et l'éclairage se coupa pour laisser place aux lumières rouges et crues caractéristiques de l'état d'alerte. Le son lancinant s'accordait avec les gyrophares d'urgence déployés dans chaque coursive du complexe. Censeis se leva d'un bond de son fauteuil et contourna son bureau, empressée, quand une violente secousse la jeta à demi au sol pour une brève seconde. Elle reprit sa course en franchissant la porte avec fracas alors que le battant heurtait le mur. Les couloirs s'étaient emplis de poussière voletant dans l'air et le bruit de la ventilation se fit entendre, sourd et prégnant. S'adressant à son brassard numérique, elle cria pour demander un rapport de situation et s'arrêta à peine pour lire ce qui s'affichait sur l'écran holographique. Tout en grimpant à une échelle métallique elle appela :
« Torsen, fermez immédiatement la section 7, je veux un sas en place dans cinq minutes, on se rejoint coursive 56, en combinaison ! »
Ses ordres ne souffraient aucune contradiction et seul un « À vos ordres » chuinta en réponse.
Il fallut dégager les décombres de la section 7 toute la journée pour pouvoir colmater la brèche produite par l'explosion. Des vingt-trois travailleurs se trouvant là, six étaient mort et plus de la moitié des survivants présentaient un état critique, hospitalisés d'urgence. La secousse avait par ailleurs désactivé l'approvisionnement en air des coursives 4 et 5, asphyxiant une demi-douzaine de colons supplémentaires. Les protocoles de sécurité avaient été respectés à la lettre et il n'y aurait pas de pertes humaines supplémentaires à déplorer. La roche forée par l'équipe d'expansion avait été ébréchée sur toute la longueur de son large bloc et l'appel d'air avait happé le contenu d'une poche de gaz pourtant située à plusieurs centaines de mètres de là. Malgré les précautions de forage, l'utilisation de pointes à tête froide et la consolidation systématique, certains événements ne pouvaient être anticipés.
Censeis Prozœciste pu retourner à son bureau en début de nuit, elle s'affala dans le fauteuil face à son écran noir. Elle se sentit aussi éteinte que lui. Pivotant sur son assise, elle se servit un takhi bouillant depuis le distributeur mural, le portant fébrilement à ses lèvres, son goût puissant lui fit du bien. En l'espace de seulement dix jours, elle avait dû dresser six bilans de sinistres aussi se sentait-elle durement éprouvée par le poids des chiffres morbides. De sombres pensées la tourmentaient et son esprit broyait littéralement du noir. Ce fut ce moment que choisit Torsen pour faire son apparition.
La cheffe d'expansion Torsen était une femme trapue et courtaude dont seule la force de caractère atteignait des sommets. Censeis l'avait nommée à ce poste à l'arrivée sur Melnesis, cinq ans plus tôt. Elle ne rechignait à aucune tâche, même les plus ingrates, organisant les équipes avec une fermeté presque militaire. Elle ne s'épanchait jamais de ses sentiments. Toutefois, Torsen avait à cœur le bien être de ses agents et les accidents répétés qu'ils subissaient la rendaient irritable.
« Censeis, quand est-ce que nous allons avoir ces foutus renforts ? Tu es la superviseure bordel, fais quelque chose ! »
Reposant son gobelet sur le bureau, Censeis ne prit pas la peine de répondre. Répondre quoi, d'ailleurs ? La hargne de sa subordonnée n'était pas du tout dirigée contre elle, elle le savait bien. La petite femme déglutit difficilement, reprenant un soupçon de calme avant d'aller se planter derrière le fauteuil tandis que Censeis allumait l'ordinateur pour commencer la rédaction du septième bilan pour la dernière décade. Même assise, elle la dominait presque en taille et ses cheveux blonds, quoique présentement sales, regroupés en un chignon serré à l'arrière du crâne renforçaient ses traits tirés et fatigués. Son rapport se borna à l'énumération des pertes humaines et matérielles, ainsi que de l'expertise technique spontanée. Elle fit tout de même un rappel des besoins qu'avait son noyau de colonie pour continuer son travail d'expansion. Elle soupira en l'envoyant.
Torsen dans son dos lui tapota l'épaule.
« Va dormir, je m'occupe d'organiser l'équipe de demain. »
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« Face aux périls qui s'opposent à nous, il devient primordial de trouver la force de poursuivre notre travail. L'Humanité qui nous caractérise mérite que nous nous accrochions ; maintenant que le Wilmar est loin dans l'espace, loin de nous, notre Humanité est notre bien le plus précieux et la valeur suprême qu'il nous faut protéger. Si la douleur que nous rencontrons chaque jour peine notre cœur, les Melnesiens doivent la surmonter et se tourner vers ce que nous offre l'avenir. Si la perte d'êtres chers crée un manque, une absence en nous, les Melnesiens doivent trouver le réconfort dans l’œuvre accomplie. Si le doute nous étreint et sape notre confiance, les Melnesiens doivent se rappeler de ne jamais céder au désespoir.
Car le désespoir nous détournera de notre Humanité et ne nous apportera que chagrin et perversion. Le peuple de Melnésis est au-dessus de cela, il ne cherchera ni ne trouvera d'autre voie que celle de travailler pour l'Humain, quoi que les éléments lui opposent. L'aliénation qui s'est emparée de certains membres de notre communauté est une errance qui servira encore longtemps d'exemple de la limite à ne jamais franchir.
Notre espèce évolue et évoluera, mais seulement par la puissance de son esprit. C'est le progrès qui doit guider ce changement. Toujours en respect de ce que nous sommes et non en tentant de modifier l'Humain. »
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Elle essuya de sa main son front ruisselant d'eau, une eau pas seulement composée de sueur, Censeis venait de passer sous un des nombreux rideaux de pluie de la grande allée. Ce système avait été mis au point pour rafraîchir les passants, des variétés de flores acclimatées à la vie en huis-clos laissaient leurs longues racines pendre des suspenseurs métalliques qui les supportaient et des conduites d'eau venaient les arroser en continu pour faire couler en contrebas le liquide dont une grande partie de la chaleur avait été absorbée par la plante. C'était ingénieux et nécessaire, les colons s'étaient adaptés et possédaient tous des vêtements étanches et aérés. Ceux-ci permettaient une évaporation rapide sous l'action de la ventilation permanente. Elle avait détaché ses cheveux, ceux-ci se collant à son dos pour garder la fraîcheur plus longtemps. Sa tunique était très légère, deux bandes de tissu bleu pâle croisées sur le devant et droites dans le dos dont les extrémités s'enroulaient délicatement autour de sa ceinture ocre pour s'élargir en couvrant ses jambes jusque sous les genoux.
La superviseure était en repos pour la journée et, comme à son habitude, elle y consacrait quelques heures à faire le tour des infirmeries et des centres de rééducation pour y saluer le personnel handicapé par les accidents. Ce genre de visite était important pour le moral des colons, pour elle aussi. D'une façon ou d'une autre, elle avait sa part de responsabilité. Éviter de regarder les choses en face ne ferait que l'éloigner de la réalité des travailleurs, un dangereux exercice pouvant aggraver une situation déjà précaire. C'est avec cette idée en tête qu'elle poussa la porte de la méca-infirmerie. La chargée d'accueil lui adressa un sourire respectueux en la reconnaissant, ce n'était pas la première fois que Censeis entrait là et elle savait très bien où aller. Dans la salle de réhabilitation motrice, il n'y avait que quatre de ses hommes, chacun arborant diverses prothèses de facture honnête, l'un avait la moitié du visage recomposé. À son arrivée, trois se levèrent, ou tentèrent de le faire avant qu'elle ne les en dissuade d'un geste de la main. Prenant des nouvelles de chacun, elle s'étonna de ne pas trouver tous les blessés des derniers accidents. À vrai dire, sur tous les centres qu'elle avait passés en revue, il en manquait plus de la moitié et elle s'en inquiétait. Pitrel, un gars dont les deux jambes avaient été sectionnées sous une poutrelle, lui répondit en roulant des yeux :
« Sont aux Xénos les autres, savez.
— Aux... Xénos ? répéta-t-elle en insistant sur le mot.
— Eh ouais, font leurs trucs avec les thropodes là, savez, tous les gars avec les capuches bizarres. »
Censeis hocha la tête, effectivement, elle avait une vague idée de ce dont il parlait car Torsen avait déjà plusieurs fois abordé le sujet en essayant de l'alarmer. Trop prise par le chantier d'expansion de ces huit derniers mois, elle n'avait pas pu y accorder une once d'attention. Aujourd'hui, il lui faudrait corriger cette erreur, c'était une grande frustration de ne pas parvenir à être suffisamment proche des résidents sous sa tutelle, fournie de sept cent mille personnes.
« Vous savez où ils sont ? J'aimerais passer les voir aussi, demanda-t-elle doucement. »
Il la renseigna sans hésitation, en ajoutant son avis.
« C'est dégeu leur truc. Faites gaffe là-bas, m'ame. » Il fit la moue en poursuivant. « C'est pas naturel leur truc, je sais que tout le monde fait ce qu'il veut, tout ça, mais y a des limites. Savez, si on les laisse faire, on va se retrouver avec des thropodes dans tous les coins. J'ai deux gamins moi, et ça me dégoûte qu'ils grandissent avec ce genre de... » Il hésita une seconde. « Ce genre de monstres ! »
Autour, les autres blessés opinaient du chef avec vigueur en poussant quelques exclamations pour appuyer leur camarade. Elle fut surprise, pas une seconde elle n'avait imaginé que ces pratiques étranges de xéno-reconstitution puisse déranger à ce point, surtout des personnes dont plusieurs membres étaient déjà remplacés par des machines et dont des pans entiers de leur peau étaient synthétiques.
Après quelques paroles d'encouragement, Censeis prit congé et partit en direction de la zone indiquée par Pitrel, sa description avait été précise et elle fut sur les lieux rapidement. Toutefois, elle ne put s'empêcher d'avoir quelques frissons en croisant certains colons du cru. Ils dégageaient une odeur entêtante et acide désagréable, la plupart avaient le regard fuyant en l'apercevant et quittaient les allées prestement tout enrubannés de foulards, manteaux et capuches. Régulièrement, la grande femme devait chasser du pied quelques insectes rampants, ce qui n'avait rien de très étonnant vu que le quartier jouxtait les élevages protéiniques dans lesquels vivaient des myriades de bestioles en tout genre.
On appelait ça les élevages protéiniques mais en vérité, les insectes et arthropodes servaient à de nombreuses fins : alimentation, tissus, résines, produits chimiques et reconditionnement des déchets humains. La majorité des espèces provenaient de Melnésis même, vivant là avant la colonisation, quelques autres avaient été importées de diverses colonies pour les besoins fondamentaux de l'implantation. Le noyau d'expansion dont Censeis avait la charge était par ailleurs commissionné pour une production supérieure en nourriture, accueillant de ce fait un plus grand nombre d'élevages et de centres de transformation que les autres.
Elle interpella une passante pour lui demander confirmation sur sa destination, n'ayant pas envie de s'éterniser dans les voies puantes qu'elle empruntait à présent. La superviseure arriva enfin à l'un des centres de transformation du noyau. De larges et hautes portes métalliques prenaient la quasi-totalité de la devanture du bâtiment, pourtant imposant. Elle profita de l'entrée d'un convoi de véhicules pour se glisser à l'intérieur, s'épargnant ainsi de se présenter à l'accueil et de s'y faire recevoir par un responsable potentiellement flagorneur. Autant que possible, elle évitait le contact des chefaillons ambitieux. Trouver les stratagèmes pour empêcher ces derniers d'accaparer son temps, surtout pendant ses repos, était devenu une routine. Rien ne l'ennuyait davantage que cette cour vaine et presque obligée dès lors que madame la superviseure d'expansion pointait son nez en public.
Arrivant au bout de la longue coursive qu'elle suivait depuis quelques minutes, elle parvint à un grand hangar de déchargement dans lequel on vidait un véhicule de transport. Les manutentionnaires s'affairant aux alentours étaient vêtus de façon assez différente de celle qu'elle avait l'habitude de voir, ils avaient tous troqué leurs tissus légers pour des étoffes enveloppantes, enroulées autour de leur corps. L'odeur piquante s'imposa de manière plus pressante et pénible que dans les allées extérieures, la faisant éternuer.
Le chef d'équipe la remarqua instantanément et s'approcha à pas vif, il arborait les couleurs mauves et jaunes de son clan.
-Madame ? Il adressa un salut, manifestant qu'il l'avait reconnue.
-Je viens rendre visite aux travailleurs blessés, on m'a indiqué cette adresse mais j'ai bien peur de m'être fourvoyée.
-Je ne crois pas. Il plissa les yeux légèrement. Il doit effectivement y en avoir dans les environs, pas que vous puissiez voir de suite, malheureusement. Sa voix chuintait et sonnait étrangement sous le foulard qui enserrait son cou et le bas de son visage.
-Pourtant je suis ici, s'ils y sont aussi autant les voir, je ne resterai pas longtemps.
Il eut un bref mouvement de recul.
-Et bien, d'accord, très bien. Vous avez raison. Je vous y emmène.
Elle lui emboîta le pas alors qu'il l'invitait dans son sillage, ce qui lui donna un peu de temps pour l'étudier. L'homme était courbé, pas tout à fait recroquevillé mais elle le dominait de presque deux têtes. Ses doigts trituraient les cartes magnétiques qu'il tenait fébrilement, ses pieds accrochaient tant le sol qu'on aurait dit qu'ils cherchaient à reculer plutôt qu'avancer, et son dos paraissait trop épais, dans des saillies inattendues suggérés par ses habits.
Ils furent bientôt devant de vastes dortoirs, bien qu'elle n'ait pas eu la sensation d'avoir quitter le centre, le bossu lui ouvrit une porte tout en évitant son regard.
-Entrez donc, madame.
En pénétrant dans le premier dortoir, Censeis eut un haut-le-cœur. La vision qui s'offrait à elle lui évoquait davantage un cauchemar digne des holos d'horreur les plus sordides qu'un regroupement de convalescents.
Affalés sur des literies souillées, à même le sol pour jouer à des jeux de hasard, buvant des boissons à une table, ils la regardaient tous. Aucun n'était autant habillé que l'hôte qui l'avait guidée jusque-là. Leurs corps étaient à nu, dans toute l'horreur qu'ils pouvaient arborer. Par ici les côtes avaient été altérées avec des rangées de petites pattes affairées à brasser l'air, là un bras avait été changé en un long membre dont les trop nombreuses articulations donnaient un aspect brisé, ensuite les plaques chitineuses un peu partout pour remplacer la peau qui s'encastraient les unes aux autres pour former des ersatz de carapaces. Puis l'odeur, forte, d'acide formique.
Bien sûr, il était reconnu qu'il y avait eu quelques percées dans le domaine médical avec la découverte de certaines greffes nouvellement possibles, accélérant le rétablissement des patients. Des images avaient circulé et certaines pratiques étaient même remontées jusqu'au Wilmar pour y être utilisées à bord de l'immense vaisseau, mais rien de tel. Pas à un degré aussi pernicieux, aussi monstrueusement poussé.
Elle ne put prononcer un son, fit demi-tour et courut, longtemps, pour s'enfuir.
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« Je puis toutefois vous rassurer car la situation pandémique qui s'est développée dans le cinquième noyau a été contenue et assainie. L'aliénation qui avait corrompu notre population a été contrôlée et désormais il n'existe plus de menace contre l'Humanité. Les pensées de notre peuple peuvent remercier les agents ayant opéré pour endiguer ce danger, au sacrifice parfois de leur propre vie. Soyons fiers d'avoir pu traverser cette crise et d'en être sortis grandis. Le respect de l'ordre a un coût que nous payons volontiers quand il permet d'échapper à des dérives aussi perverses que celles qui viennent d'ébranler Melnesis.
C'est pourquoi, toute modification génétique visant à détourner l'humain de son humanité est désormais proscrite, les thérapies existantes usant de tels procédés seront contrôlées avec une grande sévérité et nulle personne ne pourra en être le patient ou le pratiquant sans un encadrement spécifique. Le progrès ne doit pas être l'excuse à la corruption. Nous garderons une attention particulière à ce que le progrès ne soit pas non plus bridé par la peur de cette aliénation, nos scientifiques doivent pouvoir poursuivre leurs études. Un cadre clair et déontologique sera établi pour protéger la population.
Pardonnons toutefois les victimes de cette corruption, des travailleurs honnêtes qui se sont égarés, trompés par des leaders vils et sournois. Ces colons laborieux ont payé le prix fort pour leur erreur, n'entachons pas leur mémoire mais gardons à l'esprit le souvenir vif et tenace de la folie à laquelle ils se sont laissés aller.
Melnésis doit sortir plus forte de cet épisode marquant de sa jeune Histoire. Nous devons aller au-delà et nous sentir fiers de vaincre les obstacles dans le respect de ce que nous sommes.
Vive l'Humanité. »
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Toussant et crachant, Censeis s'écarta du brasier en titubant, la tête lui tournait, ses sens et son estomac étaient retournés. Sur la grande place centrale du noyau, de nombreux cadavres jonchaient le sol, des détritus, débris et carcasses de véhicules s'ajoutaient au spectacle, découvrant une vision apocalyptique. Des foyers d'incendies, déclenchés par les émeutiers, dégageaient des panaches de fumée venant s'entasser contre les parois d'écrans du plafond, diffusant toujours le ciel de Melnesis, imperturbables au dessus du carnage qu'ils surplombaient. Les sirènes d'urgence hululaient aux oreilles de la superviseure qui reprit quelque peu ses esprit en éructant bruyamment.
La Sécurité extérieure du Wilmar était venue régler le problème personnellement. Déployant quelques centaines de ses membres pour mater la révolte des Xénohumanistes. Parce que la folie de ces derniers c'était progressivement muée en secte, dans un fanatisme forcené qu'on ne retrouvait que dans les heures les plus sombres de l'apogée des luttes religieuses du passé. Les génomes des insectes et arthropodes de Melnésis s'étaient révélés d'une facilité déconcertante à intégrer à celui humain des colons. D'abord utilisés pour réparer les dégâts corporels infligés par les accidents à répétition, ces modifications génétiques et les greffes, furent appliquées par choix esthétique, culturel et, pire, religieux. Des centaines, puis des milliers de résidents se mirent à transformer leurs corps d'appendices, de mandibules, de pattes, de plaques de chitine, de trachées respiratoires annexes, de systèmes digestifs hybrides. Une perversion.
Donnant l'alerte aux plus hauts niveaux de l'organisation planétaire, Censeis avait dû mener l'enquête pendant un long mois afin de prendre l'exacte mesure de la corruption Xénohumaniste qui s'était installée, solidement. Il s'avéra impossible de faire machine arrière, les personnes mutées l'étant irrémédiablement, eurent-elles voulu revenir sur leur décision. Lorsque les autorités, par son truchement, avaient organisé la mise en place de camps de rétention pour répertorier toutes les personnes touchées, des émeutes violentes avaient éclaté. Elles furent contraintes de protéger toutes les forces de police et de sécurité en les faisant barricader la colonie, assurant au mieux les missions dont elles avaient la charge : faire survivre la population saine au milieu de ce chaos.
La superviseure cligna des yeux pour en chasser les larmes provoquées par la fumée âcre. Elle accompagnait une équipe de la Sécurité extérieure, la force armée du Wilmar, le fier vaisseau de la taille d'un pays. Ils étaient revêtus de combinaisons noires intégrales, de casques à larges visières, lourdement armés, donnant une impression d'efficacité implacable. Ils ne communiquaient pratiquement qu'entre eux sur des canaux inaudibles à quiconque. Leur impitoyable morgue à ce qui empêchait le système de fonctionner suffisait à faire se hérisser les poils de Censeis.
Ce genre d'intervention était extrêmement rare, aussi avait-elle maudit sa chance lorsque le Wilmar s'était matérialisé dans l'orbite de Melnésis, pourtant appelé à la rescousse par ses soins. Une véritable purge en avait suivi. Des dizaines de milliers de colons avaient trouvé la mort dans cette guerre civile, sans qu'il ne soit possible de trouver d'entente face à l'horreur de la situation. La Fonction générale, dont la Sécurité extérieure faisait partie, avait décrété que toute personne ayant pratiqué le Xénohumanisme, était définitivement perdue, coupable, et donc sanctionnée de mort. Il n'y avait aucun état d'âme dans cette analyse et ce verdict, il fallait en prendre la juste mesure et l'appliquer jusqu'à ce que la purge fut achevée. Libre aux politiques de justifier et d'habiller l’événement, la Fonction générale ne s'embarrassait pas de telles considérations, c'était un outil d'une efficacité remarquable. Sinistre. Censeis se redressa et s'approcha de l'un des agents.
-Sergent, amenez-moi à la barge de la gouverneure, j'en ai suffisamment vu.
Il n'y eut pas de réponse, le casque s'inclina brièvement pour signifier la compréhension de la requête. Deux fonctionnaires furent désignés et elle les suivit pour quitter la place souillée de sang et de suie. Les flammes s'éteignaient à mesure que les dispositifs d'urgence s'activaient de tous côtés. La superviseure marchait sans conscience de ses pas, lourdement, machinalement, hébétée par une situation qui la dépassait. Elle avait ce sentiment prégnant que tout était allé trop loin.
Il lui fallait se remettre, vite, car la reconstruction allait être laborieuse. Moralement et physiquement, le cinquième noyau d'expansion était meurtri. Elle appela depuis son brassard numérique.
-Torsen, rassemble les équipes aux hangars d'embarcation, Juris Prozumen va faire une allocution. Je souhaite qu'ils soient aux premières loges. Redirige les projecteurs holographiques pour qu'ils ne loupent rien. Elle fit une pause. Toi, sors-moi les listes du personnel, je veux pouvoir modifier les équipes pour les travaux de demain. On va avoir du boulot.
19:45 - 22 juil. 2018
Des commentaires faits en direct corrigent fautes et tournures difficiles à lire. A compléter sans doute.