Travaux en cours
Jour -5 :
Ça y est, j’ai pris ma décision. Ça sera dans cinq jours. Le tournant de ma vie, la décision qui me changera à tout jamais. En mieux, si tout se passe bien. J’évite de trop penser aux conséquences d’un échec, je reste concentré sur cette date fatidique, mon valium en poche. C’est à la fois amusant et terrifiant de penser qu’un choix, une simple journée puisse complètement changer la nature d’un homme. Bien sûr, un déménagement, un voyage, un accident, peuvent être la conséquence d’une simple décision et bouleverser toute une vie. Mais moi, c’est différent, je ne bouge pas, je ne démarre pas de nouveau job, je ne me mets pas en couple, et je ne prévois pas d’avoir un accident. Je ne change même pas mes habitudes de vie. A un détail près peut-être, qui fait toute la différence. Je cesse de m’abreuver du poison mortel qui a ruiné ces deux dernières années de ma vie. Et mon foie.
Pourtant, quand je regarde un peu en arrière, je n’ai toujours pas totalement conscience du mal que je me suis fait. Je me souviens même quelques mois plus tôt me considérer comme quelqu’un d’heureux. Mais toujours est-il que je suis tombé en larmes devant mon médecin ce matin, et qu’écrire ces quelques lignes me procure le même choc émotionnel. J’imagine que beaucoup de douleurs commencent à remonter à la surface. Un bon signe probablement…
Je suis somme toute assez content de pouvoir commencer bientôt. Ces derniers jours ont tous été marqués par le ras-le-bol de ma routine quotidienne : me remettre de ma cuite de la veille, manger un peu, et subir les symptômes de manque jusqu’à ma consommation de la soirée, en constante augmentation. Je ne suis plus vraiment quelqu’un, je n’ai pas d’activités, sortir à l’extérieur est un calvaire, je tremble de plus en plus et je continue ma vie dans la déchéance en sachant pertinemment bien que chaque verre se retrouve marqué au fer rouge sur mon foie. Cicatrices que je traînerais toute ma vie. Il est grand temps que ça s’arrête.
Jour -1 :
Je profite abondamment de mon vice, en sachant que ce sera la dernière fois avant bien longtemps. Une dernière occasion de retracer un peu mon parcours ce dernier mois.
Tout est allé très vite. Finalement, c’est de prendre la décision de se bouger qui prend du temps. Une fois qu’on est lancé, tout roule. Enfin je l’espère.
Il y a un peu plus d’un mois, mon estime personnelle était au même niveau que ma motivation à arrêter de consommer, à savoir proche de l’inexistant. J’enchaînais les journées de merde ponctuées à la fois de gerbes matinales dues à mon incapacité de gérer le trop plein de bulles de la veille, et de coups de pied dans une des nombreuses bouteilles vides qui parsèment mon appartement. À ce moment, j’étais un zéro, un moins que rien, et je savais que je ne pourrai jamais m’en sortir seul. Mes amis m’ont donné la force de tenir un peu, et de commencer à essayer de remonter.
Un coup de fil chez le généraliste, une adresse, un autre coup de fil et un trajet en tramway plus tard, et me voilà dans un centre spécialisé en addictologie. Mon carnet de rendez-vous se remplit de deux entretiens par semaine : l’un avec une addictologue, l’autre avec une psy. Quelques rendez-vous qui me permettent de manière bien plus claire de statuer sur mon état. Malgré une consommation régulière depuis seulement deux ans, mon état est bien pire qu’il aurait dû être. J’ai développé des symptômes de manque au bout d’une seule année de consommation quotidienne là où il faut en moyenne trois à quatre ans. Mon foie présente des taux très anormalement élevés de marqueurs sanguins, alors que certains patients consommateurs depuis dix ans ont un foie qui commence tout juste à déconner. Je suis plus faible que la normale face cette dépendance. La cause ? J’ai pris mes premières cuites à douze ans, mon corps et surtout mon cerveau se sont développés avec un apport plus ou moins constant du psychoactif le plus neurotoxique que l’on connaisse. Finalement, il ne m’a pas fallu deux ans et des brouettes pour me ruiner à ce point. Le problème a commencé bien plus tôt. Et il sera bien plus dur de s’en débarrasser. Super.
J’ai tout de même semble-t-il plutôt bien choisi ma date de sevrage. A mon dernier rendez-vous chez l’addictologue, je lui ai apporté mes résultats sanguins. Qu’elle avait déjà : la biologiste en charge de mes analyses a visiblement paniqué en voyant mes résultats, et les lui a faxés directement, quand bien même je lui avais dit que ce n’était pas nécessaire. On passe en revue mes résultats, en terminant par les enzymes hépatiques. S’en suit une des pires tortures psychologiques qu’il m’est été donné de vivre. Après m’avoir bien fait comprendre que mon cas était anormalement grave, elle me passe en revue les différents stades du foie d’un alcoolique. Hépatomégalie, gonflement du foie. Sans grandes conséquences, et réversible. Aucun doute, je suis dedans. Viens la fibrose, dégradation légère du foie. Dégâts irréversibles avec des conséquences plutôt minimes. Puis la cirrhose, le foie est en grande partie incapable de fonctionner, et les toxiques s’accumulent dans le corps et le cerveau, engendrant toutes sortes de complications. Évidemment, c’est toujours irréversible. Enfin, le cancer du foie. Les dernières cellules encore capable de fonctionner deviennent cancéreuses. Le résultat, on peut facilement l’imaginer.
Durant tout son discours je bouillonnais de colère, de tristesse et de peur. Je n’avais qu’une seule envie, de frapper du poing sur la table en lui criant de me dire ou je me situais dans ce schéma morbide. Finalement, je serais d’après son expérience à la limite entre hépatomégalie et fibrose. Sur le point de commencer à subir des dégâts irréversibles donc. Je n’ai jamais totalement cru à son pronostic. Sacrée coïncidence, je me situerais exactement sur cette limite ? Cela me semble un peu gros, mais admettons.
En fin de compte mon état de santé est quelque chose de tout à fait secondaire pour moi. Le mal est fait, il se réparera, ou pas, je ne peux pas y faire grand-chose. Et puis, je me sens plutôt en bonne santé après tout. Ce n’est pas, au final quelque chose qui m’inquiète. C’est même plutôt positif, une motivation supplémentaire pour rester dans la sobriété, en sachant qu’il me faudra des mois et des mois pour que mon foie s’en remette.
C’est passé vraiment vite…
Et me voilà aujourd’hui, à ce jour fatidique, le dernier. Je me suis transformé en huit mois, passant d’un gamin naïf et fier, incapable de se rendre compte qu’il se taillait les veines lentement, à une sous-merde sans aucune estime de soi bien conscient d’être au fond du trou. Une destruction nécessaire à une future reconstruction. Un dernier coup pour la route et je m’engage devant cette montagne qui me sépare du vrai bonheur. Et merde, encore des larmes.
Jour 0 :
Ça y est, je me lance. J’ai ma feuille de route sous les yeux. Deux litres d’eau par jour ? Check. Bananes ? Check. Valium ? Check. Motivation ? Check. Je suis prêt à me lancer à tâtons vers l’inconnu que représente pour moi une vie sobre.
15h. Les symptômes sont présents depuis déjà une bonne heure. Je tremble comme une feuille et la boule brûlante que j’ai dans le ventre grandit de plus en plus. Il est encore très tôt, mais au vu de ma consommation les jours passés, ça n’a rien de surprenant. Je prévois de tenir encore une heure au minimum avant d’essayer le valium. Le manque, cela fait des mois et des mois que je le subis quotidiennement. A intensité moindre peut-être, mais tout de même, je commence à être rodé.
16h. Je commence à avoir du mal à écrire, je tremble des ongles jusqu’aux épaules. Je ressens mes yeux comme s’ils étaient gonflés et fatigués, et mon ventre comme s’il était aux prises avec mes intestins. Je déambule dans mon appartement sans savoir quoi faire de mes dix doigts. Mon état m'obsède et toute activité demandant un tant soit peu de concentration est impensable. Je commence à perdre ma bonne humeur habituelle et sens la colère m’envahir. Une colère contre moi, contre ce que je suis devenu, contre ces symptômes que je me suis infligé et qui commencent à être insupportables. Allez, je tiens encore un peu.
Une heure plus tard, j’ai craqué, mais le valium est sacrément efficace. Plus de tremblement, la boule dans le ventre est toujours là, mais plutôt inhibée. Par contre, je suis cassé… il me faut 5 bonnes secondes pour amener ma clope à ma bouche, et mes paupières deviennent lourdes. On ne s’est pas foutu de moi là-dessus.
20h30. Les effets commencent à disparaître, et les tremblements reviennent, j’en reprends un. Malgré l’inhibition du somnifère je ressens mes symptômes de manque. Étrangement, je suis constamment affamé, un bon signe je suppose, mais les crampes intestinales ne me motivent pas vraiment à manger. Au niveau de la tête, j’oscille entre somnolence et énervement. C’est assez complexe à décrire et désagréable. Mais finalement, l’expérience se révèle être moins difficile que prévue. Je suis à peu près certain de réussir à dormir ce soir, chose qui aurait été impossible sans mon traitement. J’étais réticent à l’idée d'inhiber mes symptômes de sevrages grâce à un produit fortement addictif, mais force est de constater que ça aide bien. Une pensée me traverse : Ça fait combien de temps que je n’ai pas été sobre à cette heure-là ? Cinq mois ? Six mois ? Va falloir que j’y prenne goût maintenant.
22h30. Le valium tape fort, je somnole devant mon journal. Mes pensées sont plutôt confuses. Ma première journée s’est bien passée, mais il va falloir que je revoie à la baisse ma nouvelle consommation du lendemain. En attendant, le craving est toujours là, et pour encore un moment. Ça n'est pas un soucis pour l'instant : je n'en suis qu'au premier jour et j'ai assez de motivation pour lutter contre mon besoin compulsif de consommer. Perdre une habitude que j’ai entretenue pendant ces années sera sans doute le plus difficile à faire. Mais je ne perds pas espoir. Pour le moment ma journée est un succès. Le premier depuis longtemps. Maintenant, j’ai trop sommeil pour continuer à écrire.
Jour 1 :
Je me réveille assez tôt, et surtout crevé. Ma nuit a été bien pire que je ne l’espérais. J'ai vu les heures défiler sur mon réveil, mais j’ai pu dormir un peu et c’est déjà ça. Les symptômes se font beaucoup moins ressentir au matin. J’en profite pour glander le restant de la matinée et sortir faire un shopping plus que nécessaire l'après-midi, sous effets (légers) du valium.
Sur le chemin du retour, je me suis pris d’une envie de m’arrêter à cette supérette que je connais si bien, m’arrêter prendre ma conso de la soirée, comme j'ai l'habitude de faire. Une idée bien vite écartée car je n’en suis qu’au deuxième jour. Mais cela me rappelle douloureusement mes échecs passés.
Par deux fois j’ai essayé de stopper ma consommation. Et j’ai systématiquement repris après deux semaines d’efforts. Sur pas grand-chose, un coup de tête : « Oh et puis merde allez, on s’en fout on ne réfléchit pas : ce soir je me retourne la tête ». Un simple coup de craving, une envie compulsive de boire, que j’aurais laissé passer. Et il en suffit d’un seul pour que tout s’effondre, pour que je retourne à ma condition d’alcoolique. Après un échec plus de retour possible. La gueule de bois le lendemain, l’envie d’oublier la veille, le manque physique qui s’installe aussi vite qu’il était parti, et le cercle vicieux recommence.
Pourtant lutter contre une envie sporadique comme celle-ci, c’est très simple. Il suffit de faire autre chose, de ne plus y penser, et en quelque minutes, elle a disparu. Le seul souci c’est que des envies de ce genre, j’en ressens des dizaines par jour. Et si j’en laisse passer une seule, c’est trop tard. A cette idée je perds confiance et me remémore les mots de ma psychologue : « C’est un combat de tous les jours ». Oui, mais pendant combien de temps ?
Jour 6 :
Déjà bientôt une semaine, le temps passe vite. J’ai miraculeusement réussi à retrouver cette ressource sacrée que j’avais perdue depuis bien longtemps : la motivation. Je sors, je fais du ménage, un peu de sport, et d’autres activités dans lesquelles je ne me serais jamais lancé quelques mois auparavant. Je me réalimente correctement, et ne me réveille plus avec la gueule de bois. On retrouve assez vite des côtés positifs à la sobriété. Mais pas seulement.
Quand arrive la soirée, et plus particulièrement les heures ou j’avais l’habitude de commencer à boire, tout s’inverse. Je déprime, je tourne en rond, et je n’ai qu’une seule pensée en tête : consommer. Dans la journée aussi d’ailleurs, j’y pense très régulièrement. Quand bien même la dépendance physique soit la plus spectaculaire et pénible, notamment lors du sevrage, la dépendance psychologique est de loin la plus difficile à gérer. Elle est là, présente tout le temps dans un coin de ma tête et impossible de la faire disparaitre à coup de valium.
Et au fur et à mesure que j’écris ces mots, je repars 4 ans en arrière.
Septembre 2011. Quelques mois auparavant, j’avais fait la découverte sur le net de tout un tas de substances psychoactives synthétiques légales, nouvelles, et peu chères. Ce qu’on appelle les NPS. Afin de satisfaire ma curiosité dévorante vis-à-vis de ce genre de produits qui m’étaient alors totalement inconnus, j’en commandais un, un genre d’hallucinogène dérivé d’un anesthésiant pour cheval. Les effets étaient très intéressants et amusants, et j’en ai pris quotidiennement pendant près de deux mois. C’est un jour en particulier, où je me suis retrouvé dans ma salle de bain, à contempler dans le miroir mes yeux en pleine mydriase dont on peinait à voir l’iris que l’idée m’a frappé en pleine face comme un mur de béton : j’étais un toxicomane. J’avais à l’époque encore ces idées préconçues du toxico, celui qui se pique dans son appartement cradingue avec un matelas crasseux comme seul mobilier. Celui qui vole tout ce qui lui passe sous la main pour pouvoir se payer sa conso de la soirée. A cette idée, j’ai pris peur. J’ai pris tout ce qu’il me restait de produit, ai tout confié à une amie en lui ayant expliqué le topo au préalable (je consommais seul et en secret), et ai eu la joie de découvrir la dépendance psychologique dans les jours à venir.
J’ai passé sans aucun doute le pire mois de ma vie. Après cet arrêt brutal, je me suis effondré mentalement. La substance que j’avais cessé de consommer était plus présente que jamais dans mon esprit. Je me réveillais en pensant à ma drogue, je me couchais en pensant à ma drogue, et n’avais aucun moment de répit entre temps. Chaque seconde où j’avais la liberté de penser à quelque chose, c’était à ça. Comme si un parasite avait pris le contrôle de mon esprit et décidait à ma place de mes pensées. J’étais emprisonné dans une cage psychologique sans aucun moyen de m’en sortir. A chaque situation de ma vie, je faisais le parallèle avec la drogue :
« Cette soirée aurait été plus sympa si j’en avais pris un peu. »
« Je me demande comment j’aurais perçu cette discussion en étant défoncé »
« Est-ce que la boulangère aurait pu deviner quelque chose si j’avais pris ma dose juste avant ? »
J’ai commencé à rattacher tous mes problèmes à ma dépendance. Des mauvaises notes ? Forcément je n’ai pas l’esprit à bosser. Pas de relation en vue ? Comment je pourrais intéresser une fille si je n’arrive même pas à penser à elle.
Cela a duré environ 6 mois avant que je me libère de cette addiction psychologique. J’ai fini par réaliser qu’elle était partie depuis bien longtemps, mais que je ne faisais que l’utiliser pour donner un sens à mon mal-être. Une fois que je m’en suis rendu compte, j’ai commencé à aller mieux.
Bien sûr, les choses ont changées depuis. Aujourd’hui c’est différent, je suis moins jeune, plus expérimenté, et j’ai du soutien. Toutes les dépendances psychologiques sont différentes. Pourtant, ce parasite qui pense à ma place est toujours un peu là, quelque part, tous les jours.
Jour 17 :
J’essaie de mettre toute les chances de mon côté. Des 3 propositions de mon addictologue pour m’aider, je les ai toute choisies. Un atelier d’écriture bimensuel avec d’autres patients, des séances de psychomotricité, et la participation à des groupes de paroles chez les Narcotiques Anonymes. Pourquoi pas les AA ? Parce que les NA sont plus jeunes, et que finalement, quand j’y pense, je ne suis pas dépendant à une drogue, mais à la drogue en général.
Ma première réunion était la semaine dernière. J’étais loin de m’imaginer ce que j’allais y trouver, qui j’allais y trouver, et surtout l’impact émotionnel que cela aurait sur moi. Les NA sont un groupe d’entraide dont le principe est basé sur les 12 étapes d’un programme spirituel censé amener au rétablissement. Le mot rétablissement ici est important : il ne s’agit pas de guérir, la dépendance est une maladie incurable. Chacun applique ces étapes à sa manière, et partage lors des réunions.
Après quelques lectures de textes généraux décrivant les principes et les fondements des NA, chacun est invité à partager sur un sujet de son choix. J’ai été très surpris par le nombre de mains qui se sont levées à ce moment-là. Du SDF à l’homme d’affaire en costard cravate, de la jeune fille qui dépasse à peine la vingtaine au vieux loup de mer dont les traits sont rongés par des décennies de consommation, chacun partage, raconte, nous donne ses émotions. La tristesse ressentie face à la solitude, la colère face au rejet des autres, mais aussi la joie de vivre des expériences sans consommation, et surtout la gratitude face à tout ce que NA leur a apporté.
Cela faisait beaucoup d’émotions à assimiler d’un coup, et la détente pendant le diner au resto qui a suivi était bienvenue. Je suis quelqu’un de très empathique, et ne peux m’empêcher de penser à ma réaction habituelle face à tant d’émotions : les inhiber, les noyer, les jeter sous le tapis, et ne plus y penser. En bref, consommer.
Et c’est ce qui s’est passé. J’ai rechuté hier soir, à l’issue d’une autre réunion. Les motivations qui m’y ont poussé sont complexes et je ne comprends pas tout. J’ai perdu le fil, je ne sais plus ce qu’était ma dépendance, ce que l’abstinence m’apporte réellement et je ne m’identifie pas aux autres dépendant. Je suis perdu.
J’ai merdé, mais l’échec n’est pas une fatalité, je travaillerais comme on me l’a appris, un jour à la fois. J’ai déconné hier, mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, je recommence ma nouvelle vie.
Jour 26 :
Dix jours depuis ma première rechute, et depuis 4 autres ont suivies. Une fois que l’interdiction morale de consommer que je m’imposais a été violée, il est devenu beaucoup plus facile de rechuter. Et bien souvent, c’est lié aux réunions NA. Je me rends compte que je ne suis pas capable de gérer mes émotions. Je suis habitué à n’être qu’une coquille de chair dont l’esprit est constamment inhibé par ma drogue. Et c’est pour cela que je suis complètement perdu face à un trop-plein d’émotions et que je cherche refuge vers ce que je connais, ce qui me rassure. Je suis comme l’enfant qui retourne en pleur vers sa maman, sauf que moi, c’est vers la bouteille.
Et pourtant ces réunions qui me font tant de mal, me font aussi tant de bien. Tout le monde est super content que je continue à venir, et me pousse à faire encore plus de réunions. Mais je ne peux pas continuer à me détruire comme je le fait. Je suis déjà allé trop loin. Je ne sais plus quoi faire, j’ai perdu le fil, j’ai perdu la motivation et surtout j’ai peur. Peur de redevenir qui j’étais quelques mois plus tôt. C’est pourtant vers ça que je me dirige.
Jour 54 :
Les jours se sont enchainés depuis la dernière entrée de mon journal, les verres aussi. Je sors d’un bon mois de rechute totale, à raison de 180-200g par jour. Ça démarre par une semaine avec des amis, pendant laquelle je me dis naïvement que je peux consommer sans que cela implique de trop pénibles conséquences, puis vient le retour à la réalité, et l’impossibilité de reprendre mon sevrage.
Arrivent ensuite la pression familiale concernant ma (non)situation professionnelle, la perte de motivation, les symptômes physiques de manque, et l’engrenage repart. Ces journées typiques de gueule de bois jusqu’à 18h, sans énergie pour quoi que ce soit, sinon pour sortir acheter mon carburant de la soirée me rattrapent. Je mange deux tranches de pain de mie par jour, me force à me réveiller tôt le matin pour annuler mes rendez-vous de 11h, je décline des invitations à sortir, m’enferme chez moi et me lamente sur mon sort et mon incapacité à m’en sortir.
Lorsque toutes les conditions idéales sont réunies, sortir d’une dépendance demande beaucoup de temps et d’efforts. Mais s’il y a stress, pression, anxiété, ça devient pratiquement impossible. Sur les conseils avisés d’un proche, j’en profite donc pour prendre mon courage à deux mains et mettre ma famille au courant de ma situation, dans l’espoir de pouvoir respirer un peu. Je perds un poids pour gagner un soutien, et vois mon futur s’éclaircir.
Il y a une semaine que j’ai décidé de reprendre mon sevrage, et j’en suis à mon deuxième jour. Le weekend dernier passé aux Utopiales a été très fatigant, et le manque et la dépendance pénible à gérer au quotidien. Mais il m’a surtout donné beaucoup d’envie, et de motivation. Car le bonheur que j’y ai trouvé est quelque chose qui m’a beaucoup manqué ces dernières années, et je ne souhaite plus le perdre.
Je terminerais le début de ce journal sur le début d’un nouveau sevrage, en gardant en tête tout ce qui m’a poussé jusqu’ici : mes douleurs, mes peurs, mes angoisses, ma colère, mais aussi mon envie de retrouver la joie, la motivation, mon envie de vivre tout simplement. Cela fait des mois que cette aventure a commencée, et elle est loin d’être terminée. Je vais peut-être rechuter, peut-être plusieurs fois, mais je saurais me relever. J’ai confiance. Je garde les yeux sur mon avenir, en me rappelant que si j’en suis là aujourd’hui, c’est grâce à toute l’aide et le soutien que j’ai eu : de médecins, de dépendants, mais surtout de ma famille, et de mes amis.
C’est grâce à eux que je peux enfin voir un bout de lumière au fond du tunnel et je ne pourrais jamais leur témoigner assez de gratitude. Merci, les amis.