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Les étoiles ne parlent pas

The stars aren't talking

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9 nov. 2015 - 16:02


J'avais oublié de le remettre avec tous ces changements. Comme je l'ai dit sur 1.5 juste avant l'exode, ce texte est le produit d'un moment d'introspection qui vise à transmettre une image. Je ne pense pas y changer grand chose et il est à mon avis terminé.


The stars aren't talking


Elle entre dans la salle sans plafond d’un pas rare, celui de ceux qui ont trouvé ce qu’ils cherchent. L’espace parcouru d’étoiles s’étend au-dessus d’elle et sous le plateau où elle marche, elle ressent leur mouvement, la conjonction infiniment délicate de cercles que cela représente.

Elle le voit au milieu de la salle blanche. Allongé sur un monument surélevé, sa peau est métallique et ses yeux fermés. Aucun mouvement de respiration. Elle avance vers lui la bouche entrouverte, sans parvenir à croire ce qu’elle a sous les yeux. Ce profil lui appartient. Alors qu’elle approche du monument et le découvre sous de nouveaux angles, elle sent les larmes lui tirailler l’intérieur. Ses lèvres tremblent d’anticipation quand elle se trouve assez proche pour poser la main sur lui. Elle ne réfléchit pas quand elle monte à ses côtés pour le regarder.

Ses cheveux blonds lui tombent dessus. Elle recouvre son torse large et son cou de mèches claires.
Elle le chevauche d’amour et pleure au-dessus de lui. Elle embrasse les lèvres de métal âpre. Un sillage de cauchemar lui reste sur la bouche, qu’elle adore. Elle embrasse ses cils, ses tempes, ses épaules et ses cheveux figés.
Il est d’une splendeur antique, tout entier figé dans cette roche souple.

(Il est si parfait maintenant.)

Cette pensée la traverse et la dérange mais ne s’attarde pas.
Anéantie par sa passion, elle se cale près de lui sur la pierre froide et s’endort sous l’univers qui ne cesse de bouger.


Le calme est revenu dans la pièce d’ivoire où les étoiles s’agitaient dans le ciel. Il n’y a rien à part le monument et les murs de marbre blanc. La trouée sur l’espace est obsédante. La fille n’entend plus que sa respiration. Ce son s’avère être l’un des plus terrifiants qu’elle ait jamais eu dans les oreilles. Sa respiration, seule dans l’univers.
Couchée au côté du dieu endormi, les astres passent sur son visage en points blafards, oscillent sur la chair blanche de sa peau et dans ses yeux ouverts.
Elle relève la tête pour admirer le visage de l’homme. Le menton froid, les paupières scellées, les tracés prononcés de son anatomie. Il est plus impressionnant encore vu sous cet angle.
Elle se love contre lui et profite de l’accalmie qui s’est emparée d’elle. Alors qu’elle pose la main gauche au niveau de ses côtes, elle distingue le D. qu’elle a tatoué en noir sur le flanc, juste sous l’index.
Pourquoi ce D. ?
Il y a comme un trou dans sa mémoire.

La vérité remonte comme un courant vers la surface.

La statue de métal reste imperturbable quand elle se redresse pour la surplomber. Elle réalise une chose qui la glace toute entière de douleur. Il n’a que l’essence du souvenir.
Elle avait toujours su qu’elle pourrait le reconnaître si elle l’avait en face d’elle. Pas parce qu’il ressemblerait à ce dont elle avait le souvenir, cet état de fait était corrompu depuis longtemps. Elle le saurait en voyant l’étendue troublante de ses imperfections, ces ratures dans ce qu’elle avait fantasmé, dans toutes les déformations qu’elle avait fait subir à son souvenir. Elle l’avait rendu sublime mais désespérément vide. Elle le saurait en voulant tomber à genoux devant cette grandiose incarnation d’imprévisibilité.

Mais il est parfait sur cette table. Parfait.

Les étoiles s’agitent et hurlent la réponse dans leur course compliquée. La fille s’emplit d’une horreur ancienne.

Cette fille, c’est moi.


Je me redresse dans tout le dégoût que j’éprouve pour ma propre faiblesse. Pourquoi ne suis-je pas en rage ? Pourquoi la colère ne s’exprime à travers moi qu’en tristesse annihilante ?
J’ai des voix dans la tête et je tente de leur laisser l’espace suffisant pour être entendues. Elles émergent du chaos et des guerres qui prennent naissance dans mon esprit, particulièrement claires cette fois.

(Il ne se réveillera pas, parce qu’il n’est pas ici. C’est une coquille vide. Une statue. Une projection. Il n’est pas ce que tu crois. Il te l’a déjà dit. Tu es couchée sur un produit de ton imagination au lieu d’aller chercher le véritable être caché derrière.)

La douleur m’atteint dans mes retranchements. Je regarde tout autour. C’est un espace enfermé dans l’univers. La porte par laquelle je suis entrée a disparu depuis longtemps. Je réalise l’ampleur dramatique de l’erreur. Je suis gelée dans le temps depuis des heures. Des années. Maintenant je regarde le ciel.

(On ne peut pas être nulle part.)

Voilà ce qui m’attend. De longues nuits de solitude avec mes cicatrices et ma mémoire, chaque seconde passée à lutter contre l’obsédant besoin que j’éprouve pour cette chambre. Et toujours ce terrifiant silence qui me suit où que j’aille.

(Mais ce n’est pas réel. Ce n’est pas réel. Et si cette salle le devient un jour, c’est que tu auras perdu. Tu es proche de ce précipice aujourd’hui. Tellement proche d’amener ces illusions à la vie. Il faut que tu marches avant d’être avalée. Tu dois créer pour détruire.)

Je me dirige vers le bord de la salle blanche. Je lève les yeux vers la mer de planètes.

(Il n’y a pas de sens à pleurer les morts. As-tu oublié pourquoi ?)

— Il vit.

La fureur qui s’échappe de ma bouche par ces deux mots m’est familière, bien que très lointaine. J’ai dans mes yeux le destin de quelqu’un d’autre.

(Pas ici.)                             (Il est ailleurs.)                                   (Pas ici.)

Les murs tombent soudainement en arrière comme ceux d’un château de cartes. Ils s’écroulent sous la puissance de la vérité. Le sol se met à trembler et à vrombir, les dalles à s’ouvrir.
Je me retourne vers la statue de métal et hurle en la voyant s’affaisser sur elle-même, détruite par la violence des chocs qui envahissent la salle.

(Ce n’est pas lui.)

— C’est un rêve de lui !

(Détruis-le. Il t’écarte de la route. Détruis-le maintenant.)

Je me détourne à grand peine et marche jusqu’au bord de la salle ouverte. Devant moi, l’espace s’étale en silence indicible. Gigantesque. Infini.

(Tu n’y arriveras pas.)

Cette voix-là est bien différente des premières. C’est une tristesse fatidique couvrant un lit de mensonges. Un bruit d’insecte sous la surface corrompue d’une voix familière. Cet insecte-là, je l’écraserais sous mon pied sans l’ombre d’une hésitation.

Je me retourne une dernière fois vers la statue qui s’effondre. A chaque fois qu’on regarde en arrière, c’est un dé lancé avec un dévoreur de temps. Je saute dans l’espace muet alors que les larmes dévalent mes joues.
Ce visage de métal est plus beau que jamais avant de se disloquer dans les vagues de mon esprit.


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Message posté le 13:17 - 10 nov. 2015

Ha les voix intérieures, celles qui vous font avancer, celles qui vous enferment dans une prison que l'on se construit chaque jour. Il n'est pas facile de lutter contre, de sortir de ces mensonges dans lesquels, au final, on se sent si bien, rassuré par leur familiarité. C'est difficile d'aller de l'avant.
Merci pour ce beau texte.

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Message posté le 17:11 - 11 nov. 2015

Ce n'est pas le genre de texte qui me touche particulièrement d'habitude, mais je le trouve très bien écrit :)

Je m'interroge beaucoup sur ton état d'esprit, et le pourquoi du comment tu as voulu écrire ce texte. Tu parles d'introspection ? (mais c'est peut-etre un peu trop personnel ?)

En tout cas, tu arrive vraiment bien a faire passer ce sentiment de solitude, de toi perdue dans l'espace, avec pour seule compagnie une statue vide de toute vie. C'est à la fois beau et effrayant, bravo !

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Message posté le 18:21 - 11 nov. 2015


Merci pour vos retours. En effet Grendelor, c'est une grande part de ce que je cherchais à représenter. Ravie qu'il te plaise.

Pour te répondre Choupinne, il m'arrive souvent de rester bloquée sur des images comme celles-ci. Je dirais même dans les images. En l’occurrence ce texte est un tableau du présent où je pointe du doigt une sorte de prison de l'esprit. Quant aux choses qu'il y a à l'intérieur, sur lesquelles j'écris, je pourrais évidemment t'en parler mais dans une sphère plus privée, à l'occasion :) En tout cas merci, ça me fait plaisir si tu as apprécié la lecture. Je suis même contente que tu le décrives beau et effrayant, c'est le sentiment que je voulais lui insuffler.


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