Josiane

« Bon, elle arrive ce soir, qu’est-ce que je peux faire pour lui rendre la vie impossible ? Hum… Elle est seule du coup, j’imagine qu’elle ne connaît personne dans le coin. Ah, je sais ! Je vais couper l’internet, il suffit de … bof, je ne sais pas trop, on va appuyer un peu partout et faire comme si je n’y comprenais rien. Et surtout, prendre l’air stupide, ça marche à tous les coups ! » grommelle Josiane, ses ongles manucurés triturant les câbles du modem.

Car Josiane avait un petit plaisir coupable dans la vie. Et pas seulement celui de gagner de l’argent facilement ! Voyons, elle a investi dans l’immobilier, elle est rentière maintenant, c’est une situation tout à fait honorable. Mais son plus grand plaisir est de regarder ses locataires en baver. Et oui, son hobby dans la vie, c’est pourrir au mieux la vie des autres ! Elle a son mode opératoire qui commence à être bien rodé. Tout d’abord, elle prend les informations dont elle dispose sur ses futures victimes et elle adapte tout en fonction du profil de sa son locataire. Là, c’est une petite jeune, elle a réservé 5 nuits, c’est parfait, de quoi la faire mijoter en douceur. Tout d’abord, la mettre en condition. Que disait l’annonce ? Quatre plaques chauffantes ? Un petit court-circuit dans la cuisinière et tout sera parfait. Mais toujours penser au petit plus qui rend les choses savoureuses ! Rajouter une plaque d’appoint. Ce ne serait pas crédible sinon. Internet et une télévision ? Débranchons l’antenne, ce sera parfait. Et trafiquons cette « box ».

« Que faire d’autre ? Ah oui, le lit, si elle dort mal, ça sera plus simple ! » lance-t-elle en enlevant le drap de dessous du matelas qui trônait dans la chambre. « Et si je mettais une brique dans l’oreiller ? Entouré dans un drap, ça passera ni vu ni connu ! »

La rentière aimait à se lancer des défis dans la vie. Comme savoir en combien de temps elle pouvait faire craquer un de ses invités en préparant bien son coup. Elle sortit et rentra chez elle, fière de ses trouvailles du jour, son cours de Yoga n’allait pas l’attendre.



« Comment ça, vous voulez un deuxième drap ? Mais, je vous en ait déjà fourni un ! Étonnant, c’est la première fois que j’ai quelqu’un qui se plaint. Les précédents ont dormi sur le lit en l’état ! lance Josiane, un air stupéfait parfaitement imité plaqué sur le visage.
- Mais c’est pas un drap, c’est un putain de film plastique votre drap ! Vous allez me donner un vrai drap de dessous ? tempête la jeune femme.
- Ah mais, je peux vous donner un deuxième drap, j’en ai un justement dans ma voiture, vous voulez que j’aille le chercher ? questionne l’hôtesse avec son air le plus innocent
- Mais en plus vous l’avez dans votre voiture ? Mais évidemment que je le veux, on dort pas sur un drap en plastique ! lance la locataire, sortant son téléphone pour prendre une photo du drap qui recouvre le lit. »

« Hum, peut-être que j’y suis allé un peu fort. Utilisons un autre angle d’attaque » songe Josiane en remontant le drap demandé.

« Voilà votre drap, c’est bien la première fois que je vois quelqu’un dormir avec deux draps ! Sinon, pour internet, appelez vite le service consommateur, j’ai noté le numéro ici. Ne vous en faites par pour l’heure, ils répondent 24h sur 24 !
- Mais il est 1h du matin et je bosse demain moi ! J’aimerais juste pouvoir dormir !
- Ah mais c’est vous qui voulez internet ! Bon, je vous laisse. Bonne nuit ! »

« Elle m’a l’air bien mise en condition. Demain, je la laisse mijoter. Je n’aurais même pas à bouger le petit doigt, elle reviendra à l’attaque toute seule ! » se dit Josiane d’un air satisfait en descendant l’escalier de l’appartement.
Un début de journée habituel se profile pour notre quinquagénaire dynamique, gestion des réservations de ses appartements, coup de téléphone pour des travaux dans sa dernière acquisition, négociations et yoga. Trouver la paix intérieure était le point central de son existence depuis qu’elle avait perdu sa femme. Elle avait quitté son travail de banquière et avait commencé son entreprise de locations d’appartements. Progressivement, elle s’était senti le besoin d’évacuer sa frustration sur ses locataires. De manière insidieuse ou flagrante selon son humeur. Son rituel journalier consistait en son cours de yoga, la gestion des affaires courantes et sa planification des milles moyens de pourrir la vie de ses locataires au mieux.
Elle avait quelques belles réussites à son actif. Des couples attirés par le placement idéal de certaines de ses acquisitions avaient fait les frais de son envie irrépressible de les voir déchanter, exténués après une ou plusieurs nuits d’insomnie à cause d’une fuite d’eau impromptues, d’une alarme incendie qui se déclenche en plein milieu de la nuit. Pour beaucoup, sa gentillesse mêlée d’une certaine maladresse avait eu raison de leur récrimination et ils étaient partis en se contentant de lui recommander des réparations, qu’elle promettait de bon cœur. Elle n’avait connu que peu d’échecs, beaucoup, écœurés étaient partis sans un mot le lendemain, des petites victoires qui lui mettaient du baume au cœur.
Cette dernière semblait intéressante car motivée dans sa venue par le travail. Lui rendre la vie impossible devrait demander du doigté. Si elle ne restait que la moitié des cinq nuits prévues, ce serait déjà une belle réussite.

On en était à la troisième journée quand elle reçut un message sur le site de réservations lui informant que sa locataire avait demandé à lui parler pour partir dès le lendemain.
« Bonjour, j’ai cru comprendre que vous vouliez vous en aller plus tôt que prévu. C’est vraiment regrettable, j’espère que vous avez apprécié votre séjour...
- Vous manquez pas d’air… Je ne sais pas si c’est un de la mauvaise foi éhontée ou un mélange de bêtise et de maladresse. Ne voyant votre intérêt rendre volontairement la vie impossible aux gens qui viennent chez vous, j’en conclue que vous ne maîtrisez rien…
- Mais pour qui me prenez-vous ? Je comptais de toutes façons vous proposer de vous rembourser la fin du séjour, il est vrai que certains légers désagréments ont empêché que vous profitiez pleinement de votre…
- Arrêtez ça tout de suite, je m’en vais demain matin, adieu. »

Ce premier échec, après une miraculeuse série sans faute, fut déterminant pour la suite, Josiane en apprit beaucoup pour affiner ses techniques de torture savant de ses contemporains… Mais ceci est une autre histoire.